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Jason W. Moore, tel autre « Cassandre » ? N°803

Écrit par sur 6 septembre 2017

cropped-collapseofindustrialcivilizationDans notre Chronique précédente, évoquer Cassandre c’était à la fois une façon de démasquer la formulation complètement erronée – ça craint!- du personnage temporairement central qui représente dans ce pays la richesse et le pouvoir, et surtout d’aborder un débat désiré avec convictions et opinions, doutes et questions, qui n’a pas lieu.

Un débat sur l’idée de« l’anthropocène », terme qui s’est imposé dans le langage par les revues scientifiques comme le notait Yves Cochet, quand d’autres, plus rares, chercheurs, géologues et historiens, parlent du « capitalocène ».

Capture d’écran 2017-09-06 à 11.35.03Parmi ces derniers, un historien, Jason W. Moore, professeur à l’université Binghamton (USA) et coordinateur du Réseau de recherche sur l’écologie-monde, pourfend ainsi la première idée, « l’anthropocène », qui décrit l’être humain devenu « une force géophysique (qui) a commencé à transformer la biosphère à un tel point qu’il menace la capacité de la planète à accueillir la vie ». Il développe la seconde, « le capitalocène », qui affirme que nous nous situons dans « l’âge du capital » où « la seule manière de continuer à accumuler des richesses en permanence et de les réinvestir pour en accumuler encore plus – ce qui est la définition du capital – est de trouver indéfiniment de nouvelles sources de richesses où la nature est à la fois bon marché, dépréciée et dégradée. » Selon lui, la nature a été non pas exploitée mais produite par le capitalisme, qui s’en est servi pour créer de la richesse. Et dit-il « le capitalisme coproduit la nature, et inversement ».

Avec Jason W. Moore, tel autre Cassandre, sa conclusion est aussi « consternante » – bien que moins sombre que celle de Cochet. Considérant « L’instabilité financière, le dérèglement climatique, la sixième extinction des espèces, les inégalités dans le monde », il en déduit: « Nous vivons l’effondrement du capitalisme ». Et précise en rassurant son monde: « Ce n’est pas l’effondrement des gens et des bâtiments mais des relations de pouvoir qui ont transformé les humains et le reste de la nature en objets mis au travail gratuitement pour le capitalisme. » A lire ici.

Nommer l’époque « le capitalocène » pointe la responsabilité du système d’appropriation et de destruction généralisé, ainsi d’un type d’hommes avides de richesse et de pouvoir incarné au plus haut niveau des Etats et de la finance à Wall Street ou ailleurs.

Qu’est-ce « l’anthropocène »? Selon une définition proposée en 2000 par des spécialistes de l’environnement dont Paul Crutzen, prix Nobel de chimie pour avoir démontré que l’utilisation massive de produits chimiques détruit la couche d’ozone qui compose la haute atmosphère, ce qui a des conséquences désastreuses sur toutes les formes de vie sur Terre : « Le terme “anthropocène” (…) suggère que la Terre est désormais sortie de son ère géologique naturelle, la période contemporaine interglaciaire appelée l’“holocène”. Les activités humaines sont devenues tellement envahissantes et intenses qu’elles concurrencent les forces de la nature et entraînent la planète vers une terra incognita, qui se caractérise par une moindre diversité biologique, la déforestation et un climat plus chaud et probablement plus humide et instable. » Et précise dans la revue Nature : « il faut ajouter une nouvelle époque qui se caractérise par le fait que l’homme en tant qu’espèce est devenu une force d’ampleur tellurique ». Et comme point de départ il propose de le situer à 1784, date du dépôt du brevet de la machine à vapeur. Par lequel sous l’impulsion de l’industrie britannique du coton, l’énergie fossile, symbolisée par la machine à vapeur, a supplanté celle de l’eau, qui pouvait geler, déborder, se tarir. La bourgeoisie d’affaires a donc déconnecté l’usine des cycles naturels du climat. Ce qui correspond au début de la carbonisation de l’atmosphère par la combustion du charbon.

Du coup « l’homme en tant qu’espèce » est devenu « une force géophysique ». Donc capable d’une nouvelle période géologique. C’est ça « l’anthropocène ».

Qui dit force tellurique dit modification dans la constitution même de la planète avec tout ce qu’il y a dedans. Et parce qu’il y a accélération du réchauffement depuis le constat de « l’anthropocène », nous sommes en train de vivre en direct un changement de territoire.

Finalement « l’anthropocène » – terme devenu point de ralliement sur lequel s’accorde une très large partie des géologues, anthropologues, philosophes, etc.- ouvre des promesses mais aussi des menaces. Car si pour certains ce scénario désigne l’horreur qui vient, par conséquent il en découle la nécessité de la décroissance, pour d’autres c’est la justification d’une poursuite du développement d’une organisation matérielle qui entraîne activement la destruction des autres vivants sur la Terre. Pour un Nouveau Monde ! Que coproduirait le capitalisme. Comme le fut l’Amérique après la destruction des peuples autochtones. Il s’agit là de la techno-science qui, du haut de sa pseudo- rationalité « infaillible » et d’énormes crédits de recherche dont elle bénéficie, propose la géo-ingénierie, parle d’hybridation par connexions machine/homme, de modification organique de l’homme rompant avec son historicité, etc…

Quoiqu’il en soit, comme il est question de débat manquant alors que nous sommes en train de vivre en direct ces modifications du territoire – et donc des milieux de vie : d’ici à 2030, 20 % des espèces vivantes auront disparu de la surface de la Terre, mais déjà WWF dénombre que 58% des vertébrés de la planète ont disparu en 40 ans, un chiffre qui pourrait atteindre 67% d’ici 2020-, comme les causes profondes de « l’anthropocène » et/ou du « capitalocène » proviennent d’un imaginaire qui rend ça possible, et comme en grec anthropos signifie l’homme, et cène le nouveau, une nouvelle fois je renvoie volontiers à l’helléniste Jean-Pierre Vernant qui évoque ses recherches et définit le caractère humain de l’homme dans son ouvrage La traversée des frontières:

« Quelles leçons en ai-je retenues? D’abord l’exigence d’une totale liberté d’esprit: aucun interdit, aucun dogme, en aucun domaine, ne doivent faire obstacle à une recherche critique, une enquête sans a priori. Ensuite, que le caractère humain de l’homme est lié à son statut de citoyen, sa participation active à une communauté d’égaux où nul ne peut exercer son pouvoir de domination sur autrui. Enfin, que ce monde est beau, dont nous faisons partie, qui nous déborde et dépasse infiniment, qui peut nous détruire mais dont nous devons accepter avec gratitude, comme un don, toutes les occasions qu’il nous offre de découvrir ce qu’il recèle de merveilleux, ses lumières à côté de ses ombres et de ses nuits. »
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D’où cette invitation à revisiter ce qui a été dit et écrit ici-même :
– Notre entretien avec le poète Laurent Grisel à l’occasion de la sortie de son livre « Climats« . A écouter ici.
– Notre entretien avec l’économiste, théoricien de la décroissance, Serge Larouche. A écouter ici.
– Notre chronique « A quel moment est-on indigène?« . A lire ici.
– La citation de l’écrivain Eduardo Galeano, »La nature n’est pas muette« . A lire ici.
– Notre chronique autour du livre de l’anthropologue des sciences et philosophe Bruno Latour « Face à Gaïa« . A lire ici.
– Notre émission Bande passante n°1 sur le thème du climat. A écouter ici.
– Notre chronique autour du livre de la journaliste indépendante Anna Bednick « Extractivisme.Exploitation industrielle de la nature: logiques, conséquences, résistances« . A lire ici.
– Notre chronique autour du livre de l’historien, politiste et anthropologue britannique Timothy Mitchell, » Carbone democraty« . A lire ici, & .
– Notre chronique autour du livre du philosophe Clive Hamilton, professeur d’éthique publique et membre du conseil australien sur le changement climatique « >Requiem pour l’espèce humaine ». A lire ici.
– Notre reportage sur la mobilisation citoyenne à la COP 21. A écouter ici.
– Notre reportage sur Notre-Dame-Des-Landes. A écouter ici.

D.D


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