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Rigueur, vous avez dit rigueur ? n°21

Écrit par sur 22 juillet 2010

« Rigueur », le mot est lâché. Après avoir été jusqu’ici quelques peu spectateurs de la crise qui touchait les banques et autres acteurs financiers, après avoir assisté à leur renflouement sans contrepartie sérieuse de régulation, après avoir compris aussi que cette crise est la conséquence de trente années de progression des revenus du capital au détriment de ceux du travail et qu’enfin nous aboutissons à une situation où la logique de spoliation des richesses par le capital s’est encore renforcée, le mot « rigueur » officialise à présent une chose : les gouvernements veulent désormais faire payer le coût de la crise à ceux qui n’en ont pas les moyens. Avoir sauvé en urgence le système financier, en gardant intactes ses pratiques, signifie désormais sacrifier tous les dispositifs de redistribution des richesses et des sytèmes de protection sociale. Sans parler évidemment d’une pression accentuée sur le travail et les salaires.

La rigueur, dans la bouche des gouvernants actuels, se veut pourtant neutre. Le discours est de pointer du doigt les déficits des régimes de retraites, de sécurité sociale, d’aide au chômage… et plus généralement de ce que l’on nomme l’Etat social. La situation de ces dispositifs serait ainsi dûe à un laxisme dans la gestion des dépenses, auxquelles il s’agirait à présent de mettre un terme. Retour d’une gestion rigoureuse, donc… qu’on nous rappelle et qu’on nous impose pourtant depuis longtemps déjà. N’a-t-on pas vu depuis une dizaine d’années se succéder des plans d’économie visant les dépenses sociales, accompagnées de déréglementations des droits sociaux, et cela sans que la situation ne s’améliore ? Au contraire, plus sont mises en oeuvre ces politiques de réduction des dépenses, plus la situation empire. Sur ce point on ne peut manquer de faire le parallèle avec ces entreprises qui engagent des réductions drastiques de coûts, ce qui se traduit par des plans sociaux et des réductions de salaires, pour finalement quelques années plus tard délocaliser. Allons, ne soyons pas naïfs ces politiques-là ne sont clairement qu’un jeu de dupe.

On le sait, à partir des années 80 les politiques économiques et sociales qui ont été mises en place à peu près dans tous les pays du monde sont d’inspiration néolibérale. Elles consistent dans leur ensemble à remettre en question toutes « les politiques redistributives, assurantielles, planificatrices, régulatrices, protectionnistes »* qui étaient en vigueur depuis la fin la seconde guerre mondiale. En d’autres termes il s’agit d’abattre ce qui avait été installé pour encadrer et brider le processus d’accumulation du capital : dérégulation de la finance, privatisation des biens publics, réduction des dépenses sociales, dérégulation du marché du travail, etc… qui se traduit en fin de compte par la réduction des revenus de ceux qui travaillent et l’accroissement des richesses de ceux qui les détiennent déjà. C’est bien dans ce contexte général qu’il faut comprendre les politiques de rigueur actuelles, dans la mesure où elles ne font que continuer, comme si de rien n’était, ce programme néolibéral d’extension du « libre-marché » et de la concurrence à tous les échelons de la société. Déposséder ceux qui n’ont que le travail pour subsister au profit de ceux qui détiennent les capitaux, voilà la rigueur dont on nous parle aujourd’hui.

Et ici, ce n’est évidemment pas que d’économie dont il est question mais bien de décisions politiques majeures. Parce que l’Etat social, dans nos sociétés considérées comme individualistes, a une fonction essentielle : celle d’assurer la solidarité, et donc la cohésion sociale. Robert Castel dit ainsi que « les ressources en matière de solidarité informelle sont pratiquement épuisées. Les protections ménagées par l’Etat social s’y sont substituées, et pour l’essentiel en tiennent lieu aujourd’hui. D’où le caractère devenu vital de ces protections. Les éradiquer ne seraient pas seulement supprimer des « acquis sociaux » plus ou moins contestables, mais casser la forme moderne de la cohésion sociale. » Aussi « imposer d’une manière inconditionnelle les lois du marché à l’ensemble de la société équivaudrait à une véritable contre-révolution culturelle dont les conséquences sociales sont imprévisibles, car ce serait détruire la forme spécifique de régulation sociale qui s’est instituée depuis un siècle. »**

Ceci posé et partant de ce point de vue, celui de la cohésion sociale, ce discours sur l’exigence de rigueur ne doit-il pas s’adresser en premier lieu à ceux qui ont le plus profité de la permissivité de l’Etat ? A un moment où les marchés financiers sont en train de faire chanter les Etats et de les pousser à sacrifier tout ce qu’ils ont de social, on se laisse en effet à imaginer à quoi pourrait bien ressembler des plans d’austérité visant les marchés et autres riches actionnaires. Quelles formes pourraient bien prendre des mesures strictes et sévères concernant ces derniers ? interdiction de la spéculation? abolition des dispositifs, pourtant illégaux mais bien existants, d’évasion fiscale ? communisation des banques ? abolition de l’actionnariat ? abolition du capitalisme lui-même ? Après trente années de laxisme et de relâchement des contraintes visant ces acteurs, leur permettant de faire tout et n’importe quoi pour accumuler les profits, ne serait-il pas temps d’engager ce genre de mesures à leur propos?

* « La nouvelle raison du monde » P. Dardot, C. Laval
** « Les métamorphoses de la question sociale » R. Castel

M.D


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