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Précaires. N° 14.

Écrit par sur 3 avril 2010

Alors voilà, les hirondelles sont enfin revenues, les jours se font plus longs et le temps plus doux. Le printemps est là, donc, mais le système capitaliste, lui, continue de s’effondrer et nous autres, embarqués avec lui dans de drôles d’aventures. Les dernières nouvelles qui nous viennent de pays comme la Grèce ou encore le Portugal et l’Espagne semblent nous indiquer un avenir de plus en plus précaire. La situation grecque en 2010 ressemble, par exemple, de plus en plus à celle de l’Argentine de 2001. Aussi les incertitudes sont nombreuses pour la grande majorité de la population européenne et ce, en dépit du retour annoncé de la croissance économique, de la reprise et des multiples statistiques dans lesquelles les gouvernements essaient de lire quelques bonnes nouvelles. En fait il semble que c’est un scepticisme assez généralisé, voire une incrédulité sur la suite des évènements qui prédomine. Comme si une grande majorité de personnes voyait bien que les conditions de vie allaient encore être plus difficiles, que ce qui était à venir était mal assuré, instable, bref précaire.

Ici le mot est en effet approprié pour qualifier la situation. On en entend pourtant parler depuis longtemps de précarité, notamment pour ce qui touche au travail, aux emplois, et donc aux revenus des gens. Mais, il semble que l’on ait franchi un pallier. Parce que ce ne sont plus seulement des personnes, ce que l’on appelle couramment « les ménages », qui se retrouvent dans cette situation, ce sont carrément des Etats. Endettés jusqu’au cou auprès des marchés financiers, les Etats eux-mêmes sont dans la précarité. Alors, pour rembouser ces dettes, leurs gouvernants ne voient d’autre réponse à donner que de geler les dépenses publiques, sociales avant tout, de geler les salaires et de déconstruire tous les dispositifs de redistribution des richesses. Santé, éducation des populations sont donc sacrifiées au profit de la finance. Ce qui a pour conséquence de plonger encore plus de personnes dans des situations de précarité. Ainsi tout se passe comme si les Etats se transformaient peu à peu, au profit et sous les injonctions de la finance, en organisateurs des situations précaires. D’ailleurs ce n’est pas un hasard mais bien le corrolaire si, partout ces mêmes Etats renforcent leurs dispositifs sécuritaires. Les exemples se multiplient : que cela aille du « Pôle emploi » qui cherche à contrôler toujours plus ce que font les chômeurs aux allocations parentales conditionnées à la présence scolaire des enfants, des politiques d’expulsion des sans-papiers aux arrestations et aux condamnations judicaires des salariés en lutte pour ne pas être licenciés, les Etats sont en train de ressérer leur contrôle sur les populations touchées par la crise. Et finalement on se rend compte de plus en plus que tout cela est du monde financier. En fait ce qui est organisé, avec la coopération des Etats, c’est une sorte de « siphonnage » par les acteurs financiers et à une vitesse accélérée de toutes les richesses disponibles. Aujourd’hui les marchés financiers, alors qu’ils avaient été sauvés par les Etats de la faillite durant la crise financière de 2008, ne font aucun cadeau.

Or cette logique qui est à l’oeuvre, cette logique révoltante n’est rien d’autre que celle du système capitaliste. La chose n’est pas nouvelle mais elle nous apparaît chaque jour de manière plus vive. Car cette logique marche à plein. Une logique qui a pour conséquence une concentration inutile de l’argent et des richesses d’un côté et un appauvrissement de plus en plus généralisé de l’autre et qui fait que la finance a une emprise toujours plus prégnante sur le sort des pays et de leur populations. Répétons-le, la chose n’est pas nouvelle. Les pays de sud, notamment d’Afrique, connaissent cela depuis bien longtemps. Et c’est dans cette dynamique que le dispositif de la dette est essentiel. En effet par ces mécanismes d’endettement des Etats auprès des marchés financiers, c’est l’avenir de ces premiers qui est déterminé par le bon vouloir des seconds. Et, malheureusement le sort des Etats déterminent souvent celui des peuples qui leur sont soumis. Ici le mot de « précaire » semble approprié pour qualifier la situation. Arrêtons-nous un instant sur l’étymologie. Dérivé du latin précari qui veut dire « demander en priant » « ce terme juridique qualifie ce qui n’est octroyé que grâce à une concession, une permission révocable par celui qui l’a accordée »*. Or n’est-ce pas là la situation des personnes sans revenu qui prie leur banquier de leur prêter quelques moyens de vivre ? La situation de tant de chômeurs qui doivent faire des pieds et des mains pour pouvoir toucher ce qui est pourtant leurs droits ? Ou encore celle de la Grèce qui prie les marchés financiers de lui prêter de quoi pouvoir continuer de faire fonctionner le pays ?

Alors ? Alors, tout cela nous rend de plus en plus visible la manière dont fonctionne ce système. La maxime de notre époque, celle qui nous est adressée par les sphères décisionnaires est très clairement celle-ci : « nous n’avons plus besoin de vous. » Et c’est en effet selon cette optique que les choses se passent : « plans sociaux », licenciements en pagaille, réductions de postes, chômage de masse ne sont rien d’autre que les moyens d’assurer la rentabilité des affaires. Le capitalisme que l’on qualifie aujourd’hui de financier ne fonctionne que sur la base d’une rationalisation économique qui expulse tout ce qui ne dégage pas suffisamment de marges. Ainsi « plus le système se concentre, plus il expulse des catégories entières. Plus il se hiérarchise selon la loi et la valeur, plus il exclut ce qui résiste à cette loi. » ** Et c’est là un drôle de renversement. Là où ce système avait, pendant longtemps, longtemps oeuvré à la mise au travail, au forçage industriel et à la concentration disciplinaire de manière forcée des populations, désormais c’est une dynamique inverse qui est à l’oeuvre. Ce qui préside à l’organisation socio-économique actuelle est une logique « non plus de mobilisation générale, mais de rationalisation techno-structurelle qui a pour effet de débaucher des catégories entières , ou encore une fraction de plus en plus grande du temps social productif de toutes les catégories. »** Aussi, pour tous ceux qui se voient peu à peu répoussés à la marge, c’est une étrange impression de nager contre le courant qui prédomine. Une impression aussi d’être considérés comme « en trop » par tous les gestionnaires et autres « costs-killers ». » Car le système n’a plus besoin de la productivité de tous, il a besoin que tout le monde joue le jeu. D’où le paradoxe de ces catégories forcées de se battre pour rester dans le circuit du travail et de la productivité, de ces générations mises ou laissées hors-circuit, off limits, par le développement même de ces forces productives – l’inverse de la situation initiale du capitalisme. Des contradictions nouvelles naissent de là. »** Concluons là-dessus, la précarité des situations sociales a pour conséquence aussi la précarisation du jeu lui-même.

*
** « Le miroir de la production ». J. Baudrillard

M.D

Chronique M.D.

Dans « La société assiégée » De Zygmunt Bauman, j’avais noté ceci :

« L’un dans l’autre, la condition sine qua non permettant de satisfaire les « investisseurs globaux » et de les inciter à chercher des profits dans ce pays-ci plutôt que dans un autre consiste à rendre la condition des producteurs et consommateurs autochtones aussi précaire que possible. Pierre Bourdieu le fit remarquer à de multiples reprises, la précarité est la garantie la plus fiable contre toute résistance ou rébellion efficace visant les autorités constituées; mais aussi, aujourd’hui, les pressions globalisantes. » (2002)

Précarité, donc.

« Mais, il semble que l’on ait franchi un pallier. Parce que ce ne sont plus seulement des personnes, ce que l’on appelle couramment « les ménages » qui se retrouvent dans cette situation, ce sont carrément des Etats. » écris-tu…

Tu files vers le « macro », allons voir aussi du côté du « micro »…

Je vais te raconter une histoire : Il y a une quinzaine de jours, je suis prévenue par les collègues de l’arrivée d’un nouvel élève en 5C.
« A prendre avec des pincettes me dit-on ».
Je vois un grand gars d’1m80 s’encadrer dans la porte

-« Tout doux, me dis-je, va falloir de grosses pincettes ! »

Je l’installe au premier rang, lui fais remarquer qu’il va quand même falloir qu’il enlève les mains de ses poches pour écrire….

« pas la peine me répond-t-il fort courtoisement, je n’ai pas mes affaires. Aucun cahier, pas un crayon, rien. J’ai quitté Laval précipitamment, mais ne vous tracassez pas, je quitte le collège vendredi. »

– ?????

-« oui, ma mère a encore zappé »

– ?????

-Ma mère s’est trouvé un mec sur internet, on est donc venu ici, mais ça colle pas, alors elle a zappé, on retourne à Laval. »

Donc dans ce « présent liquide » (encore Z. Bauman), il y a aussi une précarité relationnelle terrifiante et dont les enfants sont les premières victimes : précarité au sein de la cellule familiale. Que vont être les dommages collatéraux de cette précarité-là, celle qui saborde l’enfance ?

L’engagement devient précaire, la relation devient précaire, on zappe pour un oui, ou pour un non…peut-être davantage pour un non, d’ailleurs !

L’amour même est devenu précaire.

Françoise.

05/04/2010 11:48


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