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Subvertir l’impérialisme de la conscience. N°620

Écrit par sur 26 février 2014

« En politique comme en psychanalyse un sujet ne saurait exister sans parole, sans autrui. Les changements qui se sont accomplis en psychiatrie depuis une trentaine d’années constituent un bon exemple de la crise des valeurs qui menace l’humanité dans l’homme: les modes d’emplois et les grilles d’évaluation statistiques ont remplacé le dialogue clinique et les récits de vie. » Ainsi s’exprime Roland Gori en 4ème de couverture de son dernier livre Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux?

« Ne faut-il pas avec René Char dire: « A tous les repas pris en commun nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis »?
Face à cette abdication de la liberté qui se profile aujourd’hui à tous les niveaux du lien social, il est plus qu’urgent de se souvenir avec Heidegger que « l’interrogation est la piété de la pensée ». Cette piété, il semble que nous l’ayons oubliée et que, au nom de la technique, elle disparaisse de l’horizon même de ceux qui font profession de prendre soin de la « vulnérabilité » humaine, à commencer par les souffrances psychiques et sociales. C’est ainsi que, progressivement et insidieusement, la psychiatrie est devenue « fataliste », a renoncé au courage de penser et s’est résignée à une pratique de « techniciens », « codeurs » prompts à classer, faute de pouvoir comprendre et soigner. » (Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux? p40)

Eh bien, voici une bonne introduction à ce texte de Jean-Paul Dollé qu’il consacrait en particulier à Freud et Lacan, penseurs incontournables dans ce domaine.

« Subvertir l’impérialisme de la conscience.

On connaît les mots célèbres de Freud : « Je me suis refusé l’éminent plaisir de lire les œuvres de Nietzsche dans l’intention délibérée de ne pas me laisser entraver dans l’élaboration des impressions reçues en psychanalyse par aucune sorte d’idées anticipatrices. Nietzsche, philosophe de qui les divinations et les intuitions concordent souvent de la façon la plus étonnante avec les résultats laborieusement acquis de la psychanalyse, fut pendant longtemps évité par moi pour cette raison même ».

La relation entre psychanalyse et philosophie est depuis le début, c’est-à-dire depuis le geste fondateur de Freud, celui d’une proximité, voire d’une ressemblance à la fois redoutée et désirée. Tout se passe comme si la condition de possibilité de l’émergence de la psychanalyse comme nouveau champ du savoir avait impliqué que fut volontairement ignorée ou plus exactement (momentanément ?) repoussée la tentation philosophique, c’est-à-dire la prétention à embrasser la totalité de l’être. C’est que la découverte de l’inconscient, comme le rappelle Freud, aggrave la blessure narcissique qu’avaient déjà ouverte la réfutation de l’héliocentrisme opérée par Galilée et la remise à sa place de l’animal-homme dans la chaîne évolutive du vivant effectuée par Darwin. Bref, comme le dit Freud, le moi n’est plus maître dans la maison. La conscience –le sujet pensant des philosophes- est destituée de sa royauté : rude coup pour la métaphysique !

Lacan continue cette entreprise de décentrement, en ce sens se déclare, à l’occasion, « anti-philosophe », si on entend, par philosophie, comme une certaine manière de philosopher l’a donné à accroire, un savoir qui se voudrait totalisant sur l’être et le monde. « La psychanalyse n’est pas une Weltanschauung. » C’est le titre du dernier article de Freud des Nouvelles conférences. Lacan le redira. Ce qui ne l’empêchera pas –bien au contraire- de faire son miel de la philosophie classique et des recherches de ses contemporains capitaux, Heidegger, Merleau-Ponty, Lévi-Strauss. Dans son séminaire de 1977, « Le moment de conclure », il revient sur le rapport de la psychanalyse et de la philosophie. « Ce que je fais là, comme l’a remarqué quelqu’un de bon sens, qui est Althusser, c’est de la philosophie, mais la philosophie, c’est tout ce que nous savons faire. Mes noeuds borroméens, c’est de la philosophie aussi, c’est de la philosophie que j’ai maniée comme j’ai pu, en suivant le courant, si je puis dire, le courant qui résulte de la philosophie de Freud. »

Jean-Paul Dollé -Le Magazine littéraire- février 2004- N°428

Hum! J’ouvre la parenthèse. Sans vouloir gâcher l’idée.

Tenez! Prenez Jean-Pierre Vernant.

Qui rappelait ainsi que chez les Grecs anciens, pas d’introspection en se regardant le nombril, « C’est dans le rapport avec l’autre que je peux savoir ce que je suis ».

Du coup l’important réside aussi dans les petites choses. Un salut en passant. Un sourire, quelques mots. Parfois juste un mot. Une attention, une conversation et ça change tout. Ce n’est pas jouer la comédie. Ni être dans la représentation comme nous le sommes la plupart du temps. C’est être là. Où la mémoire est propre à chacun. C’est tout simple. Tu es comme tu es, à ce moment là. Etre inclus dans un flux de paroles sans effort, et voilà ça vient tout seul. Pas besoin de se forcer. S’accorder mutuellement du temps. Pour un monde de petites attentions, ces petites relations suscitées par les gens qui s’adressent la parole. Ou échangent un regard. Tellement devenues rares. Est-ce encore d’usage? ça se perd. Monde populaire où l’on s’adressait la parole sans froideur, qu’es-tu devenu? Pourquoi as-tu disparu? « Nous sommes dans une époque d’indifférence et d’exhibition », disait Vernant.

Et puis. Et puis. Tenez ! Sans vouloir gâcher l’idée. Qu’est-ce que c’est que cette fameuse histoire d’Œdipe?

Qui inspira fortement Sigmund Freud. Si je pousse jusque là c’est pour entendre ici ce que Jean-Pierre Vernant, spécialiste de la Grèce ancienne et de sa mythologie, en pensait: « La vision de Freud est une vision erronée parce que c’est une vision psychologisante. Il fait comme si c’est Œdipe qui avait un complexe d’Œdipe. Or, Œdipe, à plusieurs reprises, parle de sa passion pour sa mère mais cela n’est jamais celle avec laquelle il va dormir, c’est celle qu’il a abandonnée. »

Grosse ânerie? On s’interroge. « Le père de la psychanalyse » s’est donc créé une légende en démarrant à côté de la plaque. Faute d’un travail de recherche historique dira Vernant. Par rapport au mythe d’origine. Qui est un récit bourré de ressources poétiques. Considérons alors que Freud en invente un autre. Qui sera le sien. Fort ressemblant au premier. Pour représenter l’inconscient.

Rappel. Qu’est-ce que le complexe d’Œdipe vu par Freud ? il voit dans l’amour de l’enfant pour un de ses parents et sa haine pour l’autre, le nœud des impulsions psychiques qui détermineront l’apparition de névroses. Pour lui le complexe d’Œdipe entre autres, a pour fonction d’introduire la fonction symbolique entre les êtres, c’est-à-dire un jeu de significations et d’interdits qui régulent la vie sociale. Et se posent sur la vie pulsionnelle pour limiter son caractère destructeur.

Accéder au symbolique est accéder au logos, accéder à la parole. Pour délier les sens les uns des autres. Pour quitter l’autisme, quitter la folie qu’on enferme, quitter la solitude qui désespère. Voilà le postulat du vieux viennois à barbichette. Qui, finalement, se s’écarte pas de la pratique ancienne: les mots, la parole, l’autre.

Sur ce, je ferme la parenthèse.

D.D


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