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Le prix à payer. N°12.

Écrit par sur 18 février 2010

Il est une question que l’on se pose et que l’on se posera peut-être de plus en plus, celle de la place de l’économie dans nos sociétés. De l’économique devrions-nous dire. Evidemment la question est vaste mais, en fonction de la manière dont on lui donne une importance ou pas, elle influence elle-même la perception que l’on a de ce monde dans lequel nous vivons. Pour ceux qui la considérent comme déterminante, la tendance sera donc d’insister, jusqu’à devenir parfois obsessionnelle, sur l’organisation économique de nos sociétés : à savoir le capitalisme. Pour d’autres, ce seront des dimensions autres, par exemple, culturelles, religieuses, etc… Il serait alors, pour l’observateur de ces débats, facile de céder à une forme de relativisme ou d’indécision. L’on pourrait aussi reprocher une certaine manière de réduire, de ramener ce qui existe aujourd’hui soit à des déterminations religieuses, soit à des déterminations culturelles, ou, ce qui nous préoccupe ici, à des déterminations économiques. Et cela quand bien même il s’agirait de les critiquer.

Alors pourquoi pensons-nous que l’économique a une place déterminante dans nos sociétés? La réponse est précisément parce qu’elle occupe aujourd’hui la place de Dieu. Elle tend à prendre un caractère sacré, transcendant, intouchable. Pour exemple, ne remarquez-vous pas à quel point la manière avec laquelle on appréhende aujourd’hui la crise économique ressemble furieusement avec la manière dont on comprenait les catastrophes il y a quelques siècles encore. « La » crise est abordée à la manière d’une « tempête », d’un « tsunami », « La » reprise économique, dont on nous rabâche les oreilles, doit venir comme quelque chose de providentiel, etc… A tous les coups, ceux qui gouvernent et décident renvoient à chaque fois à une sorte de fatalité, à une sorte de destin malheureux qui nous touche sans que l’on ne puisse rien y faire, à part jouer les pompiers. A chaque fois ils nous la présentent comme quelque chose d’impersonnel, comme un coup du sort qu’il faut savoir subir. Et cela n’est pas anodin, cela révèle quelque chose de la manière dont on se pense dans nos sociétés actuelles : le fait que les hommes sont soumis à ces lois, celles de l’Economie, sans qu’ils ne puissent rien y faire.

C’est là oublier quelque chose, l’économie n’est qu’une institution humaine et les lois, les règles qui la régissent ne sont que celles des hommes. Elle est une institution sociale et historique, ce qui signifie qu’elle n’est qu’une des manifestations de ce que sont les sociétés humaines à une époque donnée. L’économie, donc, n’est que ce qu’en font les hommes. Mais alors comment comprendre cette sacralité vis-à-vis du reste ? Avançons quelque chose : cette sacralisation de l’économie, à laquelle on ne peut soi-disant pas toucher, est constitutive du système capitaliste en tant que tel. On le sait*, historiquement ce dernier se constitue sur la base de cette séparation entre la dimension économique, celle du marché, et la souveraineté politique qui est aujourd’hui, théoriquement, celle du peuple, celle de la démocratie. En d’autres termes cela signifie que l’économie, au XVIème siècle, s’est autonomisée. Elle est resté « un espace franc, un espace libre »***, un espace qui devait rester exonéré de la contrainte du pouvoir politique, celui du peuple répétons-le. Un espace dans lequel tout est permis, dans lequel il est interdit de poser des règles et des interdits. Donc un espace devant rester imperméable à l’action auto-régulatrice des hommes. ( C’est le crédo du libéralisme économique ). La question qui se pose et va se poser est prométhéenne : comment faire pour que l’économique devienne enfin un espace humain ? Comment faire pour que les hommes puissent venir y poser, de façon consciente et lucide, des limites ? Ce qui signifie, en premier lieu, qu’elle ne soit plus un espace sacré. Cornélius Castoriadis l’exprime clairement  » le prix à payer pour la liberté, c’est la destruction de l’économique comme valeur centrale et, en fait unique ».***

* « Les origines du capitalisme » E. Meiksins Wood
** « Naissance de la biopolitique » M. Foucault
*** « Démocratie et relativisme ». C. Castoriadis en débat avec le Mauss.

M.D

De l’eau à votre moulin ?

« Comment faire pour que les hommes puissent venir y poser, de façon consciente et lucide, des limites ? »

Les « hommes » dites-vous? Dans « Fait et à faire », Castoriadis, en 1987-88 les décrivait : « Un nouveau type-anthropologique d’individu, défini par l’avidité, la frustration, le conformisme généralisé (ce que dans la sphère de la culture, on appelle pompeusement le postmodemisme). Tout cela est matérialisé dans des structures lourdes: la course folle et potentiellement létale d’une techno-science autonomisée, l’onanisme consommationniste, télévisuel et publicitaire, l’atomisation de la société, la rapide obsolescence technique et « morale» de tous les « produits », des « richesses» qui, croissant sans cesse, fondent entre les doigts. Le capitalisme semble être enfin parvenu à fabri­quer le type d’individu qui lui « correspond» : perpétuellement dis­trait, zappant d’une «jouissance» à l’autre, sans mémoire et sans projet, prêt à répondre à toutes les sollicitations d’une machine économique qui de plus en plus détruit la biosphère de la planète pour produire des illusions appelées marchandises.»

Depuis ces paroles, l’individu en question s’est pris 22 ans d’une accélération inouïe dans les neurones ! Détruire l’économie comme valeur centrale ? Castoriadis donne en effet des pistes : « -s’investir dans autre chose que l’achat d’un nouveau téléviseur en couleurs », disait-il …disons un écran plasma géant. « -refuser d’abandonner le domaine public aux oligarchies bureaucratiques, managériales et financières. », « -se passionner pour les affaires communes. » , « -rejeter la distraction, le cynisme, le conformisme. », « -accepter une gestion de père de famille des ressources de la planète, un contrôle radical de la technologie et de la production, une vie frugale… ».

Mais…ajoute-t-il : « il est certain – je l’ai vu et dit avant beaucoup d’autres – que cela ne semble pas correspondre aux aspirations des hommes contemporains. Il faut même dire plus : les peuples sont activement complices de l’évolution en cours. Le resteront-ils indéfiniment ? Qui peut le dire ? Mais une chose est certaine : ce n’est pas en courant derrière « ce qui se porte » et « ce qui se dit », ce n’est pas en émasculant ce que nous pensons et ce que nous voulons, que nous augmenterons les chances de la liberté. Ce n’est pas ce qui est, mais ce qui pourrait et devrait être, qui a besoin de nous. »

J’ajouterais bien cette petite phrase de Rancière qui me tracasse depuis quelques jours : « N’importe qui peut s’émanciper et émanciper d’autres personnes, et l’on peut imaginer l’humanité entière faite d’individus émancipés. Mais une société ne peut pas être émancipée. »

Françoise.

22/02/2010 11:54

Réponse à Françoise.

J’avoue ne pas très bien savoir ce que penser des extraits que vous citez. Castoriadis fait là un constat très critique, très pessimiste aussi, de nos sociétés contemporaines. J’oserai aller plus loin, elle est même un peu déprimante. Malgré cela, il a tout à fait raison lorsqu’il dit qu’il faut « refuser d’abandonner le domaine public aux oligarchies bureaucratiques, managériales et financières ». Peut-être aussi cela fait-il longtemps que le domaine public a été abandonné, laissant le champ libre à la mise en place, depuis un demi-siècle maintenant, du capitalisme financier. L’idée de l’article était justement d’essayer de pointer sur cette dimension économique qui reste le point aveugle de nos sociétés. La démocratie reste très hypothétique tant que « l’économique », cet « espace franc » comme disait Foucault n’y est pas soumis. Et je crois qu’il ne s’agit pas simplement de critiquer les individus et leur apathie mais aussi, et peut-être surtout, les dispositifs institutionnels qui permettent le capitalisme et qui font qu’il n’est pas une chose « en soi » mais bien un « système ».

M.D

25/02-2010 1:15


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