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La perte de Mnémosyne. N°975

Écrit par sur 13 janvier 2021

Chez les Grecs anciens, la Mémoire était mère des Muses, et sans doute particulièrement associée à la pratique de la poésie. A l’époque, la poésie n’était pas seulement une forme narrative, c’était aussi un inventaire du monde visible. La poésie tenait ses métaphores de correspondances visuelles.

John Berger, écrivain, critique d’art dans « Comprendre une photographie ».

Petite précision utile, renseignement pris : la mémoire – dont le mot en grec ancien vient de la déesse Mnémosyne, nom découlant de Mnémé qui est dérivé étymologiquement d’une racine signifiant « (faire) penser à quelqu’un ou à quelque chose »-, du coup il est bon de la comprendre en tant que faculté. Et de l’entendre ainsi:  » pour les Grecs, et il en sera ainsi jusqu’à la Renaissance, n’a pas le sens d’une mémoire « par cœur », bête ou automatique, mais elle est synonyme de connaissance », c’est-à-dire le savoir des événements passés.

C’est peut être ce à quoi nous avons affaire chaque jour ici-même, à notre antenne, dans nos émissions. Car à travers les images des récits, ce qui est dit  « fait penser à quelqu’un ou à quelque chose ».

Ni plus ni moins, c’est une autre façon de raconter le monde. Hors informations événementielles, où chacun est libre de se frayer un chemin.

Usant à son tour de la métaphore, Berger développait ainsi: « Un récit n’est pas un véhicule à roues qui a un contact continu avec la route. Les récits marchent, comme les hommes ou les animaux. Et leurs pas n’enjambent pas seulement les événements qu’ils racontent mais aussi les phrases, les mots. Chaque pas franchit quelque chose qui n’a pas été dit. » (…) Si tout cela paraît exagérément compliqué, il vaut la peine de se remémorer un moment l’expérience enfantine du conte. (…) Vous écoutiez. Vous étiez dans l’histoire. Vous étiez dans les mots du conteur. Vous n’étiez plus votre moi unique; vous étiez, grâce à l’histoire, tous ceux que cette histoire concerne. »

Qu’est-ce à dire tout ça ? Eh bien, qu’il nous faut avoir le souci d’elle, la mémoire. Parce qu’il y a en cours les possibilités d’un blocage de la mémoire. C’est-à-dire qu’elle rencontre un mur.

Comme le soutenait dans un entretien à la revue Esprit, le regretté philosophe Bernard Stiegler: « Si les technologies numériques peuvent libérer un potentiel inexploré de la mémoire par le fait de son extériorisation, elles peuvent également provoquer le contraire, c’est-à-dire bloquer les possibilités celées dans la mémoire – ce qui est plutôt le cas actuellement. »

– à voir: ici.

Transmettre la mémoire, une tâche essentielle.

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de John Berger. Ainsi que de Bernard Stiegler.


Les opinions du lecteur
  1. FRANÇOISE   Sur   14 janvier 2021 à 9 h 26 min

    « fait penser à quelqu’un ou à quelque chose »
    …et donc, suivre cette ficelle qui se débobine soudainement, cette envie donc, urgente, impérative de relire Castoriadis :
    Et ceci :

    « Nous passons la plupart du temps notre vie à la surface, pris dans les préoccupations, les trivialités, le divertissement. Mais nous savons, ou devons savoir, que nous vivons sur un double abîme, ou chaos, ou sans-fond. L’abîme que nous sommes nous-même, en nous-même et pour nous-même; l’abîme derrière les apparences fragiles, le voile friable du monde organisé et même du monde prétendument expliqué par la science. Abîme, notre propre corps dès qu’il se détraque tant soi peu -le reste du temps aussi, d’ailleurs, mais nous n’y pensons pas; notre inconscient et nos désirs obscurs; le regard de l’autre; la volupté, tenacement aiguë et perpétuellement insaisissable; la mort ; le temps, sur lequel après vingt-cinq siècles de réflexion philosophique nous ne savons toujours rien dire; l’espace aussi, cette incompréhensible nécessité pour tout ce qui est de se confiner dans un ici ou ailleurs; plus généralement, la création / destruction perpétuelle qui est l’être lui-même, création/ destruction non pas seulement des choses particulières, mais des formes elles-mêmes et des lois des choses; abîme, finalement, l’a-sens derrière tout sens, la ruine des significations avec lesquelles nous voulons vêtir l’être, comme leur incessante émergence. » (CORNELIUS CASTORIADIS Fenêtre sur le chaos (2007) )

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