« Gracias a la Vida » (José Alberto Mujica Cardano, Pepe). N°1200
Écrit par admin sur 14 mai 2025
Parmi tous les entretiens du film sorti en 2015, « Human« , de Yann Arthus-Bertrand – lire là-, il y a celui de l’ex-président uruguayen José Mujica. Sur sa page Fb, datée d’aujourd’hui, le célèbre photographe en parle ainsi: « Pepe Mujica, ancien président de l’Uruguay, est décédé hier. Une grande perte que celle de cet homme extraordinaire.«
José Alberto Mujica Cordano, surnommé « Pepe » Mujica fut tour à tour agriculteur, ex-guerillero (Mouvement de Libération nationale-Tupamaros) ce qui lui valut d’être emprisonné entre 1972 à 1985 – passé par dix ans seul dans un cachot, dont sept sans livre- durant la dictature civico-militaire en Uruguay soutenue par les États-Unis, et ex-président de l’Uruguay. Appelé le « président le plus pauvre du monde » parce qu’il vivait très sobrement et reversait la quasi-totalité de ses revenus à un programme de logement social, il dressait un vibrant éloge de la sobriété.
« Dans mon film, ce que dit le président Mujica, est l’exemple même de ce que l’on doit faire. C’est le seul homme politique présent dans mon film d’ailleurs. C’est le seul qui avait un regard intéressant. » ( Arthus-Bertrand).
– Le revoir ici.
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C’est de lui dont il est question dans le texte qui suit paru ce jour sur le site de la radio milanaise Radio Popolare, que la Chronique d’ici-même s’honore de relayer.
D.D
« Pepe Mujica
Lorsqu’on lui a demandé comment il pourrait résumer sa vie, il a répondu avec le titre de la chanson de Violeta Parra « Gracias a la Vida ». José Alberto Mujica Cardano, Pepe, comme dans la chanson de Violeta Parra, voulait remercier la vie de lui avoir tant donné. D’un jeune rebelle qui dans les années 60 a choisi la lutte armée pour changer le monde avec les Tupamaros, à un prisonnier politique, torturé et utilisé comme otage par l’armée pendant 12 ans. De Mujica, libéré et collaborateur du changement qui porterait la gauche au pouvoir pour la première fois, à sénateur, ministre de l’Agriculture et enfin président de l’Uruguay. Un homme politique qui n’a jamais trahi ses principes, qui a toujours été un paysan prêté à la politique, un homme qui a fait de l’austérité un principe inviolable. Parce que Pepe était l’un des derniers représentants d’une culture ancienne, celle du gaucho de la Pampa. Des gens de peu de mots, aux principes inébranlables, à l’intelligence pragmatique aiguë, habitués à l’adversité et à la solitude. Comme la peine forcée infligée par l’armée à Mujica pendant 12 ans, le gardant en isolement jusqu’à ce qu’il devienne presque fou. Et c’est dans ces circonstances dramatiques, pour lesquelles il n’a jamais cherché à se venger, que Mujica a appris à vivre l’essentiel, mais sérieusement, et surtout à donner de la valeur au temps. Pour Mujica, le consumérisme était un piège, surtout parce que l’argent que nous utilisons pour consommer des choses superflues a été payé avec notre temps. Du temps pris loin de l’affection, de l’observation, de la discussion, de la socialité. Des biens en échange de la vie, le nouvel esclavage dont il faut se libérer. Et comment ? Revenir à une vie avec l’essentiel et soutenir un État capable de garantir l’éducation et la santé pour tous. Bien-être et socialité, une caractéristique de l’Uruguay d’une autre époque, un pays aux traditions laïques et sociales-démocrates et façonné par l’immigration italienne depuis l’époque de Garibaldi. Sa présidence a laissé à l’Uruguay un système de santé publique territorial qui a résisté au choc de la pandémie des années plus tard, à la libéralisation de la marijuana qui a retiré des ressources à la mafia, à la dépénalisation de l’avortement, au mariage homosexuel, mais surtout au niveau de chômage, de pauvreté et d’inégalité le plus bas de l’histoire du pays. Sur le plan personnel, le fait qu’il se soit octroyé un salaire de seulement 900 dollars en tant que président, ce qu’il considérait comme plus que suffisant pour vivre décemment, a fait beaucoup de bruit. Tout comme son rejet de l’appareil d’État parce qu’il voulait continuer à conduire sa vieille Coccinelle.
Tel fut l’héritage politique et personnel de José Pepe Mujica, peut-être le seul homme politique depuis des décennies à être resté fidèle aux principes auxquels il croyait du premier au dernier jour de sa carrière, en les mettant à jour mais jamais pour un gain personnel. Il a dit que l’homme politique est constamment observé par les citoyens, pour cette raison il doit rester l’un d’eux car s’il en tire un profit personnel, s’enrichit, cède aux tentations, il porte d’abord préjudice à la république, à l’idée même de démocratie. Pepe Mujica était un homme d’un autre temps, mais sa vie et ses pensées étaient incroyablement modernes et actuelles. Aujourd’hui, la politique latino-américaine regrette son absence, mais personne n’a tiré les leçons de son exemple. »
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour du film Human – ici & là.