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Le vent se lève. N°526

Écrit par sur 18 avril 2012

« Dans le cas de la République française, seule la politique, c’est-à-dire la volonté de vivre ensemble en partageant du commun, qui n’est ni le sacré, ni le territoire, peut réunir des individus, solitaires, jouissant de la liberté de pensée. »

La chose a été écrite par Jean-Paul Dollé. Là encore je ressors de l’ombre ce beau texte. Question d’habitude depuis la Chronique n°523. Car à mes yeux ce texte n’a pas pris une ride -depuis le temps! Il fut publié dans l’éphémère hebdomadaire « La Légende du siècle » en date du 8 avril 1992 !

« Politique. Le retour. La redéfinition du pacte social devient une exigence.

C’était devenu un lieu commun dont se délectaient les milieux que Coluche appelait « autorisés » à parler pour ne rien dire. Les Français s’abstiennent, ils s’éloignent de la politique. C’est ce que nos princes espéraient : que les citoyens se dégoûtent à ce point de leurs pratiques de pouvoir que, par mépris et lassitude, ils se désintéressent de la chose publique. Le taux de participation aux dernières élections régionales leur a ôté toutes les illusions. La prétendue « exception française », tant célébrée par les nouveaux saint-simoniens, Furet et Julliard, a disparu. Mais au fait, qu’est-ce que l’exception française ? C’est le contrat politique qui institue la Nation française comme république des citoyens. Que ce contrat vienne à manquer, et c’est la Nation française qui disparaît. Prend sa place l’Etat français vichyste de sinistre mémoire, qui s’enracine, lui, dans la terre des ancêtres et s’organise autour du Pouvoir du Chef. La collaboration pétainiste ne fut pas seulement militaire et policière, elle fut aussi, et surtout, idéologique. Au modèle de la Nation, inventée par la Révolution française, qui privilégie la citoyenneté comme critère d’appartenance, l’Etat français substitua le modèle allemand théorisé par Herder, qui définit la communauté nationale comme regroupement ethnique et linguistique. On est allemand parce qu’on parle la même langue, qu’on a la même origine et qu’on partage les mêmes croyances, les mêmes coutumes, la même culture. Bref, l’Allemand est allemand parce qu’il fait partie du même peuple. Le Français est français parce qu’il est citoyen. Cette conception est évidemment risquée car le lien social n’est fondé ni sur Dieu, comme dans les démocraties anglo-saxonnes, ni sur les identités de mœurs, comme pour les nationalismes ethniques.

Dans le cas de la République française, seule la politique, c’est-à-dire la volonté de vivre ensemble en partageant du commun, qui n’est ni le sacré, ni le territoire, peut réunir des individus, solitaires, jouissant de la liberté de pensée.

La crise touche à sa fin.

Quand des hommes politiques rabaissent ou insultent par leurs propos et leurs comportements ce lien politique, ils ôtent tout moyen aux individus esseulés de se rencontrer, et ils les renvoient, soit au despotisme (familial, tribal, économique, religieux), soit à un autisme désespérant. Il n’y a pas d’autres explications à ce que l’on nomme communément « la dépression française ».

Mais justement, la dépression, c’est-à-dire ce moment qui précède la résolution de la crise, touche à sa fin, car le politique revient. Ou, plus exactement, les digues qui étaient censées lui faire barrage se fendillent. Quelles étaient-elles ?

L’économisme, c’est-à-dire la tentative de rabattre la totalité des rapports sociaux à la seule prise en considération des critères de rentabilité et de compétitivité. Et le médiatique, qui consiste à cacher les véritables enjeux de pouvoir et les mécanismes de domination. Le médiatique produit un monde de simulacres qui est à la réalité ce que la musique militaire est à la musique. Mais aussi sophistiqués que soient ces moyens de brouillage et de censure, la vielle taupe creuse son chemin, et, comme le disait Marx (le lecteur m’excusera d’utiliser un tel gros mot), l’histoire avance toujours par son mauvais côté.

La désagrégation du système communiste ouvre un formidable appel d’air qui ne peut s’arrêter à nos frontières, sous prétexte que notre hexagone arrête les vents mauvais, comme en son temps les radiations atomiques dégagées après la catastrophe de Tchernobyl. L’épuisement possible des réserves énergétiques exige que soit examiné, et éventuellement repensé, le modèle productiviste qui régit les sociétés industrielles et post-industrielles. La poussée écologiste témoigne à cet égard d’un certain ébranlement de l’opinion.

Bref, une mutation politique est à l’ordre du jour. La redéfinition du pacte social devient une exigence. Si toutefois le désir des citoyens de ne point entrer dans un cycle de guerre de tous contre tous l’emporte sur toutes les pulsions de mort.

Bien entendu, les palinodies de notre classe politique, étalées tout au long de la semaine, ne concourent pas à l’émergence d’un nouvel espace politique. Il y a quelque chose d’affligeant à assister à ces magouilles pour se refiler Le Pen comme le mistigri. Plus humiliante encore l’attente de toute une nation des décisions du Président. Sommes-nous encore dans une République où, jusqu’à preuve du contraire, c’est la volonté générale, exprimée par le suffrage, qui tient la place du Souverain ? Patience. Rira bien qui rira le dernier. Quelles que soient les péripéties, le nouveau cours ne peut être durablement empêché. Ou alors c’est la guerre !  »

Jean-Paul Dollé.

Bien, « la dépression française », pardon, on est toujours dedans. Hélas! Pas quitté. Dedans. Cette aveuglante absence de lumière. Au constat de ces vingt dernières années, la résolution de la crise est loin d’avoir touché à sa fin. Au contraire. Dégâts au menu. Chaque matin, tout fout le camp. La politique est-elle revenue? Eh bien les digues censées lui faire barrage ne se sont pas fendillées. Ces vingt dernières années furent engluées dans des habitudes de pensée et de jugement. D’où toutes les trahisons que nous pouvons identifier sur les différents sujets. Vu de loin, ne s’est-il rien passé? Plutôt si. C’est dire combien depuis un bon paquet de temps, le Français n’est plus français parce qu’il n’est plus citoyen. C’est bien pourquoi nous sommes entrés sans vigilance dans un cycle de guerre de tous contre tous.

La preuve du bien-fondé de la thèse de Dollé (quoiqu’elle fût notoirement anticipée) : qu’est devenue la citoyenneté sous l’ère Sarkozy? Le changement de modèle ne paraît guère contestable. N’a-t-il jamais cessé ce gouvernement d’invoquer l’enracinement dans la terre des ancêtres en exaltant par exemple à la Concorde «l’héritage de la France éternelle» (signification morte de l’histoire écoulée), n’a-t-il pas organiser autour du Pouvoir du Chef, n’a-t-il pas dit qu’on est français parce qu’on parle la même langue, qu’on a la même origine et qu’on partage les mêmes croyances, les mêmes coutumes, la même culture ? c’est là une constatation. Problème: nous ne percevons pas ou si peu les modifications lentes et subtiles. Le discours change. Ruses des faibles.

Je viens d’apprendre que l’on en chasse même le grand symbole de la République française ou de la démocratie. Le vrai! Ainsi est-il étonnant d’apprendre que la grande attraction du Louvre-Lens sera le fameux tableau « La liberté guidant le peuple » (ou Scènes de barricades selon le nom donné lors de sa première exhibition le 28 juillet 1830) d’Eugène Delacroix. Pas de doute. Nul autre tableau n’est autant évocateur de la République. Eh bien, on expulse de la capitale, on la chasse, on l’exclue, on renvoie aux frontières cette scène d’insurrection populaire avec l’assaut final. Dans un nuage de poussière, brandissant des armes, la foule émeutière franchit les barricades avec à sa tête une femme mythique, elle les mène à la Liberté. A sa droite figure un gamin, symbole de la jeunesse révoltée par l’injustice. A leurs pieds gisent des soldats. Au fond de la toile, les tours de Notre-Dame. Scène qui inspira dit-on Victor Hugo pour les Misérables. Rébellion et poésie. Histoire et mémoire collective.

Temps sombres aujourd’hui où Paris se retrouve vidé de son langage. Comme image de marque, icône, cette oeuvre remplissait jusqu’ici, dans Paris, une fonction symbolique tellement forte. Sous Sarkozy est ainsi délocalisée (« décentralisée ») sans bruit « l’œuvre qui incarne l’idéal révolutionnaire et le combat pour la liberté ». Quelle curieuse coïncidence! Et tant qu’à faire détournons-en le sens: « Amis restaurateurs, hôteliers, soyez prêts »; « Les élus du conseil général en visite au Louvre-Lens : le musée devra accueillir un restaurant de très grande qualité ». Placé là comme faire valoir à la marchandise, ce tableau de Delacroix est vidé de son sens. (Ecouter Bernard Noël parler de « sens« ). Et ceci sous prétexte d’éduquer la Province… On croit rêver: dans le journal la Voix du Nord je lis ceci en titre: « Nous attendons davantage la livraison de la maison d’arrêt de Vendin ». Eh oui, même que…question retombées pour la direction du Lensotel, un trois étoiles situé dans la zone commerciale Lens 2, à Vendin-le-Vieil, ça n’va pas l’faire! Temps sombres en effet aujourd’hui où l’on délocalise dans un non-lieu par mépris de la fonction politique de la ville, cette grande oeuvre porteuse de l’idée de l’Homme.

Ceci dit, que des tableaux s’échappent de Paris, qu’ils tournent en région, je suis dac…mais pas celui-là, pas en ce moment! Car sous cette présidence s’est affiché l’esprit de vengeance: « Il faut éradiquer l’épisode révolutionnaire; non seulement lui dénier toute légitimité, mais le réputer comme nul et non avenu. Plus encore, il faut que cet épisode n’ait jamais existé et, en conséquence, il faut en effacer toute trace pour que son souvenir tombe dans le vide sans fond de l’oubli définitif. » (Dollé dans Le territoire du rien).

Mais le vent se lève. Advient l’espoir: ça se fendille ! L’effet de la vielle taupe qui creuse son chemin? Va-t’en voir. Bon, à cette heure je dis: conservons notre prudence de Sioux ! Observons. La disposition change. Alors énonçons: ça peut se fendiller. Dimanche qui vient, le premier tour, on en saura plus. Et puis l’autre, le second, le 06 mai. Et puis après. Du coup, immédiatement la redéfinition du pacte social deviendrait possible. Décision grave à méditer. Autrement dit, à la constatation d’un fait, à la constatation que si rien ne change c’est la guerre de tous contre tous qui s’intensifiera. Pas la peine d’en énumérer les détails.

Le vent se lève. Du nouveau survient. Ce rêve est sérieux. On y croit. Il est temps d’en finir. Qu’il dégage! Une telle nouveauté perpétuellement aléatoire depuis vingt ans apparaît en ces jours-ci d’une manière nécessaire. Du coup si un phénomène se produit d’une manière nécessaire, il ne se produit pas d’une manière aléatoire. Le nécessaire supprime l’aléatoire. Cela peut vouloir dire que la prophétie de Jean-Paul Dollé va se réaliser. Car la redéfinition du pacte social fondé sur l’intérêt général et le recul des inégalités est plus que nécessaire. Il y a urgence! Selon une évidence: les mondes humains ne sont pas seulement vécus, mais pensés. Dans ces conditions la politique peut prendre un sacré coup de jeune. Pas la politique politicienne, mais la politique citoyenne! Que le vent se lève! Sans quoi -et on la voit s’amplifier- c’est la guerre de tous contre tous.

D.D


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