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Marilyn Hacker, « Comment chanter nos chansons… ». N°799

Écrit par sur 26 mars 2024

Capture d’écran 2017-08-07 à 23.09.05« Comment chanter nos chansons si nous sommes esclaves?  » écrit l’importante poète américaine Marilyn Hacker dans ce poème sur le sentiment d’impuissance et la désillusion «Pantoum en temps de guerre», poème pour les martyrs de Mossoul.

L’été dernier (2016), alors que plusieurs régions de l’Irak tombaient sous la domination de l’organisation Etat islamique, elle a vécu l’invasion de Mossoul avec une angoisse d’autant plus vive qu’une de ses proches amies y résidant, ne lui donnait plus de nouvelles.

Ouverte sur le monde, créatrice d’une poésie féministe, politique et intime à la fois, Marilyn Hacker est un écrivain aux prises avec son temps. Quand elle prend position pour dénoncer par exemple le « déni des droits fondamentaux de la population palestinienne d’Israël depuis des décennies, y compris le ciblage fréquent des écrivains palestiniens et journalistes sur les écrivains palestiniens « .

A ce titre elle rejoint le philosophe Jacques Derrida : voir dans la poésie (ou lui restituer) un inépuisable registre de résistance.

« Pantoum en temps de guerre

En souvenir d’Adrienne Rich

Les femmes des montagnes ont-elles été vendues comme esclaves
dans la ville d’où mon amie n’écrit plus depuis quinze jours?
L’un des Justes a rendu sa médaille.
Je m’éveille quatre fois la nuit trempée de sueur.

Dans la ville d’où mon amie n’écrit plus depuis quinze jours
il y a eu presque assez d’électricité.
Je m’éveille quatre fois la nuit trempée de sueur
et je change de chemise et je me rendors.

Il y a eu presque assez d’électricité
pour chauffer de l’eau, faire du thé, se laver, envoyer des mails
et qu’elle change sa chemise et se rendorme.
Sa mère a des calculs. Sa sœur est en deuil.

Chauffer de l’eau, faire du thé, se laver, envoyer des mails
à Mossoul, New York, Londres, Beyrouth.
Sa sœur est en deuil de son fils adolescent mort
dans un stupide accident domestique.

À Mossoul, La Havane, Londres, Beyrouth
Je change de formule de politesse, je change d’alphabet
La guerre comme un stupide accident domestique
change l’optique d’une scène à jamais.

Je change de formule de politesse, je change d’alphabet :
Hola, matin de lumière, ya compañera.
Change l’optique d’une scène à jamais
présente, et toujours complètement ailleurs.

Matin de roses, je t’embrasse, hasta luego
à toutes nos révolutions adolescentes
présentes et toujours complètement ailleurs.
On avait l’impression que demain quelque chose allait changer pour de bon.

Toutes nos révolutions adolescentes
ont les cheveux gris, boivent le café des exilés, si elles ont de la chance.
On avait l’impression que demain quelque chose allait changer pour de bon.
Elle était notre conscience et elle est morte trop tôt.

Les exilés grisonnants boivent du café, s’ils ont de la chance.
Les survivants de Gaza passent au crible des décombres en larmes.
Elle était notre conscience, mais elle est morte trop tôt,
après qu’elle a parlé de plus d’un désastre.

Maudissant, en larmes, des survivants passent au crible des décombres.
L’un des Justes a rendu sa médaille
après qu’il a parlé de plus d’un désastre,
Comment chanter nos chansons si nous sommes esclaves? »

Marilyn Hacker

Lecture. A l’occasion de l’édition 2017 du festival des Polyphonies organisé par la Maison de la Poésie de Rennes. Où elle évoque son amitié avec la poète et activiste syrienne Fadwa Souleymane

Prise de son et mixage Radio Univers.

D.D


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