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« Epaule gelée ». N°472.

Écrit par sur 8 avril 2011

Quand les beaux jours reviennent, je saute sur mon tracteur-tondeuse, eh hop! 2h et demi de tonte lundi soir. Je manie du bras droit tour tour le volant et le bras de commande de la lame, et voilà. Deux nuits sans dormir, deux journées pourries et le diagnostic vient de s’abattre: « Epaule « gelée » à droite. Amplitude très limitée, abduction quasi impossible ». En attente de la radiographie, j’en suis réduit à écrire cette chronique-ci de l’index gauche.

Me voilà mal en point au moment même où la nature jaillit de toute part, tel un pied de nez à notre désenchantement sociétal. Bon, « épaule gelée » d’où ça sort ça ? Pas de souvenir d’un pareil phénomène. Allons voir du côté de l’anamnèse, en allant fouiller dans mon passé embarqué ça me reviendra à l’esprit, qui sait?

Ramasser des pissenlits dans les champs pour la salade et les lapins, aller chercher les oeufs frais sous la poule pour en faire de bons oeufs à la coque, appeler les poules petits-petits et leur jeter à la volée le blé par poignées, détacher les feuilles de choux à lapins et les leur apporter en brassée, entendre le roucoulement du pigeon qui fait sa cour, prendre le goûter avec une tartine beurrée et un carré de chocolat noir stocké dans une boîte de fer blanc portant l’inscription « Café », voire même un morceau de sucre comme chocolat, bêcher profond pour suffisamment enfouir le fumier de façon à ce qu’il ne réapparaisse pas à la surface, sentir l’odeur du café-chicorée, aller fermer les poules en descendant la trappe de bois du poulailler une fois les poules rentrées et bien veiller qu’elles y soient toutes, choisir le poulet pour le rôti du dimanche, et la vieille poule qui fait de la peine à tuer tellement on la connaît, voir les pattes de lapin se promener au fil des coups de patte de chats, entendre bruisser la fricassée de lançons roulés au préalable dans la farine, aimer l’oseille, se faire transporter dans la brouette par son grand-père, approvisionner le fourneau en boulets de charbon, effacer la trace de charbon sur sa peau, sentir l’odeur de la bouteille de Mirror et du chiffon à reluire , goûter le café froid du gros pot à café, entendre les claquements de sabots ferrés et le couinement des charettes pleines, les claquements des fouets et le hue! ho!, comme les jurons et les crachats qui vont avec, regarder comment la terre se déchire au passage du soc de la charrue tirée par le cheval, ce cheval de labour, ce cheval de trait, ce cheval de ferme, ce bon gros pépère cheval, fort, utile, servile, compagnon. Se soucier des brodequins qui étaient fabriqués puis resemellés dans l’atelier familial, les tabliers, les lacets tirés, l’odeur de la graisse d’entretien du cuir, du cirage, du caoutchouc et du crêpe, de la colle, du tranchant du tranchet à trancher les peaux. Se faire piquer les jambes dans une tassée d’orties, se faire piquer la peau par une guêpe, par une fourmie, par une araignée, se faire mordre par un lapin, se faire becquer par un coq, se faire griffer par son chat, se faire pincer les doigts dans une porte, se faire mordre par un chien, se faire salir par la chaîne de vélo, se faire une bosse bien grosse, se faire peur en haut d’une échelle qui nous est interdite, se faire peur en haut d’un arbre dans lequel il est défendu de monter comme un cerisier parce que les branches cassent sans prévenir, couper des branches avec le faucillon, y tailler des flèches pour l’arc en bois de châtaignier, ou la fourche du lance-pierre auquel on fixera l’élastique carrée achetée au bourg, décapsuler pour la première fois la bouteille de limonade toute pétillante et gazeuse, voir le lard qui baigne dans le saladier à désaler, le beurre salé en motte sur laquelle est dessinée une fleur à la louche, l’enfilade de linge à sécher sur le fil de l’allée du jardin, et son ramassage à toute vitesse quand un nuage s’annonce ou à la première goutte, jeter un oeil dans le garde-manger, se balayer le nez de la morve qui s’écoule, ressentir le parfum du savon de Marseille bien carré avec lequel on lave tout, le corps comme le linge, combien je n’aimais pas les shampoings et l’eau chaude qui dégoulinait dans le cou, se débarbouiller au gant de toilette, mais combien j’aimais mes vélos, mes copains les vélos. Moudre le café à la main, laisser bouillir l’eau puis verser délicatement à petite dose sur le café moulu, l’entendre s’écouler dans le grand pot à café, être présent quand on change de balai en paille de riz pour l’essayer neuf, reléguer le vieux au balayage de la cour et l’allée du jardin, entendre le son de l’eau du robinet qui s’écoule dans l’évier en zing, ou dans un sceau, transporter des sceaux d’eau en courant qui aspergent souliers et chaussettes, se gratter tous les jours de sa jeunesse les croûtes de ses genoux, redouter puis tarder jusqu’à la limite avant de se hâter vers le cabinet du fond du jardin l’hiver, ne pas apprendre ses leçons parce que le chat est là, ne pas ouvrir ses cahiers parce que le chat est là, ne pas savoir sa récitation jamais parce que le chat est là.

Voilà, non, beau fouiller dans le grenier aux souvenirs je n’ai jamais connu d’épaule « gelée » à l’arrivée des beaux jours!

D.D

Chronique:

Amplitude limitée ?

J’espère que tu n’es pas en train de te transformer en régulateur dont la fonction est, comme chacun sait, de convertir le courant alternatif d’amplitude variable qui sort de l’alternateur en un courant continu d’amplitude limitée.

Bon dégel donc !

Mais ce contre quoi je voulais m’insurger c’est ce « servile » attribué au pépère cheval. Bien sûr, utile rime avec servile, mais c’est pas une raison. Z’étaient fiers ces chevaux là et il fallait une connivence et de la confiance et de la patience pour qu’ils acceptent de faire le travail qu’on exigeait d’eux…

Françoise.

07/04/2011 09:35

Re-chronique:

C’est marrant , tu parles d’anamnèse dans ta chronique. Je cherche épaule gelée sur les sites d’ostéopathie, je tombe sur un article où explique par quoi commence le traitement ostéopathique.

 » Tout en gardant ces principes à l’esprit, l’ostéopathe commence toujours la session par une anamnèse. » http://www.osteopathesprofessionnels.be/fra/webpage.asp?WebpageId=248
Matthieu.

07/04/2011 18:45

Re-chronique:

Suivi la piste de M. : « frozen shoulder » ? Ah mais ça change tout ! « frozen shoulder », ça impressionne !

Epaule gelée, pieds gelés, saumon en gelée, beaucoup moins !…Albane Gellé : « je suis un cheval une flaque d’eau un tiroir un désordre je suis un arbre un chien affectueux un chat insolent une boîte à musique une voix trop mince ».

Si en plus tu dis que c’est une « douleur irradiante… » ouhhhh…

Françoise.


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