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Paroles volantes. N°538

Écrit par sur 11 juillet 2012

À l’attention de tous les lecteurs et lectrices non initiés à la psychanalyse, une confidence: nous non plus. Bonne raison pour savoir sérieusement en quoi ça consiste. La psychanalyse s’étant diluée dans le n’importe quoi médiatique et biodégradable, disait Castoriadis.

Pourtant, qui n’est pas resté hébété face à ces questions embarrassantes qui touchent l’inconscient? Qu’il ne s’agit pas de nier, ni d’annuler, mais de tenter de prendre le pouvoir sur lui.

Bon, bref, la ré-édition d’un nouveau texte vieux de 25 ans de Jean-Paul Dollé peut nous éclairer sur cette technique psychothérapeutique. Par le bais de la pensée de l’un des grands noms qui continue de marquer le paysage intellectuel français et international.

Dans cette époque où nous sommes censés être évalués, normés de toutes les manières, cette époque où l’on cherche des » gènes » qui expliqueraient ce qu’on considère comme des  » déviances », etc.

« Je pense ou je ne suis pas. Donc je suis ou je ne pense pas.

Au lendemain de la guerre, après la parution de l’Etre et le Néant, au moment où le mythe Sartre débutait, Simone de Beauvoir écrivit « L’existentialisme et la sagesse des nations ». Elle expliquait comment cette conception du monde et cette nouvelle éthique -comme toute pensée originale et majeure- explicitait et systématisait ce que l’humanité peu à peu rassemble comme sagesse. Une théorie, une philosophie, un système prouvent leur valeur s’ils donnent naissance à des expressions du langage quotidien, lieux communs, proverbes, idiosyncrasies. Comme disait l’autre (Marx), une idée dominante devient une force matérielle.

Après une longue période de refus, de résistance, la psychanalyse est rentrée dans toutes les petites pages roses des quotidiens, des magazines. Elle fait partie du show-biz et parsème la conversation courante de nos Bouvard et Pécuchet et de nos Madame Bovary, étant entendu que nous sommes tous Bouvard et Pécuchet et Madame Bovary. L’intérêt de Lacan, six ans après sa mort, ce n’est ni son discours, encore moins le texte sacré du lacanisme psalmodié par des sectes concurrentes, mais ses paroles volantes que l’on peut détourner, comme les bulles de la pub.

Prêtez-vous au jeu, vous verrez, c’est très facile. J’ai sélectionné, arbitrairement, huit aphorismes du maître dont il me semble qu’ils se prêtent admirablement à une comparaison avec les fortes pensées assenées au zinc qui peuvent ponctuer une conversation soudain languissante. Prononcez-les avec un air profond, un peu las. Je crois pouvoir vous garantir un effet assuré: vos interlocuteurs vous trouveront une intelligence supérieure et ils seront intimement convaincus que vous avez beaucoup vécu.

1. Evidemment « number one » du hit parade, l’ultra-célèbre slogan qui enchanta une génération entière de bricoleurs de la parole, logographes, orateurs et discutailleurs de tout acabit, apprentis écrivains, comédiens en herbe, grandes gueules toujours en manque de tribunes.
« L’inconscient est structuré comme un langage ». Dans le métro, Zazie répète en écho: « Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire ».
Bon sang, mais c’est bien sûr, dans les lapsus, les rêves et les actes manqués, l’inconscient ne sait faire qu’une chose, causer, causer, n’importe comment, de n’importe quoi, à n’importe qui,. Le troublant et le drôle de l’affaire c’est que sa logorrhée infinie, incessante, son flot ininterrompu de messages, ça devient la cause d’actes et ça structure toutes sortes de faire. Des fois, il y a une panne dans la causerie et c’est comme dans le métro, quand il est en grève. Le transport est arrêté, et alors Zazie découvre qu’elle est toute seule dans la grande ville, que son tonton n’est pas celui qu’elle croyait. Lui aussi il est tout seul; il se renferme en lui-même; il ne se transporte plus vers elle; et il peut même changer d’aspect et devenir une totone, pas vraiment une tante, parce qu’il est toujours même habillé en femme, le tonton derrière se habits. Mais quand même ça fait une drôle d’impression, quand la structure du corps se déstructure et que les mots semblent sortir d’une autre bouche! Ces mots-là, ils font comme un autre langage; le même et un autre. Après la panne, quand ça reprend, Zazie est la même, mais elle a vieilli. Sacré inconscient quand même!

2. « La femme n’existe pas ». Cette parole sema la tempête, déclencha un séisme, plus puissant sans doute que le tremblement de terre d’Agadir qui assura pendant des mois de fabuleuses reventes à Paris Match. Lacan se chargeait du poids des mots, les féministes, paniquées à l’idée de n’avoir plus d’image d’elles-mêmes, se vengèrent en produisant le choc des photos: Lacan -mais Freud aussi par la même occasion, puisqu’il fallait remonter à la cause première de l’infamie- se muait en gros dégueulasse de Reiser. Et pourtant, en l’occurrence, il reprenait le vieil adage que connaît tout détective débutant : « Cherchez la femme ». Si on la cherche, comme dirait Monsieur de la Palice, c’est que l’on ne l’a pas trouvée. La femme existe pour autant qu’on la cherche, à commencer par les femmes qui ne vivent que de la chercher, cette femme introuvable. Il y a des hommes et des femmes, qui tous partent à la conquête du Graal, de l’objet perdu, de l’âge d’or, bref de la chose, la célèbre « Das Dinge » de Kant, la chose en soi.
Dans la Critique de la raison pure, Kant explique que pour nous autres mortels, plongés dans l’espace et le temps, la chose en soi -la réalité du réel- nous est à jamais inconnaissable. Nous ne connaissons que la manière dont elle se réfracte à travers l’espace et le temps, sous forme de phénomène. Mais les mortels sont insatiables. En dépit de l’évidence, ils désirent toujours l’impossible. Cette illusion tenace, cet espoir fou d’atteindre la terre ferme, cette quête infinie qui jamais n’aboutit, Kant en analyse le statut et le mécanisme dans la partie appelée « Dialectique ». Certes il faut repérer l’illusion, mais il est illusoire de croire que les hommes peuvent se passer d’illusion. Car l’illusion est utile, elle est nécessaire à la production des « idées de la raison »: Dieu, l’immortalité de l’âme, la liberté, qui ne sont pas des connaissances, mais les motifs à vouloir connaître. Les « idées de la raison », ce n’est pas la connaissance, mais le désir de connaissance, non pas sa logique, mais son érotique. La femme est une « idée de la raison », ce pourquoi et vis-à-vis de quoi, les femmes veulent se connaître et les hommes désirent les connaître et du même coup se connaître dans la place qui leur est impartie, de vouloir connaître cela. On ne dira jamais assez que le privé Marlowe est l’initiateur obligé pour qui ne cède pas sur son désir et ne se résigne pas au Grand sommeil, quitte à séjourner dans le Port de l’Angoisse.

3. Pas étonnant alors -ça coule de source- que s’énonce la troisième sentence: « Il n’y a pas de rapports sexuels ». Rassurez-vous tout de suite: cela n’implique pas que l’on ne fait pas l’amour. On le fait, de trente-six manières et dans toutes les positions. Mais les raisons pour lesquelles on le fait, ce qui est mobilisé du désir quand on le fait, le plaisir qu’on en escompte et qu’on en retire en le faisant, s’il nécessite aux moins deux partenaires, n’abolit pas pour autant la distance incommensurable entre deux jouissances, chacune ressentie dans son irréductible singularité. Nulle trace ici du thème ressassé de l’incommunicabilité entre les êtres, ni de la non moins ringarde thèse de la guerre des sexes. Simplement ceci: entre la jouissance de l’un et celle de l’autre il n’y a aucun rapport, parce que comme on dit « ça n’a pas de rapport ». Car moi c’est moi et toi t’es (tais) toi.
Bien loin d’inhiber le rapport érotique amoureux, cette incommensurabilité entre l’un et l’autre en assure la possibilité. Aimer c’est donner à l’autre ce que l’on n’est pas, autrement dit comme le proclame Socrate dans le Banquet, lui faire désirer à travers soi ce qui est aimable, non pas soi, mais l’amour. Parce que de l’un à l’autre il ne peut y avoir qu’hallucination spéculaire, au mieux narcissisme, au pire sado-masochisme, l’amour suppose que l’on sorte du rapport pour accéder à la relation, qui suppose un tiers, ce qui relie l’un et l’autre, l’aimable. Il n’y a pas de rapports sexuels: soit l’amour rend aveugle. Heureusement! Ne plus se voir, ni l’autre, quel bonheur!

4. « Je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas ». J’ai un corps, mais -heureusement ou malheureusement, à chacun d’en décider- je ne suis pas mon corps, puisque je parle. Je ne coïncide pas avec moi-même, puisque là encore, il n’y a aucun rapport entre ce que je fais exister -mon corps, qui est ma propriété- ce qui pour l’autre apparaît comme ce qui m’appartient en propre, mon aspect -et ce que je pense être mon être, dont je ne peux éprouver la consistance qu’en énonçant l’accablante tautologie « je suis moi ». Bref « je marche toujours à côté de mes pompes », et c’est d’ailleurs pour cela que ça marche. Mais puisque tous marchent à côté de leurs pompes, l’histoire est une histoire de fou, racontée par un idiot ».

5. « Le psychanalyste donne ce qu’il n’a pas ». Comme la plus belle fille du monde, la psychanalyse ne peut que ce qu’elle a: son image, qui fait impression et produit de l’effet. Elle apparaît comme détentrice d’attributs, de charmes, qui prouvent, par l’évidence même de leur existence, que le désirable existe, qu’il n’est pas un leurre. Le charme opère par le transfert, en transportant sur toutes choses la qualité qui enchante. De nouveau le monde peut, comme la flûte, retrouver son enchanteur. Mais la plus belle fille vieillit, se flétrit, le charme s’évanouit, le transfert se dénoue, la flûte du psychanalyste perd de son pouvoir, tous se retrouvent désenchantés. Vient la fin, la terminaison, le désêtre.

6. C’est pourquoi « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même ». Dans la vie chacun se démerde comme il peut. Il fait avec ce qu’il a. Ce qui lui reste, quand il a compris qu’il n’a pas ce qu’il se dit être et qu’il n’est pas ce qu’il croit avoir, son corps, puisque ce corps, bien loin de le posséder, il s’aperçoit qu’il le dépossède d’assouvissement, et bien alors ce qui ne choit pas, c’est sa possibilité de ne point transiger sur son désir. Or donc il s’autorise, sachant qu’il n’y a d’autre raison à vouloir et à faire que dans le vouloir et le faire lui-même.

7. « Je dis toujours la vérité, mais pas toute ». Certes dire que les mortels traversent leur vie, traversés par un discours qui les constitue et les détermine de bout en bout, depuis leur naissance, qu’ils n’ont pas décidée jusqu’à leur mort, qui leur échoit sans qu’ils l’aient élue, cela est la vérité et la psychanalyse la dévoile, au terme d’une épuisante entreprise d’anamnèse. Mais elle ne dit pas toute la vérité, la réalité vraie du réel, car « à l’impossible nul n’est tenu ». A aucun mortel, à aucune connaissance, n’est donné le pouvoir de dire le vrai sur le vrai, car comme le rappelle Shakespeare, « le gris des mots ne saurait faire voir le vert de l’existence ». Dire toute la vérité c’est impossible c’est protéger les chances de la vie. Fantasmer, surmonter cet impossible, c’est au mieux choisir la psychose du Président Schreber qui se prend pour la femme de Dieu, dont les rayons de lumière lui transpercent le cul, au pire vouloir son immolation comme le Christ qui se laisse crucifier pour sauver son père.

8. Et pourtant, malgré ou parce que, cette mort non sue, cet amour impossible, ce père coupable et ingrat, que jusqu’à la fin des temps tous les fils devront sauver, il n’est d’autre issue que, toujours, encore, enfin, ou pire, lancer le seul cri qui vaille pour défier celui qui n’existe pas, sûr que la parole émise ne renverra que l’écho du silence: « Je persévère ».
Alors, c’est en Père à jamais absent, que le savoir mourir peut, sans se tromper, désarmé et inflexible, enseigner le seul savoir vivre à l’usage des toujours jeunes générations à venir: « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de croire pour persévérer ». ainsi va le monde, et sa sagesse. »

Jean-Paul DOLLE. Texte paru dans Légende du siècle-N°3-mardi 19 mai 1987.

Paroles volantes que l’on peut détourner, a-t-il dit. Voilà, au cas où vous ressentiez une sorte de grand découragement le matin. Et l’envie d’une immense journée, entière, pleine et lointaine, parler et rire et… Alors j’ai pensé que ça pouvait vous intéresser. Comme ça. Vu qu’il flotte allégrement en cette presque mi-juillet. Moi, je suis complètement crevé. Hâte de voir comme tout se déplie au soleil. A l’abri duquel nous serions ravis de nager. Histoire de se rafraîchir les idées. Et le reste. S’il en reste. Attendons. Faisons preuve de bonne volonté…Déjà comme ça, ça ouvre des horizons. Enfin, on verra. Car comme le dit Alain Juranville, philosophe de l’existence et de l’inconscient, spécialiste de Lacan: « ce que donne à penser la psychanalyse, qui est ce qui donne le plus à penser, c’est que nous ne penserons jamais tout à fait, c’est la présence de la non-pensée au plus intime de la pensée ».

D.D


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