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Comme un printemps. N°13.

Écrit par sur 12 mars 2010

Le printemps s’annonce. Entre les tempêtes qui viennent rompre les digues, les neiges tardives qui désorganisent, le printemps s’annonce. Avec ses lumières nouvelles, ses bourgeons en formes de promesses, ce goût retrouvé du soleil, le printemps s’annonce. En nous quelque chose se réveille. Quelque chose renaît, en même temps que le reste. Un enthousiasme nouveau, une légèreté gagne les rues, les esprits et les corps aussi sûrement qu’une sève. Bref c’est une saison joyeuse, le printemps, évidemment joyeuse. Une saison précieuse aussi par ces temps de crise. Alors ne boudons-pas notre plaisir… Peut-être indique-t-il aussi quelques pistes à suivre, quelque sens à vivre. Du moins il y a, dans cette saison, quelque chose qui conteste la manière dont on se pense et dont on se vit dans nos sociétés. Quelque chose qui échappe à ce pessimisme culturel qui existe dans les conceptions de ce que doit être l’homme et de ce qui l’anime. De ce pessimisme ancré très profondément dans les représentations qui dominent et dont la pensée économique, l’économisme dirions nous, est un des véhicules privilégiés.

En effet cette pensée économique libérale n’est pas simplement la compréhension, la conceptualisation des échanges, du commerce, de la production, de la consommation, elle est aussi une projection de ce que sont et doivent être les hommes et leurs actions. P. Dardot et C. Laval disent ainsi, dans leur ouvrage sur la rationalité néolibérale*, que  » les considérations économiques du libéralisme trouvent leur assise dans une représentation de l’homme et de ses rapports aux autres, qui renvoie à des présupposés philosophiques dépassant de loin la seule intelligence des mécanismes de l’économie. » La pensée économique est aussi une prise de partie anthropologique. C’est une certaine idée, une certaine image de l’homme qu’elle sous-tend. Quelle est-elle ? C’est celle d’une humanité dont les horizons, les références sont la recherche de son intérêt, la satisfaction de son amour propre. Cette humanité se définit à travers un égoïsme fondamental qui gouverne ses actions. Alors on pourrait s’arrêter là en disant que ce ne sont que des histoires que l’on raconte dans d’obscurs ouvrages. Oui mais voilà, ce n’est pas que cela. La pensée économique c’est aussi une politique. Elle est le véhicule de formes de vie, d’organisations du social. Businessmen, actionnaires et traders, pour qui est bâti ce monde, ne tombent pas du ciel. Ils sont les produits de cette imaginaire. Et leurs pratiques suivent au pied de la lettre ces commandements, ceux de l’égoïsme, de l’amour propre, de l’intérêt. On pourrait à nouveau s’arrêter là dans la critique de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de ce qu’ils réalisent. Oui mais ce que l’on veut dire, ce que l’on veut pointer ici, c’est encore autre chose. Ce que l’on veut dire, c’est que cette image de l’homme dont ils sont les incarnations est fondamentalement pessimiste. Et plus encore c’est une image triste de l’homme.

Tristesse, oui. Parce qu’en définissant l’humanité par son égoïsme, la recherche de son profit, la pensée économique sous-entend que ce que les hommes font n’est toujours motivé que par le manque. Plus précisément par cette inquiétude, ce malaise de ressentir le manque d’un objet. Tout ce que nous faisons, nous ne le ferions que pour y échapper. L’amitié, l’amour, le travail, et toutes nos activités n’auraient d’autre sens que de venir combler une incomplétude. « Le désir qui nous fait agir est lié à cette inquiétude, à ce malaise que l’on ressent avec le manque d’un objet. » disait ainsi Locke**, théoricien et référence philosophique de l’économie libérale. L’envie, la volonté de faire ne serait au final que les expressions de ce malaise radical. Ce qui amenait Gabriel Tarde, sociologue du XIXème siècle, à se poser cette question à propos de l’économie politique et de ses présupposés anthropologiques:  » Il semble, à les lire, que tous les besoins des hommes soient négatifs, qu’ils aient pour objet la suppression d’une souffrance, telle que la faim, la soif, le froid, de nature organique – ou bien ces autres privations de nature intellectuelle : l’ignorance, par exemple. Car le confort, seul but de la vie à ce point de vue, est un composé de tous ces plaisirs négatifs. Est-il vrai, comme le veut Schopenhauer, que la douleur seule est réelle, que le plaisir n’est rien que son absence, sa négation, son exemption ? » *** En l’occurrence ne nous y trompons pas, ce n’est pas un hasard si, dans nos sociétés, tout nous est présenté de cette manière. Il faut travailler pour ne pas être exclu, il faut avoir des amis pour ne pas être seul, il faut être au top pour être reconnu. Remarquons aussi une chose l’homme du libéralisme, cet homme qui agit pour ne pas perdre quel est-il si ce n’est l’homme de la compétition ?

A cela il n’y aurait aucune autre alternative ? L’activité, l’amitié, l’amour, le partage n’auraient d’autre sens que de nous éviter la souffrance ? Allons, un effort, renversons cette idée ! Affirmons-le, l’activité, l’amitié, l’amour, le partage n’ont d’autre sens que d’apporter la joie. Disons le, faire quelque chose, c’est faire avec d’autres, et c’est joyeux.  » Car la joie, c’est cela précisément ; c’est d’être ensemble et d’agir ensemble pour sympathiser, pour fraterniser. Qui dit société dit joie; la joie est la fleur naturelle de la sociabilité. »*** Et par ces partages, ces rencontres, ces associations, ces combinaisons nouvelles s’invente, se créé à chaque fois quelque chose de nouveau, de singulier, inquantifiable mais précieux. « L’invention et la coopération sont des évènements, des singularités qui en soi n’ont aucune valeur. Ce sont des hors-valeurs qui sont pourtant la source de toute valeur. »*** De ces inventions, de ces associations auxquelles la pensée économique reste aveugle mais qui, en ajoutant quelque chose au monde sans rien lui enlever, ressemblent souvent à un printemps.

*  » La nouvelle raison du monde ». P. Dardot, C. Laval.
**  » Essai sur l’entendement humain  » J. Locke
***  » Puissance de l’invention  » M. Lazzarato ( sur la pensée de G. Tarde )

M.D

Chronique M.D

« Il ne nous reste qu’à dresser notre propre forêt,

avec à la place des troncs,

des branches et des feuilles,

ce feuillage entre-tissé

de paroles et de silence,

cette forêt pleine de musiques secrètes,

cette forêt que nous sommes

et où, parfois, chante aussi un oiseau. »

ROBERTO JUARROZ. Quinzième poésie verticale

Françoise.

13/03/2010 18:10


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