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La joie, c’est pas capitaliste. N°9.

Écrit par sur 29 janvier 2010

Il y a souvent dans la vie, dans nos vies, des moments où une forme de lassitude toute particulière gagne les esprits et les corps, une sorte d’indifférence et de fatigue, quelque chose comme une sensibilité qui s’étiole sous le poids des angoisses et de l’avenir mal assuré. Bref de ces moments de mélancolies, de cafard, de blues, que l’on traverse tant bien que mal en attendant les beaux-jours. Or, si la chose est toujours une expérience singulière et personnelle, il semble aussi que l’époque que nous vivons soit de cet ordre, de ce mode de sensibilité, celui de la mélancolie. Devant ces crises culturelles, économiques, politiques d’aujourd’hui et de leurs multiples développements, dans lesquelles nous sommes embarqués et dont on ne fera pas la liste ici, on ne peut pas dire en effet que le temps soit des plus ensoleillés. Les nouvelles qui nous parviennent chaque jour ne sont pas réjouissantes, la vie devient aussi pour beaucoup plus difficile. De cela évidemment il s’agit ni de l’ignorer ni de s’y complaire, parce que ce genre d’humeur est souvent le reflet de notre situation sociale et matérielle, mais de tenter de renouer un rapport au monde et aux autres, défait par ces passions tristes. Ici nul programme thérapeutique nulle nourriture chimique nul « coach » psychotique, plutôt un changement de perspective, de paradigme. Et peut-être aussi trouver une forme de simplicité, de naïveté que l’on perd parfois dans les méandres des inquiétudes et des soucis.

Répétons-le, il ne s’agit en aucun cas de nier les souffrances et les maux que nous endurons. Au contraire. Seulement les plaintes resteront toujours tristes. Elles n’augmentent pas la vie. Elles ne seront jamais que de l’ordre du dépressif. Et ils sont nombreux ceux qui les exploitent et veulent continuer de les exploiter. Non, face à l’Etat actuel des humeurs, il nous faut transfigurer la situation, changer le regard, arrêter de subir. En bref faire une révolution. Celle du présent retrouvé, celle des « infinis visages du vivant »* que l’on n’osait plus regarder, celle des naissances renouvelées…Qu’est-ce que cela veut bien dire ? Simplement  » vivre comme si l’on vivait son dernier jour, sa dernière heure. Une telle attitude exige une totale conversion de l’attention. […] Elle permet de prendre conscience de la valeur infinie du moment présent, de la valeur infinie des moments d’aujourd’hui, mais aussi de la valeur infinie des moments de demain, que l’on accueillera avec gratitude comme une chance inespérée. Elle permet aussi de prendre conscience du sérieux de chaque moment de la vie. Faire ce que l’on fait d’habitude mais pas comme d’habitude, au contraire comme si on faisait cela pour la première fois. » dit Pierre Hadot** Voilà! Oublier de vivre le présent comme un présent, c’est oublier que le temps est rare pour nous autres, êtres mortels. Nous sommes tellement en projet, plaçant tous nos espoirs, nos aspirations dans un futur dont on se dit que là « on vivra vraiment » que nous en oublions de vivre. Et c’est un drame. Alors ce chemin qui nous mène à porter notre attention sur le présent rend la vie d’une valeur infinie, la rend dans toute son intensité… Il nous fait aimer la vie, aimer la vie dans ce qu’il y a de plus humble, de plus habituel et pourtant de plus rare. « Entre le monde de la réalité et moi, il n’y a plus aujourd’hui d’épaisseur triste  » disait le poète et résistant René Char.

Et il y a là en effet, en plus d’une valeur existentielle, une valeur éthique. Non pas morale mais éthique, oui. Parce que ce dont on parle ici, ce n’est rien d’autre que la joie, qui ne s’éprouve que partagée. La tristesse, elle, ne se partage pas, elle est unilatérale comme on dit. La joie au contraire n’existe qu’avec l’autre, les autres, dans ces relations inutiles, improductives et essentielles. En effet il y a là une valeur éthique parce qu’elle est de l’ordre du commun et nous fait éprouver cette chose : que « ce qui fait l’intérieur le plus intime d’un individu n’est tissé que de la plus pure extériorité. »*** En cela elle est radicalement hétérogène au système capitaliste. Elle est rebelle à son individualisme possessif, égoïste et dépressif. Qui n’est qu’une manière de s’abstraire de tout, en ne répondant de rien d’autre que de la recherche de ses profits. Toujours inquantifiable, la joie est donc ce que ce système cherche à délier, à extirper à tout endroit de la société par ses polices, ses managements, ses spectacles. Au fond, c’est cela que tous les petits chefs visent, répriment et cherchent à castrer. Nous voyons tous les jours leurs ravages, ces gens broyés à la sortie du boulot par l’angoisse et le stress de perdre leur travail. Et les autres qui passent de l’autre côté de la barrière parce qu’ils le perdent. Le travail, précisément ce qui permet de se payer du temps et de vivre un peu de présent. Sans parler de ceux de par le monde qui sont plongés dans la misère parce qu’il y a du profit à les y plonger. Cette volonté illimitée et démentielle d’appropriation et d’exclusion est mue par une haine de la vie et de la joie. Alors aujourd’hui que ce système est en crise, il ne faut pas croire que cela va s’arrêter. Au contraire. On peut penser qu’il va continuer d’égrenner encore sur son chemin cet empire des mélancolies et des souffrances. Aujourd’hui être joyeux devient presque un acte politique, un acte résistant, donc suspect. Alors aujourd’hui « assumer la liberté dans notre situation, c’est aussi faire avancer les passions joyeuses en faisant reculer la tristesse. »***

*  » Feuillets d’Hypnos ». R. Char

**  » La philosophie comme manière de vivre ». P. Hadot

***  » La Fragilité » M. Benasayag

M.D

Joie.

Ah ! que ça fait du bien, cette chronique, MD !Imprimée, pliée, glissée dans mon sac à dos pour être relue plus attentivement vers 2 ou 3 heures demain matin, en plein milieu de la Manche, pour elle, la chronique, mais pour tous ceux qui se lèvent dans ma tête, parce qu’ils sont toujours là à m’aider , pour vous, en partage…

SAMUEL BECKETT
« Attendre, non pas la satisfaction du prévisible, mais la déroute simultanée de l’imprévu – demeurer désirant dans les errances immobiles où le présent s’acclame solaire – se fondre alors une autre lucidité. »

JEAN BAUDRILLARD
« Il reste autour de nous assez de signes de l’innocence du monde, de mouvement perpétuel, de chasteté et de malice, d’environnement lunaire, automnal, pour que ressuscite l’imagination des premiers âges. »

RENE CHAR
« Du bonheur qui n’est que de l’anxiété différée. Du bonheur bleuté, d’une insubordination admirable, qui s’élance du plaisir, pulvérise le présent et toutes ses instances. »

JULIEN GRACQ
« Le monde ne parle pas, songea-t-il, mais à certaines minutes, on dirait qu’une vague se soulève du dedans et vient battre tout près, éperdue, amoureuse, contre sa transparence, comme l’âme monte quelquefois au bord des lèvres. Il alla ainsi un moment, la tête vide, un peu ivre, sur la route où le soleil descendant enflammait une allée de gloire. »

JULIEN GRACQ
 » …il avait parfois le sentiment vif de ces joints mal étanches de sa vie où la coulée du temps un moment semblait fuir et où, rameutées l’une à l’autre par un même éclairage sans âge, le va-et-vient des seules images revenait comme battre une porte. »

HENRI MICHAUX
« Homme selon la lune et la poudre brûlante et la kermesse en soi du mouvement des autres. »

ANTONIO RAMOS ROSA
« Et sur les murs et les doigts, un sable

qui descendrait des nuages et dans le lointain

la forme d’un bras aimant, le rêve de l’autre. »

ANDREA ZANZOTTO

« Car chacun infiniment
nous a nourri nous a sevré
à la lueur de ce nous tous
et du rien

Françoise.

30/01/2010 09:59

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