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L’ataraxie au village. N°475.

Écrit par sur 27 avril 2011

Voilà les circonstances personnelles font que j’opère depuis trois semaines ou presque  un  repli dans le jardin, le temps disponible et les beaux jours d’avril m’y incitent.

Le jardinier se penche vers la terre et est sensible aux saisons, aux températures, aux vents, au soleil, aux pluies. Le jardinier a des préoccupations concrètes. Beaucoup de soins sont nécessaires pour élever les graines et les maintenir en vie. Tout être vivant sur terre croît, se développe et meurt. La pensée épicurienne dit ainsi qu’en pareille circonstance, la connaissance de la véritable nature des choses permet de soigner l’âme de ce qui la trouble : représentations confuses, erronées, craintes futiles et superstitions infantiles. Ainsi libérée, elle peut enfin jouir de la paix et de la tranquillité (l’ataraxie).

Le courtil dont on hérite tant dans son l’entretien que dans sa destinée, peut devenir ainsi un jardin philosophique moyennant une reprise en main énergique du fouillis d’herbes. C’est donc à quoi je m’adonne sous ce soleil si généreux que la sagesse populaire si prompte d’ordinaire dans ses recommandations vestimentaires, cette fois se tait et elle fait bien. Ce courtil est situé dans un village de maisons de vieilles pierres. Et bien naturellement le jardin est une chose et le village en est une autre dans lequel l’inattendu peut advenir comme nous l’enseigne si bien par ailleurs cette même sagesse.

Coup de chaud samedi après-midi. Théâtre de nerfs. Dans le village. Je plante le décors. Mr L. me voit depuis son tracteur, un vieux tracteur qu’il a acheté d’occasion et qui lui permet « de faire » du bois. Son métier est d’être routier, mais pour ses travaux domestiques comme s’approvisionner en bois de chauffage, il s’est équipé d’un vrai tracteur avec fourche chargeuse et grande remorque. A la maison ils se chauffent entièrement au bois. Mais là n’est pas la question. Mr L. me voit, lève le bras pour me saluer et comme il fait une chaleur à tout casser, il m’invite à boire un coup. J’accepte.

Quand je le rejoins, déboule sur les chapeaux de roues, toutes brides abattues, un bolide  approximatif qui d’un blocage brutal du frein à main, cesse sa course à deux doigts d’un mur inflexible. De l’habitacle un homme montre sa bobine: « Où est Jacqueline? » dit-il. Mais Mr.L ne veut pas lui répondre. Mr L. me dit  » Il n’est pas bien ce gars là. » Rebelote, l’individu repart pied au plancher, et vingt mètres plus loin l’immobilisation tout frein bloqué, nuage de poussière, de fumée, et d’odeur de gomme. Comme à la télé! Au droit du  seuil d’une porte son chauffeur en sort, instable sur des talons tournants comme en prise à une triste griserie.

Une petite dame et son grand fils de 14 ou 16 ans sortent ébranlés de la petite maison face au char d’assaut. « J’veux t’parler! » dit le chauffard qui n’est pas le type même de l’esthète raffiné, « J’veux pas t’voir » dit la petite dame. J’en conclue que c’est Jacqueline. Elle appelle alors Mr L. a son secours. Mr L accoure. « Rentre chez toi! dit-il, t’a entendu, elle veut pas t’voir! ». Le chauffard dilaté marmonne: « J’suis passé à la banque, c’est en moins! » Le fils s’interpose, se hausse les épaules, tend les poings, se cambre, pointe son nez en piquée en direction de l’homme au regard vitreux qui est pourtant son père: « Fous l’camp! t’entends, fous l’camp! on ne veut plus t’voir! Enculé! J’vais t’buter! » La mère s’interpose mollement .

Mr L. revient vers moi, et m’adresse un « Allez! Venez, on va boire une coup ». Peut être pour lever le camp à la hâte. On se dirige alors vers sa maison en laissant les trois protagonistes s’expliquer avec leurs cartes brouillées et leurs emmerdements de fric qui, selon Mr L, ne nous regardent pas. Normal puisqu’il s’agit d’une scène de couple séparé. Voilà, il m’explique: sa soeur a quitté son mari parce qu’entre autres il boit, elle est parti avec leur fils et ils résident temporairement dans une petite maison du village proche de chez eux.

La démente animation continue à s’entendre dans le village. Puis la voiture repart pleine gomme vers la carrière de granit toute proche et pile à l’ultime instant. Au bord du précipice elle frôle la limite. La poursuite du même chemin aurait été tout simplement suicidaire si elle s’était arrêtée sur le vide (façon Bipbip le Coyotte).

De leur côté, la belle-soeur Jacqueline et leur rejeton viennent nous rejoindre à la maison de Mr L. Tremblants, livides jusque dans la diction. « Faut qu’j’appelle son copain pour qu’il le raisonne. Il est complètement bourré, il est capable de tout! » . En vain, pas de copain disponible. Ou disposé. « Ah! là, chargé comme il est, il est capable de revenir avec son fusil et de te flinguer, ou il est capable de tuer les mômes du village qui jouent sur la route! Moi j’y vais pas sinon je sais, je vais lui foutre sur la gueule! » dit le frère de Jacqueline en compagnie duquel je bois mon coup. Le fils ré-enclenche « Il n’a qu’à s’pendre! » Personne dans l’entourage n’est disponible ou se sent d’attaque pour l’immobilisation d’un mari lâché…lâché dans la nature qui, pris d’une initiative peu digne, en délire, vient régler des comptes par dérapages contrôlés. Et oscillations d’équilibriste, flottements du regard et pas chassés.

A travers la vitre, les bruits. Les cris. Tout le tintouin. Puis dans le psychodrame, l’inattendue survient. Le fruit du hasard c’est sa belle soeur, la femme de Mr L. Elle arrive de son travail. « Ah! ça tombe bien! ma femme va aller lui parler » Jacqueline et son fils courent à sa rencontre. Explications sur la confusion ambiante qui tournerait trop facilement à l’affrontement vu la complexité émotionnelle. Faisant fi de toute crainte, une apparence (« J’avais les genoux qui tremblaient » confiera-t-elle à son retour), Mdme L s’en va voir son beau-frère en proie à une pleine fuite en avant par gorgées d’aliments liquides, psychologiquement rendu au bord d’autre chose ou au creux.

Elle lui parle doucement. Elle: « Qu’est-ce que tu viens faire, elle t’a dit qu’elle ne voulait pas te voir. » Lui: « J’veux lui parler ». Elle: « D’abord, avant de lui parler tu rentres chez toi, tu vas te désaouler! » Lui: « J’ lui laisse des messages mais elle ne répond pas! j’suis passé à la banque, on est à moins j’sais pas combien! » Elle: « C’est sûr qu’elle ne te répond pas parce qu’elle m’a donné son portable et j’entends tout ce que tu lui dis, et si ça continue on donnera le portable aux gendarmes parce qu’avec toutes tes menaces ils t’arrêteront! » Elle invente sur pied mais il l’a croit. C’est le principal.

La façon calme et souveraine de la belle soeur éclaire le propos donc la situation. Une parole, un mot juste. Le terme qui oriente le sens de la réalité, ou des responsabilités, reste mystérieux et irremplaçable. Un trucage comme une promesse qui ne sera pas tenue? Une parole-buée. Epineuse question. Influence profonde et décisive sur les événements par des cheminements plus mystérieux? Toujours est-il que l’interruption a lieu. Le beau-frère regagne sa trotinette, une 205 retappée et rechappée de frais. Et confiant dans ses nouvelles intentions mais bredouille, il disparaît à vitesse douce. Le village a frôlé le drame. « Il sait où t’habites, il reviendra! » dit Mr L, hargneux. Dans sa niche.

Dans la maison je me retrouve complice au coeur d’un drame familial, du moins dans ce qui d’ordinaire reste intime à la famille. Derrière les murs épais. Mais les circonstances font que je suis témoin de quelque chose. Bien qu’étranger à la maison, à la table on me demande mon avis. Heureusement qu’il y a un type en moi tel le jardinier de ma raison qui sait que primo, il n’est pas un familier; et que deuxio, il se considère tenu à la sincérité. Donc je ne propose pas une règle. Je ne donne aucun conseil. Il me revient à l’esprit ce qu’aurait énoncé Emmanuel Kant que je n’ai pas lu: « La fatalité, c’est le caractère. » Mais cet énoncé je le garde pour moi. On me dit qu’heureusement que j’étais là, sans quoi les deux beaux-frères se seraient battus. « il y aurait eu du sang! » De ce sang qui circule en des hommes.

Une vie folle,  ou une vie sans vie. Je ne sais pas. L’anormale vie normale. Tantôt le chaos, tantôt l’harmonie. Il n’y a pas de quoi rire. Ou bien, y-a-t-il de quoi rire? Tout dépend bien sûr comment ça se termine et  pour soi-même son degré d’implication. Je raconte ici cette histoire parce qu’elle est intime et donc qu’elle ne se dit pas, bien qu’elle soit si universelle. Et dans toutes les langues.

C’est vrai qu’il tourne, le monde. C’est peut être de ça que viennent tous nos maux, vertige et autres. On n’en verra pas la fin. Parfois comme ce samedi de rodéo il y a de l’usure de caoutchouc dans l’air, parfois pas. Le monde tourne, c’est tout. Mieux que tous, le jardinier le sait.

Il tourne et naturellement le village est redenu calme. Conforme en tout point à la tradition, il tourne au ralenti. Les gens du village ont repris leurs habitudes. Soit le cuité de samedi craint de trop arroser celui qui vient, car l’ennui avec la chaleur c’est la soif. Soit il mijote dans la vapeur froide, à nouveau prêt à tout, son nouvel assaut avec la mort dans la poche.

Dans le jardin ça pousse, ça coupe, ça bine, ça plante. On arrose comme il se doit.


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