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« Le courage de la joie ». N°883

Écrit par sur 20 mars 2019

Capture d’écran 2019-03-20 à 10.33.15Ah! Il faut croire, avec ces satanés Gilets jaunes, que quelque chose résiste à la tristesse et à la résignation. Avec leur joie d’exister, c’est, chaque samedi, une sorte de langage pour communiquer l’égalité. J’ai donc voulu ici reprendre le propos du philosophe Nicolas Go sur « Le courage de la joie ».

A l’heure où j’écris ces mots, pour des raisons morales et à toutes joies utiles eu égard au grand saut périlleux arrière ouvertement liberticide annoncé, il m’incombe de souligner en gras que cet entretien revigorant est paru dans Philosophie magazine – n°85 de décembre 2014/ Janvier 2015. Toute association à des faits marquants qui surviennent les samedis ne saurait être que fortuite.

De plus, l’occasion étant si rare, je cède à ma joie d’en citer le début de sa présentation: « Dans la campagne bretonne, entre Rennes et Saint-Malo, Nicolas Go habite une maison paysanne en granit gris. Parmi les pommiers, au fond du jardin, on aperçoit un ancien four à pain. »

Un proche voisin en somme. Rappelons qu’il est professeur de philosophie de l’éducation à l’université de Rennes et l’auteur de « L’Art de la joie. Essai sur la sagesse » et de « Les Printemps du silence ».

Et qu’il nous a, d’autre part, accordé un long entretien autour de la question de « la coopération en éducation : affirmation de l’égalité et joie d’exister. »

Capture d’écran 2018-12-31 à 20.52.20A écouter ici.

D.D

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Capture d’écran 2019-03-18 à 22.20.05« En vivant en pleine campagne, cherchez-vous à échapper à quelque chose?
Nicolas Go: Si je me réjouis de la solitude, ce n’est pas par détestation de l’humanité. Ici, je n’échappe à rien, je ne fuis rien, mais j’augmente mes possibilités. Je comprends très bien qu’on puisse accomplir quelque chose au centre d’une grande ville. Mécaniquement cependant, le mode de vie urbain se trouve déterminé par des contraintes difficiles à transformer. Se retrouver dans le métro aux heures de pointe, ça n’est désiré par personne! Pour moi, le silence est nécessaire. On peut sans doute le trouver au sein du bruit, mais je n’en suis pas capable.

Peut-on encore aujourd’hui « jouir loyalement de son être », tel que le proposait Montaigne?
NG. Je ne suis pas sûr que les conditions de vie soient tellement plus difficiles aujourd’hui qu’à l’époque de Montaigne. Prenons garde aux représentations que véhiculent les médias, à l’imaginaire social. Selon moi, le mot important dans la phrase de Montaigne, c’est « loyalement« . Jouir loyalement de son être, c’est jouir sans trahir le réel, en l’assumant tel qu’il est, sans regretter ou se plaindre qu’il ne soit pas autrement. Non seulement nous vivons dans l’illusion d’un monde construit selon nos désirs, mais nous mesurons passivement nos capacités selon une norme extérieure. Spinoza pose la bonne question: de quoi le corps est-il capable? Capable non par rapport à un modèle imposé, mais par rapport à la puissance d’agir qu’il peut effectuer par un travail, un itinéraire de connaissance et de transformation de soi.

Un arrachement, une conversion sont-ils pour cela nécessaires?
NG. Je ne crois pas beaucoup aux préceptes d’art de vivre. Il s’agit d’atteindre la joie liée au simple fait d’exister. Ce projet de sagesse suppose une présence et un rapport au présent qui dure comme lieu d’un travail permanent, accompagné d’un certain processus de désencombrement: il s’agit de traiter ce qui, tout au long de notre existence, nous a blessés, contraints, conditionnés et d’en faire le matériau d’une création. Cela demande plus ou moins d’efforts selon le passé et les conditions de vie de chacun. Pour moi, aujourd’hui, la lecture, l’écriture, la pratique des arts, la promenade contemplative sont de pratiques libératrices.

En quoi consiste cette joie primordiale?
NG. Elle se passe de toute cause et affirme le réel dans son ensemble, sans exclure le pire. Aimes-tu suffisamment le réel pour accepter que tout revienne? demandait Nietzsche. Il ne s’agit pas de croire que tout va revenir, mais, par une expérience de pensée, d’évaluer la puissance affirmative de notre joie. Toute expérience peut être ramenée au sentiment d’exister, quel qu’en soit le contenu. L’idée d’une nécessité de l’angoisse existentielle est une construction intellectuelle: c’est la joie d’exister qui constitue l’expérience première.

N’est-ce pas une ambition élitiste, réservée à quelques-uns?
N.G Je relie la question politique de l’égalité à celle éthique de la joie. L’enjeu est celui d’une double subjectivation: individuelle selon un effort de sagesse, collective dans une revendication de justice et de transformation sociale. Selon Jacques Rancière, il n’y a qu’un seul universel: l’égalité. Je crois que la joie en est l’autre versant. Affirmer la joie et l’égalité avec le souci de les vérifier: une sagesse révolutionnaire, en quelque sorte.

Peut-on rester joyeux quand tout va vraiment mal?
NG. Cette question présuppose que la joie dépend des conditions extérieures. Or la joie se déclare comme puissance et non comme produit d’une situation. Elle se passe de toute cause et affirme le réel dans son ensemble, elle est une manière d’affronter l’adversité. Il y a des cas limites, comme les camps de concentration nazis. « Quand les calamités nous assaillent comme de la vermine, je me gratte un peu« , écrivait courageusement Etty Hillesum dans son Journal. Déportée, elle se demandait « d’où vient cette gaieté légère, presque joyeuse« ? Rameutant toutes ses forces, elle ne cherchait pas à éviter, mais à savoir comment réagir humainement.

Cet accès à la joie demande-t-il une méthode ou tout au moins un itinéraire balisé?
NG. Je suis plutôt de ceux qui n’ont pas de méthode. Je m’efforce à un processus de transformation permanente, par la philosophie, la poésie, la musique, la pratique constante de la joie. Pour déterminer des étapes en philosophie, il faut les avoir déjà expérimentées. On se promène dans la montagne et on tombe sur un lieu extraordinaire. Après coup, on en trace l’itinéraire et on l’indique aux autres. Par l’exemple d’un processus joyeux, on suscite un effet de contagion.

Au-delà de la contagion enthousiaste, vous évoquez à plusieurs reprises le courage de la joie.
NG. Cela n’a pas de connotation morale. Il s’agit de toujours choisir, dans un certain effort, la vie la plus active et la plus joyeuse, ce qui est paradoxalement le plus difficile. Cela conduit à ne pas chercher d’autre rétribution que la joie de la connaissance et de l’acte adéquat. »

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ruCe qui a été dit et écrit ici-même autour de la joie, des Gilets Jaunes, ainsi que de Jacques Rancière.


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