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« Champs d’ondes comme un lit ». N°568

Écrit par sur 20 février 2013

« Une petite boîte qu’on « ouvre » en tournant un bouton ou en appuyant sur une touche, et d’où sortent des voix qui parlent à distance : inimaginable objet il y a à peine plus d’un siècle, la radio non seulement n’étonne plus mais est reléguée loin en arrière par d’autres inventions, et sans doute faut-il remonter aux temps pionniers de la TSF, aux premiers appareils de bois arrivant dans les campagnes, pour retrouver son importance. Objet nouveau, si vite apprivoisé qu’il semble fixer le paysage de l’entre-deux- guerres, la radio jouit encore d’un pouvoir mystérieux, en vérité jusqu’à ce que la télévision lui succède sans toutefois – et c’est remarquable – la faire disparaître. Telle elle était en tout cas lorsque enfant je la connus, avec son étrange œil vert se dilatant comme celui d’un chat, avec les noms des stations lointaines inscrits sur le tableau où glissait une réglette, avec ses émissions célèbres et la gloire toute récente que lui avait value son rôle pendant la guerre, les messages en morse que l’on entendait sur les ondes courtes ou les « bandes étalées » prolongeant dans la nuit les grains de cette réputation clandestine. Tout cela s’est éloigné, sans doute, mais de la cour d’un petit hôtel de Madrid où, fidèle­ment au cliché, les voix des speakers se mêlent aux on­dulations du linge suspendu au transistor posé sur une chaise par le gardien d’un garage dans la Buenos Aires si déserte d’un dimanche, la radio reste ce qu’elle fut, ce qu’elle est – une ponctuation familière, populaire et moderne utilisant les champs d’ondes comme un lit où elle file, source commandée en des studios dont chaque poste est une résurgence. Cette perméabilité sonore de l’espace sans limites, la radio la qualifie, la travaille et la sonde. Sur les bandes des émissions qu’on prépare à l’avance pour les diffuser en différé, les mots et les séquences verbales sont convertis en des longueurs, tout phrasé musical ou vocal s’incarnant en un métrage de ruban, lequel, roulant ensuite sur des bobines, s’en ira dans l’espace jusqu’à ceux qui l’écoutent. De nuit, ce passage de la voix dans l’air, par les ondes, retrouve sans peine son ancrage le plus secret, qui fait de chaque poste un témoin renvoyant, par-delà les nou­velles et le sens comme par-delà concerts et rengaines, à la physis, à une nudité de la physis.
Sans doute n’est-ce que le bruit ou le « nuage de sauterelles » de l’agitation humaine qui transite de la sorte par le lit physique de l’air, sans doute peut-on être par moments affligé par la teneur des messages ainsi transmis – pourtant l’être le plus propre de la radio survit sans peine à ces usages et c’est lui, bien plus que telle ou telle émission, que l’on cherchait à capter, enfant, à travers le grain des voix étrangères pour entendre l’étrangeté même de la distance et de la voix, de la voix reprenant à distance un chant conti­nental et lointain. » Texte de Jean-Christophe Bailly (Le propre du langage).

Comment était-elle la mienne « lorsque enfant je la connus » ? Par « le lit physique de l’air », ce que je captais, provenait d’un poste TSF à réglette assez semblable au sien. Placé très en hauteur sur une étagère qui le coinçait contre le plafond de la cage d’escalier. Qui donnait sur les chambres à l’étage. Ces « champs d’ondes comme un lit » n’étaient donc pas loin du mien. A quelques marches. En bas, une porte vitrée avec rideaux fermait cette cage d’escalier. Qui une fois entre-ouverte permettait à ces ondes de se rendre dans l’espace jusqu’à ceux qui l’écoutaient. Pourquoi pareil agencement ? Il était tenu un commerce. Buvette, commerce et fabrication de chaussures, dans une pièce contigüe à la cuisine. D’où risque de « perméabilité sonore » d’un espace à l’autre. Que la musique puisse être entendue des oreilles du peu de clients qui venaient, rendait obligatoire le paiement d’une patente. Dont le montant apparaissait à mes parents disproportionné. Ainsi était-il maintenu bien éloigné des oreilles de passage. Installé dans cet espace sombre où seul mon père était en mesure de le mettre en marche. Par sa grande taille. Et son bras long pour le branchement. Rendant son usage assez limité par le reste de la famille.

C’est vrai, la radio était encore toute auréolée de la gloire que lui avait value son rôle pendant la guerre. Et la clandestinité. Et avant. Puisque mon père me rappelait assez souvent que notre poste avait été le premier du quartier de la Gare. Le seul. Et qu’à ce titre, pendant les grandes manifestations des partisans du Front populaire, notamment à l’occasion du 14 juillet 1936, et les grandes grèves, tous les ouvriers granitiers et briquetiers alors nombreux dans le quartier, s’étaient déplacés à la maison pour l’écouter. Suivre à l’oreille les mobilisations pour les revendications d’égalité et les mots d’ordre des grands leaders, à savoir si la grève devait être reconduite ou pas. Toutes ces écoutes collectives étaient ponctuées par l’Internationale entonnée en chœur et poings levés vengeurs. Voilà une idée qui était bonne ! Le camp des exploités en aurait bien besoin en ce moment. Poésie, politique et révolution. Les ondes saisissaient le corps, l’esprit, l’existence.

Passons à un temps que j’ai connu. Que me reste-t-il de cette écoute quand j’étais môme? A la maison, nous n’avons manqué de rien. De ce qu’il fut annoncé sur la guerre d’Algérie, et sur la guerre froide avec son point d’orgue que fut l’installation des missiles à Cuba. Comme des discours de De Gaulle, et des émeutes de mai 68 suivies de très près, rue par rue, faubourg par faubourg. On avait mis une carte de Paris sur la table de la cuisine (mais c’était plus tard, la télé était alors en grève).

Et parmi mes classiques d’auditeur, partagés en masse: le jeu des 1000 francs du midi présentés par Lucien Jeunesse et les étapes du Tour de France. Quant à la musique depuis cette cage d’escalier qui inondait de douces harmonies la maison du sol au grenier, je cite, pour mémoire: Bobby Lapointe, Dario Moreno. Si tu vas à Rio, Brel et sa vache à mille temps, Giano Esposito, René-Louis Lafforgue , Un jour, tu verras de Mouloudji, ou Bourvil et son petit bal perdu, voilà pour ce qu’il m’en reste de cette écoute musicale.

Puis la barrette un jour resta en rade. Je te tapote par ci, je t’écoute par là, et hop, ça annonçait la fin. La télé fut acheté chez moi à l’occasion du grand événement régional de 1965, pour regarder à peine déballée la finale de la Coupe de France de foot entre Rennes et Sedan. Sans toutefois -comme le dit JC Bailly- la faire disparaître, la radio, média du quotidien et de l’intime, jouissant encore d’un pouvoir mystérieux.

Des grandes ondes(GO) et ondes moyennes (OM), l’écoute de la radio passa à la FM sur transistor. De nos jours, l’arrivée d’Internet modifierait la donne. Est-il dit. Tout au moins, le spectre radiophonique s’élargit. Que cette « ponctuation familière, populaire et moderne » puisse ici encore par le net trouver maintenant un regain d’intérêt dans ce nouvel espace sans limites, où la voix peut reprendre « à distance un chant conti­nental et lointain. »

Comme une suite. Aux voix se mêlant « aux on­dulations du linge suspendu ». Mais le tout est miniaturisé et sans borne. Quand Bailly parle d’une « source commandée en des studios dont chaque poste est une résurgence », faut-il convertir son excellente formule à l’aune des temps nouveaux de la « résurgence » accrochée à l’oreille. Combinée au téléphone mobile, avec accès à la plus petite source commandée du monde à la condition que celle-ci soit reliée au réseau planétaire. Plus de studios, volatilisation des sources à l’infini… Voilà bien ce sur quoi l’observation récente de Bernard Noël pourrait bien aussi se placer :  » Peut-être (,,,) faudrait-il créer le mot SENSURE, qui par rapport à l’autre indiquerait la privation de sens et non la privation de parole. »

Finalement, 50 ans ce n’est qu’un début. Radio Univers -qui peut-être considérée comme l’héritière de cette histoire- sera celle de la musique comme un magnifique jardin arboré d’espèces variées, et de l’agora telle une belle place publique de rencontres. De démocratie. Elle l’est déjà. Motif ? Depuis quarante ans, le temps de travail ne cesse de diminuer. Les gens ont plus de temps libre et un nouvel usage disons plus personnel aux médias s’est instauré. La moyenne du temps consacrée au travail est de 12% de nos jours. Et ça va diminuer. Car le temps des robots est arrivé. Grâce à la miniaturisation des récepteurs, les gens se déplacent déjà en courant, en marchant dans la rue, ou en faisant leur course en écoutant soit leur musique préférée, soit leur radio préférée. Le poste de radio a rejoint ainsi l’enveloppe corporelle des personnes. Grâce à une de ses qualités par défaut: il n’y a pas d’écran.

D.D


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