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Les Chronophages. N°655

Écrit par sur 29 octobre 2014

Jean-Paul Galibert fut l’invité de l’édition 2014 de Penser l’actuel organisée par la librairie Planète Io de Rennes. Nous vous proposons ici d’écouter le débat d’idées qui a eu lieu à cette occasion. Pour l’heure revenons à son essai: les Chronophages. 7 principes de l’hypercapitalisme, éditions Lignes.

« L’hypercapitalisme apparaît comme un projet de domination de l’ensemble du monde. Maître en l’art subtil de vendre le rien et le néant au prix du réel, il tente une conquête de l’être (et donc des existences) dans sa totalité. Son projet est ontologique: que la rentabilité soit le principe, la cause unique, le seul critère de l’être et du non-être. » écrit-il en quatrième de couverture.

En bon philosophe du contemporain Galibert pointe du doigt ce qu’on a sous les yeux. En nous poussant à le tenir à l’oeil: « L’hypercapitalisme prend notre temps de travail, mais aussi notre temps de loisir, le temps de nos vies. » disait-il à Rennes.

Avec à l’esprit ces appareils électroniques divers à écrans plats très en usage, publicité télévisuelle et sur Internet, économie dématérialisée, qui nous bouffent le temps « disponible ». Il pointe aussi le port de ces vêtements et objets dont la marque est arborée ostensiblement. Il pointe également ces grandes sociétés : « la société la mieux cotée en bourse sera celle qui se sera le mieux autodétruite durant l’exercice considéré. Dans cette course, dont la seule fin semble être l’entretien d’une sorte de spectacle de valorisation destiné aux actionnaires du monde, l’entreprise peut et doit se détruire. » Locaux, emplois, usines, à la casse pour devenir une entreprise imaginaire (la marque). Quant à la marchandise elle-même -avec son emballage, le prix du rien ou du vide, l’obsolescence, la péremption-, quelle est-elle ? « toute marchandise s ‘y présente comme la somme d’un produit, la part que l’on consomme, et d’un déduit, la part qu’on imagine ».

L’auteur jette ainsi un éclairage sur l’hypercapitalisme qui est un mode destructif d’existence, parce qu’il ne laisse plus de place à ce qui n’est pas rentable. Tout doit être rentable. A ce titre ce capitalisme est chronophage et dévore notre temps. En fait, nous devons non seulement produire et acheter des biens, mais nous devrions même apporter le plus précieux de notre temps, explique Galibert se référant à des exemples comme smartphones et tablettes.

On saisit vite ce qu’est cet hypercapitalisme: « Ce qui est d’avance impossible, c’est un avenir autre que rentable. » écrit-il. Un horizon indépassable basé sur le consentement des peuples. Et de ses dirigeants. Puisqu’ils se soumettent tous d’emblée à un pré-jugé. Qui consiste à considérer comme du temps perdu ce temps qui n’est pas immédiatement rentable.

Galibert utilise ainsi le terme de “chronophages”. La chronophagie étant une condition totalitaire. Puisqu’elle implique l’imagination de chacun. Il explique comment l’économie marchande parvient à soumettre le consommateur à cette iniquité : la marchandise se vide peu à peu pour être remplacée par l’imagination de celui qui l’achète.

Il explique. Par exemple, dans un bocal de haricots verts, vous ne voyez ni le verre, ni l’air, ni l’eau. « comment se convaincre que ce bocal de 800g (brut), si manifestement plein de haricots, n’en contient que 365g (net) ? ». Plus la valeur du produit diminue, plus notre engagement imaginaire s’accroît proportionnellement.

Ou autre exemple, la carte bancaire qui « réussit à rendre payant le paiement lui-même, précisément parce qu’elle semble nous en dispenser (…) Lorsque vous achetiez en liquide, vous donniez votre argent en échange de la marchandise. (…) Avec la carte bancaire, l’économie chronophage a introduit une nouveauté radicale : l’idée de faire payer l’acte même de payer. Payer ne suffit plus, il faut payer pour payer. »

Suffit c’est vrai de regarder autour de soi. Ou de se regarder soi-même –qui n’est pas chose facile. Bref, d’avoir l’oeil. Le prix de vente de l’objet de consommation ne baisse pas, tandis que l’objet tire de plus en plus sa valeur d’un travail de l’acheteur. Quand celui-ci choisi de porter un produit de marque par exemple : « L’image de marque est le chronophage qui transforme le produit en marchandise, en déclenchant un travail d’imagination par lequel vous multipliez par deux sa valeur. » ; « Lorsque vous êtes marqué, vous cessez d’être un pan du fond : vous venez à croire que la marque vous crée. »

Il nomme ça “l’hypertravail”, le temps que consacre le consommateur à imaginer par exemple que le jean griffé étiqueté 100 € a plus de valeur que le même jean, dégriffé, vendu 50 € de moins. « C’est un travail payant déclenché notamment par les phénomènes de publicité et bien plus rentable que le capitalisme dénoncé par Marx ! » disait-il encore.

Du coup Galibert pointe une autre chose : « Il ne vous reste plus qu’à imaginer que ceux que vous faites imaginer vous imaginent. ». Ah ! le « nec plus ultra » de l’apparence … quand votre doigt glisse sur le délicieux écran tactile dernier cri . Du coup ce produit de marque qui procure la plaisance du consommateur peut enfin être commercialisé au prix le plus élevé.

Extrait : « Pourquoi arborer le tee-shirt de votre groupe de musique favori? Pourquoi porter fièrement le sac de votre magasin préféré, voire ces vêtements où la marque figure en lettres immenses? Que gagnez-vous, au fond, à ces achats supplémentaires, et à ces proclamations publiques d’amour? (…) Vous voici homme-sandwich bénévole, homme-sandwich, par amour. En échange de ce double travail que vous donnez et que vous achetez, vous vous accordez à vous-même la possibilité de travailler encore. Autrement dit, l’économie de la chronophagie réussit à faire passer le travail pour la récompense du travail: c’est le premier système de production connu dans lequel vous travaillez pour pouvoir travailler. »

D’où sa « notion de « double travail », qui consiste à faire payer le consommateur deux fois : une première fois pour acquérir le bien, l’instrument « chronophage », une seconde fois pour imaginer et produire le contenu correspondant à sa forme vide. » Le tout étant « générateur de profits faramineux. »

Autant de monstres invisibles, ces chronophages. Qui nous volent notre précieux temps. En bénéficiant d’une sorte de participation active de notre part. Mais rien de fatal pour qui sait y prendre garde. Pour qui sait les tenir à l’œil. Gare! plein d’autres chronophages sont tapis tout autour. Occupés à se tenir au courant du rien de notre temps.

D.D


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