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Thomas Vinau, « Le camp des autres ». N°893

Écrit par sur 19 juin 2019

 

« La forêt n’a jamais perdu ses propres règles, son propre règne, son ventre de nuit sauvage. Elle est restée le souffle archaïque de nos cycles, l’haleine musquée de nos origines, la reine ombragée du vivant, la ruade. Nous nous sommes tenus à l’écart pour inventer nos propres nuits, nos propres lois de bêtes orphelines, nos merveilles, nos désastres, nos propres dieux et nos propres monstres, sans jamais cesser de la craindre avec vénération. Elle est alors devenue le refuge de ceux qui se refusaient à l’homme et de tous ceux que l’homme refusait. Elle est l’autre camp. Le camp des autres. »

Thomas Vinau, « Le camp des autres. »

À travers son roman « Le camp des autres », Thomas Vinau, poète et écrivain, souhaite redonner la parole à ceux qui n’en ont pas. A ces êtres écorchés ou proscrits qui trouvent refuge au cœur de la forêt. Dans laquelle se forme le camp des autres, celui qui dérange les braves gens et bons bourgeois.

Et comme il le déclare par ailleurs « La poésie a tous les droits tant que tout le monde y a droit », c’est avec une poésie « du réel », simple, pas pédante et facile à lire, qu’il rend hommage à toute cette « indigence unifiée qui se rebiffe » et dont la forêt est le refuge ultime.

Vinau s’inspire d’un fait historique. Celui de la Caravane à Pépère. Composée de bohémiens, trimardeurs, déserteurs, anciens prisonniers évadés et anarchistes, qui ont défrayé la chronique avec leurs vols et leurs rapines. En 1907, Georges Clémenceau crée les brigades mobiles pour en finir avec « ces hordes de pillards, de voleurs et même d’assassins, qui sont la terreur de nos campagnes ». Au mois de juin, la toute nouvelle police arrête une soixantaine de voleurs, réunis sous la bannière d’un certain Capello. La démonstration de force de Clémenceau aboutira au final deux mois plus tard à de petites condamnations pour les menus larcins de cette Caravane à Pépère.

“Je l’ai gardée au chaud cette histoire qui poussait, qui grimpait en noeuds de ronces dans mon ventre en reliant, sans que j‘y pense, mes rêves les plus sauvages venus de l’enfance et le muscle de mon indignation. Alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours aux forêts”, explique-t-il. Un recours aux forêts en résonance avec notre actualité, les roms, les réfugiés, …

Nous sommes des fuyards debout. C’est le Non qui nous tient. »

Thomas Vinau, « Le camp des autres. »

Inspirante de nature, la forêt est ainsi, aussi, une forêt d’hommes. Qui poussent comme les arbres en étalant leur ombre par terre.

Comme dans le cas de la déesse du monde sauvage Artémis. Qui dès le XIIè siècle avant JC., dans la Grèce antique, est l’image mythologique de la forêt: connue pour être celle de la chasse et du monde sauvage, elle est avant tout la déesse qui rend poreuses certaines frontières. Elle ne préside pas seulement « les espaces des frontières mais également les changements d’état (jeune-adulte, accouchement, chasse, guerre, sacrifice de bêtes sauvages). Son rôle profanateur envers les catégories de « civilisé » et de « sauvage », de « même » et d' »autre », de « visage » et de « masque », lui assure au combat les dons de la ruse. » (Jean-Baptiste Vidalou, « Etre forêts »).

L’idée du recours aux forêts bien sûr n’est pas de survivre, mais de prévaloir. « Pensons à ces zones « hors du droit », ces zones « cabanées » en lisière de forêt, mais proches des villages paysans, qu’habitaient les ouvriers nomades des XVIIè siècles dans l’ouest de la France: bûcherons, charbonniers, voituriers, fendeurs, scieurs, sabotiers, charpentiers. Il y avait là un peuple des forêts ne cessant de circuler de chantier en chantier, et s’organisant en bandes, parfois armées, pour mener la contrebande, refuser de s’acquitter de la taille, des droits sur le sel ou les boissons. Un rapport d’un maître des Eaux et Forêts de l’époque se plaignait de ne pouvoir y mettre bon ordre tant la sédition semble naturelle à cette « République qui n’a aucune discipline, qui ne connaît aucun maître et qui ne paye ni taille ni gabelle au roi, ni aucune autre imposition » (Jean-Baptiste Vidalou, « Etre forêts »).

La forêt, c’est un peuple qui s’insurge. Voilà une bien bonne raison pour qu’en bord de mer à l’occasion du dernier festival des Etonnants voyageurs de Saint-Malo, l’on rencontre Thomas Vinau, qui en poète cache en lui des forêts, pour nous parler de son rapport personnel à l’écriture qui l’a conduit pas à pas au « camp des autres ». Entretien.

 

D.D


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