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Les mots simples. n°17

Écrit par sur 15 mai 2010

Il y a des jours comme ça où ce qui nous entoure paraît d’une complexité insoluble. Les mots de crise économique, de gel des dépenses, de spéculation, de taux d’endettement etc… peuplent de plus en plus notre quotidien. Toute cette sémantique s’impose en effet progressivement dans les médias, engendrant avec elle autant d’inquiétudes et de confusion. Tous ces mots que nous utilisons pour parler de la situation sociale, pour comprendre un peu ce qui nous arrive, nous les empruntons donc… Mais par cet emprunt, ce que l’on risque c’est de ne voir plus que cela, de ne plus parler que de crise. Sur ce point n’oublions pas que nous parlons tout autant que nous sommes parlés. Le monde que nous vivons est aussi déterminé par le langage que nous empruntons. Et avec tous ces mots qui s’impose aujourd’hui, c’est aussi toute notre attention qui risque d’être accaparée par ce qu’ils désignent. Alors, s’il est important de comprendre la situation, il est aussi absolument nécessaire de refuser que le monde ne se résume à cela. Ce langage économique n’est qu’un langage parmi d’autres, soyons-en sûrs.

Aussi, cotoyer la poésie, aujourd’hui, a quelque chose de revivifiant. Parce qu’elle nous fait voir autre chose, parce qu’elle nous invite à sortir de ces idéologies, de ces imaginaires, appelez ça comme vous voudrez, qui circulent, qu’on écoute, et qui font les sujets de débats actuels. Or la poésie a ceci de particulier de nous porter ailleurs, d’attirer notre regard sur ce que l’on ne voit pas, que l’on ne veut pas voir, trop encombrés du langage médiatique que nous sommes. Pour l’émission « Chemins de traverse », diffusée le vendredi à partir de 17h30 sur Univers, nous avons donc eu l’occasion de nous désencorceller en rencontrant le poète et romancier Joël Bastard à la Maison de la poésie de Rennes. Ouvrier et poète donc, il nous rappelait quelque chose d’essentiel pour nous : commencer par dire ce que l’on voit autour de soi, tout simplement cela, est ce qui initie son travail d’écriture. Toujours se mettre au niveau, à la mesure de ce que l’on perçoit. Commencer par regarder ce qui nous entoure et à quoi on fait pas attention habituellement. Autre chose, son écriture se fait toujours en marchant et en prenant des notes sur le chemin, elle se fait hors les murs. Et c’est ce à quoi il invite les autres : « j’aime que les enfants écrivent tout simplement ce qu’ils voient… et cela s’écrit tout seul. » Ce n’est qu’à la fin de ce chemin que le travail de la forme s’opère.

Ici, on est loin des souvenirs souvent difficiles de la poésie apprise par coeur à l’école, et souvent vécue comme une punition. On est loin aussi d’une poésie dont il faut comprendre tout les tenants et les aboutissants pour pouvoir y prétendre. De règles, de sémantiques ou de figures de style, tout cela ne vient qu’après. Du moins, le geste initial, l’envie d’écrire n’est suscitée que d’un ailleurs de l’écriture. Et ainsi, l’approche est simple et joyeuse : « Les consignes ? Ecrivez ce que vous voyez avec ce que vous imaginez être de la poésie… Moi je n’ai pas tellement de protocole, je ne sais toujours pas ce qu’est la poésie, donc je tente d’en écrire, j’essaye d’en écrire, je vise le poème… je dis toujours la même chose et je ne dis pas beaucoup plus que cela. Là vous avez toute ma méthode… » L’invitation qu’il nous lance, dans sa simplicité même, est d’une grande profondeur : celle de développer, à travers l’écriture, notre perception des choses. Elle est aussi le signe d’un rapport au monde qui lui reconnaît son inévidence. Un rapport qui sait voir que ce qui nous environne est aussi plein de poésie, tout l’art étant justement d’y mettre les mots. Et comme Ludwig Wittgenstein pour qui l’expérience par excellence était précisément de « s’émerveiller de l’existence du monde », la poésie comme nous le rappelle Joël Bastard, a peut-être ceci de particulier de nous inviter à faire « l’expérience de voir le monde comme un miracle « .**

*  » Manière », « Beule », « Au dire des pas »,  » Bakofé »…, J. Bastard: 1 & 2
**  » Conférence sur l’éthique », L. Wittgenstein

M.D


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