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Tonalité locale. N°557

Écrit par sur 5 décembre 2012

Dans son livre récent « Le Dépaysement, voyages en France », Jean-Christophe Bailly écrit ceci sur Lorient : « Certes, il ne s’agit pas d’en attendre des aquarelles représentant la rade ou des sculptures qui reprendraient la tenue formelle des balises (encore que cette tenue soit très grande, je me souviens de tout un échantillonnage répandu sur un quai, il est vrai que c’était à Brest…), mais il faut bien qu’en des points secrets et par-delà les théories, les axiomes et même les pratiques l’esprit des lieux s’infiltre : non seulement à travers un enseignement, un compagnonnage ou du fait de la fréquentation de tel café ou de telle plage, de telle boutique ou de telle rue – la rue du Bout-du- Monde par exemple où, je l’ai dit, existent justement des ateliers sauvages -, mais d’abord à cause de l’air, de la couleur ou de la vivacité de l’air, et là, selon cette pensée, ce qui vient c’est le vent ou un accord entre le vent et la lumière, un certain effet de nature dont cette ville, décidée autrefois par le très peu rêveur Colbert, est le réceptacle. Ce que sait chaque particule de poussière volant sur le port ou même chaque fleur de genêt de rond-point, comment à la fin n’en serait-on pas imprégné ? La question peut se déplacer – elle est partout la même, c’est celle de la résistance de la tonalité locale, et le fait qu’on y tienne tout en sachant qu’elle ne tient à presque rien. »

Ainsi se pose-t-il la question. De façon fort bien dite. En tout coin du monde, il y voit « la résistance de la tonalité locale ». Qui relève d’une culture historique et humaine.

Alors ici, entre la terre et le ciel, c’est quoi ce « presque rien »? Ce que sait chaque particule de poussière? Qu’il pleut toujours. Particularisme régional assez connu. L’esprit des lieux qui s’infiltre? L’air du grand large? Gorgé de flotte. Parlez-en à ce qui mouille, le corps, la terre, et la boîte crânienne. La résistance de la tonalité locale? Pas le choix. Ici, en Bretagne, ça trempe énormément. D’ailleurs, perdue la bonne sensation des rayons chauds du soleil vibrant. Et du grand air sur la couenne presqu’ilienne. Parie que chaque genêt de rond-point perçoit la même chose.

Adepte de la trombe d’eau obligée de matin tôt sur quai de gare sans abri, de la marche et du parapluie, j’habite le monde à l’unisson avec la nature. C’est ce que je me dis. Sur l’instant. Et ensuite. Du coup, ça dicte un mode de vie. A flot rendu. Car mettre la pluie dans sa poche comme si de rien n’était, tenter de passer outre, d’outrepasser sa situation liquide, ça ne colle pas. Et tu n’es pas plus riche.

Jean-Paul Dollé disait, reprenant-là le poète Hölderlin, « L’homme habite en poète ». Ainsi à l’égard de la tonalité locale, en découle depuis l’art paléolithique « le fait qu’on y tienne tout en sachant qu’elle ne tient à presque rien » (Bailly). Dollé disait aussi pour comprendre l’écologie qu’il suffisait d’imaginer ce que devient un poisson en bocal quand on lui retire son eau. Sommes pareils. En Bretagne, l’eau nous habite et l’humidité de l’air est notre paysage. Bleu pluie. Voir ce grand ciel immense. Aux nuages bas et lourds. On y tient! Et puis s’il fallait encore qu’un septique s’en fasse une raison à minima, qu’il s’intéresse aux faits: voyez un corps qui perd son eau… ça cloue au sol. Reste pas grand chose à la fin. En terme de poids et de vivacité.

En Bretagne, cette tonalité locale si fragile qui résiste n’est qu’une immensité. Oubliée, au plus intime de la pensée. Intimité perdue. Chose dont on ne parle pas. Ou dont on parle mal. Mais perçue, par le corps. Quand tout baigne côté santé. A l’heure où les Colbert d’aujourd’hui déposent leurs rêves dans un « cloud » à la con (voir Chronique précédente), sur ces ronds-points si moches qui dénaturent les villes, dressons-lui en connaissance de cause, de belles couronnes de fleurs de genêts couleur soleil, à cet autre « effet de nature » si commun et si présent partout, tout autour et en dedans des corps tant imprégnés: l’eau sous toutes ses formes. En pluie bienfaitrice, bien descendue, ou en vapeur, en buée, en brouillard, en crachin, en courants d’eau, etc. Car ce qui chemine dans ce monde finalement c’est elle.

D.D


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