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Vieille photo. N°452.

Écrit par sur 18 novembre 2010

Prendre conscience de son époque. Ah ! ce n’est pas si facile que ça. Comme la société se réfère toujours à autre chose qu’à elle-même, celui qui la regarde est lui-même tributaire de l’autre chose. Peut être est-ce la raison du succès que connaissent les photos anciennes. Parce qu’en les regardant attentivement l’on s’aperçoit qu’elles en disent beaucoup sur leur époque et par contre-coup nous aident à mieux cerner la nôtre.

Par hasard, dans des archives familiales, j’ai mis la main sur une vieille photo de mariage qui reste de bonne qualité bien que le temps ait hélas fait son œuvre. Un point technique en passant, si un doute s’installe sur le caractère inaltérable des photos numériques, retenons ici que l’on ne peut pas lutter contre le temps et que le vieillissement des supports photographiques est inévitable (et fait partie du charme de ces vieilles photos).

Dans ce carré de papier qu’est ma photo ancienne redécouverte, au tirage d’époque, parmi une cinquantaine de mariés et de convives, de cinq personnes à servir et d’un accordéoniste, au premier regard je cherche si éventuellement je connais quelqu’un. Puis avec bonheur je découvre mes grands-parents à un âge que je n’ai pas connu, puis mon père qui alors avait dix ans pas plus. Il me semble bien que l’une de mes arrières-grands-mères y soient aussi, il n’y a pas de raison. Mais plus personne n’est là pour me l’indiquer. Allez ! j’estime que l’une des deux serait la mienne. Elles se ressemblent. Elles portent chacune une coiffe, un tablier brodé, et un châle de laine. La coiffe est l’une de celles d’Ille-et-Vilaine appelée la  » Polka  » . Quant aux bacchantes de vieux matous qu’ils ont tous , les pères et grands pères…

Ce qui est incroyable, c’est à quel point aucune de ces grands-mères ne rit. Mais en regardant l’ensemble tous les visages sont graves, pas souriant d’un poil. C’est général. Les gens sur ce cliché des années 30 donnent l’impression de tirer vraiment la gueule devant l’objectif. Donc, une expression à l’opposé des photos des mariages d’aujourd’hui quand, précédant la prise de vue et sa mise au point, le photographe demande à ce que chacun dise fort « Ouistiti » afin que l’on y ressente l’expression d’une joie collective et partagée, d’un bonheur, d’une réussite amoureuse. En confrontant cette photo à celles d’aujourd’hui, pas de doute par l’expression même des visages l’on confirme : non, la société n’est plus la même. Mais par delà tout legs judéo-chrétien, romantisme et mysticisme mêlés, après tout, pourquoi donc apparaîtrions-nous souriants ou fanfarons quand l’engagement entre deux êtres dans un avenir à construire nous paraît sérieux ? D’autant quand ce n’est pas forcément la nature même de chacun et qu’on attend le repas de noce pour se débrider.

Qu’est-ce que ça signifie ? Il est dit que les Bretons étaient pessimistes. L’anthropoloque et économiste Paul Jorion déclarait récemment dans Ouest-France du Morbihan qu’il se sentait Breton pour cette raison: « la façon dont les gens se comportent me correspond ; une manière d’aborder le monde qui me touche. Ils ont une façon pessimiste de voir les choses, pas fataliste mais un regard extrêmement noir sur l’existence ».

Par delà le décorum de ce portrait social d’une famille modeste d’origine ouvrière et paysanne d’Ille-et-Vilaine, dans ce contexte photographique de la constitution d’un commun, faut-il y voir ainsi du pessimisme? Ou de la gravité face aux incertitudes et épreuves, chagrins et infortunes à venir? Ou dans la confrontation de ce social à l’histoire, de quelle certitude intuitive sont-ils bâtis en 1932? Ou bien faut-il y voir une manière d’être plutôt empesée qui manque de naturel, d’aisance, de décontraction, de relâchement face à la photographie ; cette médium inconnu qui intimide dès qu’il est pris au sérieux?

La prise de vue, déjà : la chose étrange, le cérémonial, la magie entretenue par le photographe professionnel. Les regards convergent vers la boîte, incrédules…. « On ne bouge plus, attention le petit oiseau va sortir ». quelle formule ! On est loin du « cheeze » artificiel qui va faire grimacer toutes les têtes de fromage des assemblées futures…Et ils sont là, tendus, pas question de « flouter » l’image, de « gâcher » l’image (au demeurant fort coûteuse !) en pinçant en douce les fesses de la cousine ou en faisant les cornes au tonton. L’heure est grave. Mais l’époque elle-même est grave, austère, « austérité paysanne teintée de religion ». Pareille attitude était-elle générale d’une région à l’autre ?

« Ils se ressemblent tous » dirait-on. Oui ! pas seulement à cause des tronches, la même coupe de cheveux pour les hommes, les mêmes chignons pour les femmes, L’Oréal et la mère Bettencourt ne sont pas encore arrivés dans les campagnes ! mais aussi…Ah! « tous habillés pareils » dirait-on. Oui, il y avait les habits de jour de fête, tous taillés dans le même coupon acheté à la foire ou au même colporteur. Peut-être l’unique paire de vraies chaussures fabriquées par le cordonnier du coin, le tablier brodé reçu dans le trousseau, la coiffe amidonnée, la chemise à plis piqués à touts petits points…

A l’arrière de l’« assemblée » -mais c’est LA famille ! avec les enfants et les cousins et petits cousins autour des aïeux…, et je ne parle pas des enfants des cousins qui se sont mariés entre eux…ceux-là côté ressemblance, ils sont vernis !- en arrière plan donc du portrait de groupe à la tonalité grave et profonde, garante d’un tissu de relations dures, est dressé un grand drapeau qui nous renvoie à d’anciennes conceptions patriotiques de l’imaginaire collectif et de l’esthétique de ce temps. Avec d’inscrit sur la toile, « Honneur à la Classe 1932 ». Entre savoir et plaisir de l’œil, ces formes de la représentation photographique témoignent d’une réalité constitutive d’un imaginaire social : le souci de construire son image.

De ce côté des us et coutumes, à titre comparatif, allons voir dans quel imaginaire photographique baigne-t-on aujourd’hui : « Les goûts des jeunes couples ont changé, changent encore, fini les mariages plon-plon et les photos figées, impersonnelles, les couples veulent de l’original, des sentiments qui « transpirent » des images, de la vie et parfois même de la photo de mode, de Star un brin volée façon « paparazzi  » et magazine people. En photographie de mariage, tout d’abord nous vous écoutons, vous questionnons afin de connaître un peu de vous, de vos goûts respectifs, de vos professions, de vos hobbies, de vos souhaits et nous appréhendons forcément la force de votre amour. » ( lu sur un site internet d’un photographe de mariage).

Mais une photo c’est destiné à quoi, au fait ?! Regard vers le passé ? Se remettre en mémoire cette vie-là, ce n’est pas remonter (ou pourquoi pas descendre ?) vers le passé , c’est conduire en parallèle ce regard là et celui que l’on pose sur le jean à ras la raie des fesses, un uniforme en supplantant un autre , le sourire siliconé et la tronche exposée aux UV, sur l’instabilité, la superficialité ambiante…De la fierté mais nulle arrogance dans ces postures figées …

D.D


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