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« Toute pensée vole. » N°831

Écrit par sur 21 mars 2018

Capture d’écran 2018-03-21 à 13.27.50Depuis quelques jours, j’ai sous mes yeux tout en haut du grand châtaignier du talus, positionné pile poil dans l’axe de la maison, comme un totem ou un phare végétal, voire un magnifique belvédère pour qui sait s’y hisser, la fabrication d’un nid de corneilles avec les allers et venues du couple qui le forme.

Sans excédent de bagages, il s’est installé là après repérage, je suppose. Voire en y élisant domicile par empathie pour ce lieu au caractère fort pratique. Les matériaux sont sur place, brindilles, crins d’âne et poils de chèvre, paille, mousse, etc.

Bref, tout ce qui, à terre, est à la libre disposition d’un approvisionnement rapide pour l’assise du nid comme pour la préparation de la ponte d’avril.

Le coin est calme, belle vue, aucun danger alentour, et leurs voisins de proximité qui les regardent bienveillants façonner leur habitat comme en témoigne cette présente description, font preuve à leur égard d’une délicate attention. Luxe appréciable, au sol, le pied du châtaignier est entouré d’un ban de jonquilles sauvages d’un jaune tendre. Et pour la nourriture des rejetons, vers de terre, insectes et larves, etc. Bref, au ras du sol, tout le crottin d’âne est à disposition à toute heure. Dedans, il y a de tout.

Tout se présente donc à merveille. Reste à accorder les violons avec pies, pigeons et autres geais, tous habitués d’antres et de lieux dans ce même talus et qui, chaque année, dans ses arbres sont aimablement reçus.

Pareille description un brin bucolique vise ici, je l’avoue, à planquer mon désabusement devant l’amoncellement de problèmes nouveaux que nous léguons aux générations futures. Dernier en date, ce qui ressort des dernières études du CNRS et du Muséum d’histoire naturelle.
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Celles-ci soulignent une situation « proche de la catastrophe écologique ». En nous alertant sur la très inquiétante disparition des oiseaux dans les campagnes, causée par la destruction des biotopes: « Les oiseaux disparaissent des campagnes françaises à une « vitesse vertigineuse ». Ce déclin « catastrophique », d’un tiers en quinze ans, est largement dû aux pratiques agricoles » selon ces études. A lire ici & .

Du coup, observant à distance ce nid d’ici, nid de là, je m’enveloppe dans cette pensée forcément terrible: à présent, devant mes yeux, à la cime du bel arbre, sur ce promontoire protecteur se construit là, par un couple de clandestins qui fait ce qu’il a à faire, revêche et intraitable, l’un des nids de la Résistance.

Capture d’écran 2018-03-21 à 10.18.56Pensée habitée aussi à cet instant par ce qu’écrit Jean-Christophe Bailly, dans son livre le parti pris des animaux (pg 76): « … dans la voie que chaque animal ouvre et qu’il nous laisse en partage, comme un sillage éteint dans l’immensité de la nature. Le vol, par exemple, et tel qu’il se destine pour chaque oiseau par-delà son mode générique. Le vol qui est sans doute pour nous ce qu’il y a de plus inimaginable mais aussi de plus désirable, qui est ce que nous n’avons absolument pas rejoint en fabriquant des avions mais que peut-être il est vaguement possible de se figurer en faisant du planeur. Le vol – mais celui des voiliers ou bien des rameurs? Celui des oiseaux de mer ou des oiseaux des champs, des rapaces nocturnes ou des colombes? Celui que l’on assimile à un surplomb solitaire et royal ou celui qui ne s’apprécie que dans d’incroyables chorégraphies collectives?

Par conséquent une déclinaison du verbe être profilant des lignes chaque fois différentes, des lignes que l’on se figure aisément comme des êtres algébriques écrivant leur partition dans l’espace – frôlement d’épaule totalement silencieux d’un chat-huant, départ plongé d’un oiseau de mer, onde stationnaire d’un oiseau-mouche, morphing incessant d’une bande d’étourneaux. Ce qui résulte de cela – et qui en résulte immédiatement- sans qu’on puisse aucunement accompagner le mouvement qui s’amorce et qui reste donc un mouvement de pensée, c’est une dilatation de l’espace, et non pas de l’espace abstrait mais de celui qui nous entoure et que nous pénétrons, celui qui palpe l’étendue, qui résulte de la forme de l’étendue. Mouvement qui comporte d’emblée une sorte de dédoublement, parce que dans l’idée de vol – trait fuyant ou glissé, ligne flottante, mais aussi battement volontaire- l’idée se voit, se voit elle-même, dans une allégorie – celle-là même, je m’en souviens, que Vicino Orsini fit graver au-dessus de la gueule ouverte de l’ogre du parc de Bomarzo: Ogni pensiero vola: « Toute pensée vole « .

Ainsi, à l’instar des oiseaux, toute pensée vole. Mais avec toujours moins d’oiseaux qui chantent le printemps, mésanges, rossignols ou rouge-gorges, et le silence progressif de leurs gazouillis qui annoncent le retour des beaux jours, nos envols (nos pensées) ne seraient-ils pas déjà à leur tour menacés?

D.D

ruCe qui a été dit et écrit ici-même autour de la biodiversité, de la FNSEA, et de Jean-Christophe Bailly.


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