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Les Etonnants Voyageurs. N°532

Écrit par sur 30 mai 2012

Par un temps magnifique ! il y avait du monde…Et pourtant nous étions en salles. De sortie en ce lundi de Pentecôte, j’ai suivi deux rencontres. Je situe, ça se passait dans le cadre de la 23e édition de son festival des Etonnants Voyageurs de Saint Malo, chacun l’aura deviné.

La première : Théâtre Chateaubriand, début d’après-midi, j’assistais à une séance ciné-table ronde plate ayant pour sujet : « L’invention du sauvage ». Parmi l’échange d’anecdotes entre écrivains (Patrick Chamoiseau entre autres), réalisateurs et ethnologues, l’un des participants à cette rencontre, un jeune philosophe, tentait d’expliquer comment chaque communauté se fabrique de l’Autre. C’est-à-dire de l’étranger, prenant d’ailleurs pour référence l’Etranger d’Albert Camus, lui-même fumeur, il nous montrait comment dans nos sociétés modernes le fumeur devenait l’Autre, l’étranger, le sauvage des temps modernes. Celui qui sera condamné parce qu’il ne joue pas le jeu. Parce qu’il n’entre pas dans le rang d’une certaine normalité. Car disait le jeune philosophe qui intervenait, il n’est plus seulement mis en question la pratique de fumer -car un fumeur n’est fumeur qu’à l’instant de sa pratique-, mais de nos jours le fumeur est catalogué, mis en fiche, tracé, surveillé. Potentiellement, il présente à la communauté un danger, il devient le sauvage. Ce constat du jeune philosophe s’appuie sur la juridictionnalisation en cours dans les pays occidentaux, aux Etats-Unis surtout. Bon, admettons que ça soit suffisant pour inventer du « sauvage ». Et par dessus le marché qui sait une multitude sauvage.

La seconde : Palais du Grand large. Milieu d’après-midi. Fait chaud. Michel Le Bris avait invité deux penseurs de l’Islam, Souad Ayada et Christian Jambet, attendus pour partager leurs regards autour d’une table ronde sur le thème « Un autre Islam? ». Salle bondée. Beaucoup d’érudits je suppose. Grand tour d’horizon de l’islam, de ses multiples composantes. Islam religieux, islam politique. Des forces et contradictions internes. Ce que l’islam a pu apporter à la civilisation occidentale, ce qu’elle a repris réciproquement. Les dangers, les enjeux, les peurs…Pouvoir des mollahs et contre-pouvoirs (limités) des humoristes –du moins de ceux qui ridiculisent ces pouvoirs religieux. Chapeau bas donc à ces humoristes qui font un vrai travail de « conscientisation »… par le rire ! Disons par touches d’humour dans les feuilletons par exemple. Humour grinçant et sang-froid . Bref, un tour d’horizon fort éloigné de ce que l’on entend par les médias en général. Les intervenants sont des spécialistes du monde musulman : Jambet est spécialisé notamment en philosophie islamique et Souad Ayada est spécialiste de philosophie et de spiritualité islamiques.

Au final, quand il a fallu qu’ils décrivent la situation dans le monde musulman, notamment en Iran, pays bien connu de Christian Jambet, eh bien ce qui leur paraissait essentiel est tout compte fait la juridictionnalisation du pays. A savoir ce qui est relatif au droit, à l’application des lois. C’est cet islam-là qui privilégie la loi qui domine en Iran. Et non l’émulation entre les religions qui stimule la société musulmane. Voilà c’est bien de le savoir. Toucher aux lois, exercice universel ! A voyageur au pas lourd qui cherche profession, voici bien bon filon.

En fait, selon eux, l’évolution ainsi constatée ne fait que suivre celle existante dans les pays occidentaux. Et comme ce qui est fait dans ces pays du monde arabe suscite la peur dans les pays occidentaux, ces derniers en rajoute une couche dans la juridictionnalisation. Du coup, une bureaucratie en découle, internationalement. Castoriadis disait que tout respire ensemble, ça se vérifie là encore. Dans le vent. Différence cependant: avec l’islam, bloc d’imaginaire pour lequel la structuration religieuse du monde est fondamentale, la laïcisation du domaine public c’est pas pour demain. Qui s’en ressent, déjà.

Alors quand sur le programme du festival je lis qu’en Occident, « nous manque, pour refonder un « être ensemble » : (…) l’idée d’une dimension poétique de l’être humain, qui seule pourrait le fonder en son humanité », hum! n’est-ce point là dans quoi voudrait s’engouffrer, pour une nouvelle séance, un romantisme qu’on déterre? Je vois. La mer pousse au songe.

La « juridictionnalisation » (j’épelle) , mais c’est quoi ce terme ? Ne figure dans aucun dictionnaire juridique. N’est qu’un néologisme qui désigne « un procédé consistant à attribuer à des actes qui ne le comporteraient normalement pas la qualification d’acte juridictionnel, afin de leur étendre le régime de ce dernier ». La juridictionnalisation de la vie collective et le rôle croissant du juge dans les rapports sociétaux. Jusque sur le rebord des choses.

Ainsi selon les deux spécialistes de la philosophie et spiritualité islamiques, assiste-t-on à un grand processus de juridictionnalisation de règlement des différents. Pour la sévérité, voire application locale. Y a du choix! Voilà, en fait, à l’échelle mondiale le grand mouvement de fond qui touche tout, en tous lieux en tous instants dans l’esprit des gens. En tout genre.

En conclusion, parce que tout va plus vite, plus de thème unique pour ce festival mais selon les mots de Michel Le Bris, « des images et des réflexions multiples sur ce monde qui naît chaque jour ». Monde en proie à des stimuli incroyablement variés et complexes, j’ajoute. Eh bien, sans que cela soit voulu, pour deux thèmes qui n’avaient rien de commun, à deux endroits relativement espacés, finalement c’est de la même chose dont il était question. Première et seconde rencontres se font écho! Même évolution de sociétés dans « ce monde qui naît chaque jour ». Pas d’étonnant voyage, non. Pour le romantisme, c’est fini. Peut-on encore rêver ? Sur le principe, oui bien sûr! Pour le reste et sa dimension poétique, conseil retenu: se trouver un bon avocat. Dans la brousse des lois.

D.D

– La juridictionnalisation en acte? Primé au festival, Gilbert Gatore est menacé d’expulsion. Lire ici. Et .

-A écouter. Prochainement, la mise en ligne de nos entretiens avec Patrick Chamoiseau, écrivain, Pascal Dibie, ethnologue et Alain Mabanckou, écrivain, rencontrés à l’occasion du Festival des Etonnants Voyageurs.


Les opinions du lecteur
  1. françoise   Sur   1 juin 2012 à 6 h 58 min

    Soudain,quand je lis dans la Chronique: « En conclusion, parce que tout va plus vite, plus de thème unique pour ce festival mais selon les mots de Michel Le Bris, « des images et des réflexions multiples sur ce monde qui naît chaque jour », je pense Monde Morcelé.
    Alors Clic, je vais voir ce qu’écrivait Castoriadis en 1990 et je ne résiste pas à en coller ici une bonne lampée d’air iodé:

    La crise actuelle de l’humanité est crise de la politique au grand sens du terme, crise à la fois de la créativité et de l’imagination politiques, et de la participation politique des individus. La privatisation et l’ « individualisme » régnants laissent libre cours à l’arbitraire des Appareils en premier lieu, à la marche autonomisée de la techno-science à un niveau plus profond.
    C’est là le point ultime de la question. Les dangers énormes, l’absurdité même contenue dans le développement tous azimuts et sans aucune véritable « orientation » de la techno-science, ne peuvent être écartés par des « règles » édictées une fois pour toutes, ni par une « compagnie de sages » qui ne pourrait devenir qu’instrument, sinon même sujet, d’une tyrannie. Ce qui est requis est plus qu’une « réforme de l’entendement humain », c’est une réforme de l’être humain en tant qu’être social-historique, un ethos de la mortalité, un auto-dépassement de la Raison. Nous n’avons pas besoin de quelques « sages ». Nous avons besoin que le plus grand nombre acquière et exerce la sagesse — ce qui à son tour requiert une transformation radicale de la société comme société politique, instaurant non seulement la participation formelle mais la passion de tous pour les affaires communes. Or, des êtres humains sages, c’est la dernière chose que la culture actuelle produit.
    « Que voulez-vous donc ? Changer l’humanité ?
    — Non, quelque chose d’infiniment plus modeste : que l’humanité se change, comme elle l’a déjà fait deux ou trois fois. »

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