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« Se tenir quelque part sur la terre ». N°1099

Écrit par sur 31 mai 2023

Faire le lien entre le collectage de paroles locales réalisé par Camille Rio et Élodie Quenouillère, artistes du spectacle vivant, qui ont créé Station sérail, un projet radiophonique et artistique- diffusé sur Radio Univers – et un livre qui a pour titre « Se tenir quelque part sur la Terre : comment parler des lieux qu’on aime » de la philosophe Joëlle Zask, c’est ce jour ce sur quoi se penche la Chronique .

Précision préalable. Il ne faut pas s’y tromper, ce texte de la philosophe n’est pas un hymne aux lieux qui nous plaisent, c’est plutôt une mise en garde contre les glissements possibles vers un nationalisme dangereux dans la définition qu’on en donne. En invoquant comme trop souvent l’identité, les racines, l’appartenance. Contre tout ce vocabulaire à proscrire « dont se nourrissent les mouvements d’ultradroite, il est tout aussi urgent de reconnaître l’importance, pour chacun, de son lieu de vie. Car mépriser cette relation, c’est nourrir la frustration qui fait le lit des positions politiques extrêmes. » écrit l’auteure en décryptant les enjeux politiques et éthiques qui y sont liés. Nourrie par son vécu en vue d’une stimulante invitation à réapprendre le monde.

Je l’ai dit, à cette émission « Station sérail » – à écouter ici- le point de vue de Joëlle Zask lui en offre en quelque sorte un éclairage précieux préférable « à rester à la surface des choses ».

« Un pays n’est ni une patrie, ni une nation, ni même un territoire bien délimité. C’est un parcours entre la montagne et la mer où transitent les bêtes, les gens, les marchandises, les plantes. Dans un paese, on se déplace, on fait des allées et venues au son de la cloche dont la portée délimite le village. La raison d’être du pays est la mobilité de toute chose. Ainsi être du pays, c’est aller librement, divaguer, traverser plusieurs paysages. L’habitant d’un lieu vécu comme « pays » ressemble à l’étranger que Simmel distingue du voyageur errant autant que de qui est fixé en un point. L’étranger, écrit-il, « n’est pas ce personnage qu’on a souvent décrit dans le passé, le voyageur qui arrive un jour et repart le lendemain, mais plutôt la personne arrivée aujourd’hui et qui restera demain, le voyageur potentiel en quelque sorte : bien qu’il n’ait pas poursuivi son chemin, il n’a pas tout à fait abandonné la liberté d’aller et de venir ». C’est même parce qu’il y a « une distance à l’intérieur de la relation » avec le lieu que tout ce que j’ai essayé de décrire peut se produire. On peut et même on doit pratiquer une sorte d’ »estrangisation » (ou ostranénie) à l’égard de son propre pays. Par contraste avec « habiter », « demeurer », s’identifier à un territoire, etc., se tenir à un endroit que l’on vit comme pays repose sur notre faculté de nous dépayser« . (p94/95)

Voici « le pays » ainsi définit. Assez à l’image de nos deux reportrices Camille et Élodie – par ailleurs, elles-mêmes en pays de Bretagne romantique arrivées il y a peu et qui resteront demain-, qui se déplacent d’un lieu vécu à l’autre. Reste alors à en saisir « une large palette de mots » comme langue vivante.

Dans son chapitre « Des lieux et des langues », Joëlle Zask écrit : « Nous accédons au monde réel par l’intermédiaire des langues que nous apprenons. Les expériences qui nous permettent d’intensifier notre rapport au coin de vie que nous occupons (ce pour quoi il nous importe) sont aussi portées par notre langue et nos discours.(…) En l’absence d’une langue, ou d’une langue suffisamment riche, impossible de faire son entrée dans le monde. Faute des mots et des notions pour remarquer et exprimer la variété des réalités et leurs singularités, nous voilà condamner à rester à la surface des choses. Pire, à être réduit à l’impuissance. En l’absence du vocabulaire approprié, impossible de percevoir la différence entre les diverses espèces de coléoptères. Le monde indicible est un monde qui ne nous dit plus rien. Au contraire, une large palette de mots me permet non seulement de percevoir plus finement mon milieu, mais aussi de multiplier les points de contact, donc d’expérience ou d’action, avec ce dernier. C’est ce dont témoigne par exemple Romain Bertrand dans « Le Détail du monde », où il expose le développement parallèle de notre inattention grandissante à l’égard de la nature et l’inflation de notre indigence à nommer, identifier et, donc, regarder les choses les plus banales, comme un pré, l’orée d’un bois, telle espèce d’insecte ou d’oiseau familier, etc. : « Ce n’est pas que le monde est muet, écrit-il, mais que nous avons oublié sa langue. Les choses sont là, fidèles au poste : ce sont les mots qui manquent à l’appel, et ce pour la seule et triste raison que nous les avons oubliés. » (p84/85).

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Joëlle Zask. Ainsi qu’autour de Bretagne romantique.


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