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Retour de balade. N°553

Écrit par sur 7 novembre 2012

Retour de balade. J’ai découvert un endroit formidable, un site remarquable peu connu de la côte bretonne, nommé Locquémau. Un tout petit port qui s’avance dans la mer sur une pointe rocheuse. Avec vue superbe depuis la pointe du Dourven, un domaine départemental de 9 hectares au paysage boisé qui lui fait face.

Cela un soir au coucher du soleil quand celui-ci est en partie masqué par de gros nuages noirs et lourds. Imaginer le tableau : la mer agitée, la crique et l’écume, le petit port sur une fragile avancée tournée vers le large, le grand ciel nuageux traversé par des rayons de soleil oranger, la nuit tombante ou le jour finissant (au choix). Sublime ! Multitude sauvage. Face à pareille beauté on regretterait presque de ne pas être poète, écrivain, peintre ou photographe pour le proposer en partage. Tant pis ! J’en indique le lieu c’est déjà ça.

En fait, ce n’était pas pour ça que nous étions arrivés à Trédez-Locquémeau, Côtes d’Armor. Ni à cause d’un itinéraire Bis. Le but du déplacement était de visiter une galerie d’art contemporain, ouverte d’avril à novembre, abritée par un bois de pins. Et dans cette ancienne maison d’habitation aménagée en espace d’exposition, s’y tient tous les jours pendant cette période de l’année, une exposition de création contemporaine dont la visite est gratuite.

Faisant suite à leur résidence de six mois passée à l’intérieur du Lycée Félix Le Dantec de Lannion, deux artistes réalisateurs y présentaient leur travail. Le thème : « Dossier scolaire ». Avec pour point de départ : «On s’est servi des archives du lycée, surtout les anciennes lettres d’absence, que les parents rédigeaient pour excuser leurs enfants.».

Au Dourven, le visiteur ainsi est invité, à son tour, à entrer un peu à tâtons dans les éléments du décor à intrigue qui ont servi à la fabrication du film. Soit un dédale d’armoires d’internat peintes en rouge, qu’il distingue un peu dans la pénombre avant d’aboutir devant la projection du film « Dossier scolaire ». Dans lequel l’on voit trois lycéens aux rapports de bric et de broc l’un avec les autres, à l’apparence biens d’aujourd’hui, assez mal dans leur peau comme aujourd’hui, évoluer dans un espace délabré, dévasté, aux strates en décomposition comme le sont les anciens locaux de pensionnat et sa piscine aujourd’hui. Des dispositifs censés produire des effets. Mais en vrai, ces endroits sont désaffectés depuis un certain temps. La caméra scrute le mouvement et les arrêts autour des corps. Qui bougent comme on bouge aujourd’hui. Est-ce la raison pourquoi l’on n’entend pas parler ? En un autre temps, ça blablatait dur. La parole s’éteint ?

Evidemment l’ambiance embastillée, quadrillée, ressentie renvoie à l’atmosphère d’un lieu carcéral. Bref, une scène de plus dans l’habituelle représentation de l’enfermement symptômal, se dit-on, ça manque un peu d’air. Avec cette esthétique on se rejoue le côté régime totalitaire. Pas d’histoire, pas de désirs, pas de mots. Pas d’appétit. Manque l’avenir. Désespérons. Bon, le tout est un peu fort de café au regard d’une question, somme toute, mineure: comment se dépatouiller d’un mauvais « Dossier scolaire »? En jouant sur la juxtaposition de temps et d’usage, la scène cherche à symboliser une disposition, une distribution, un ensemble de rapports. Ceux évidemment d’un côté, de ces trois élèves qui rongent leur mal-être en silence; de l’autre, de leur institution murée, elle-même en perdition.

Dans cette maison, la seconde pièce traversée est une rotonde. Mais son mur panoramique est voilé par des draps portant un liseré « Éducation nationale 1966-1967 ». Dans cette ancienne salle de séjour y est projetée, en boucle, une scène de travail de repasseuses . Celles-ci sont encore bien vivantes et bien actives pour quelques mois encore, nous a-t-on dit. Pas des actrices maniant le fer à repasser. Elles ont été filmées ainsi comme « des fantômes d’un ancien temps » nous a-t-on dit encore. Bon. Apprécient-elles pareil compliment ? Et pareille mise en images en tant qu’archives ouvrières ?

Dans cette rotonde, le geste naturel qui vient chez le visiteur est alors de chercher, discrètement et sans insister, à défaire les draps qui obstruent la large baie. Besoin d’échappée. De fuite. D’ouverture. De lumière. A coup sûr. Est-ce l’effet que recherchent à faire ressentir les artistes ?

Du coup, l’écart entre cela et l’horizon. Et c’est dans cet écart que réside la beauté du lieu. D’automne. Tout est dans la perception et la force des contraires quand on passe de cet endroit clos, et de son discours, à la vue de ce formidable coin du monde ouvert sur l’immensité qu’est Locquémau, presqu’île au-milieu des mers. Ainsi ce lieu de Durven où il vente très haut, cette pointe au point de vue qui prend l’air de rien entre les pins, réveille en soi l’idée d’une capacité commune de saisir la beauté du monde d’un seul regard au coucher de soleil. D’où une légère rougeur optique, en plein vent, et dans la tête une musique de flux reflux venant de loin. Ce moment qui passe à toute vitesse. A ce moment-là, un autre type d’art ? Oui, en fin de course.

D.D


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