« Les mondes de 1848… » N°1103

Il n’est peut être pas d’autre écrivain à s’être autant attaché à ces gens que Michel Le Bris, romancier du grand large, partie prenante de l’effervescence intellectuelle de Mai 68 et des années 70, et fondateur du festival Etonnants voyageurs, qui adorait les pirates : «Je venais de finir Le journal du romantisme, et ce travail s’arrêtait en 1848. Je me demandais ce qu’étaient devenus ces petits romantiques qui disparaissaient. Dans les camps de chercheurs d’or se retrouvent les quarante-huitards européens et les mystiques américains. Ce télescopage de toutes les utopies me rappelait la Sorbonne de 68!».

A cette question de connaître ce qu’étaient devenus ces romantiques et quarante-huitards disparus, un collectif d’historiens parmi lesquels Quentin Deluermoz, s’est employé à y répondre dans un livre publié tout récemment « Les mondes de 1848 – Au-delà du Printemps des peuples ». Qui, de fait, s’inscrit ici-même dans le sillage de notre regretté écrivain-voyageur, liés l’un et l’autre à la même idée d’éclaircir ce point d’histoire. Dont – ne l’ayant pas lu moi-même- en voici ci-après la présentation.

« 1848 signe bien sûr le « printemps des peuples », soit une révolution très largement européenne, nationalitaire et démocratique. La courte séquence ouverte par 1848 dessine probablement la plus européenne des révolutions ; des soulèvements agitent en quelques mois une bonne partie de l’Europe occidentale, centrale et méditerranéenne.
Et s’il manquait, dans ce récit dominant, certaines pièces du puzzle?
Cet ouvrage propose de déplacer le regard, en prenant au sérieux la dimension globale, atlantique, impériale et coloniale des révolutions de 1848. En croisant les approches et les échelles d’analyse, il vise à exhumer la pluralité des « mondes de 1848 » et des expériences vécues au cœur ou à l’écart de ces révolutions. Saisir 1848 depuis la Californie, l’Algérie, le Mexique ou Ceylan modifie les manières de comprendre ce moment révolutionnaire, en abandonnant toute approche diffusionniste depuis un « centre » européen.
Au fil des pages se côtoient des révolutionnaires traversant l’Atlantique, des exilés et des utopistes en quête de nouvelles « colonies agricoles », des féministes réunies à Seneca Falls (États-Unis), et des esclaves aspirant à l’émancipation après la deuxième abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
Ce livre souligne, s’il en était besoin, les fortes résonances entre ces révolutions de 1848 et notre présent : en échappant à un récit strictement européen de 1848, c’est une histoire à portée plus universelle que dessinent les historiens et les historiennes, qui laisse sa part à une multiplicité d’acteurs effacés ou oubliés. »

De sa « portée plus universelle », l’image de couverture nous la rappelle : « La république universelle démocratique et sociale ». Idée qui, de fait, aura de multiples « percolations » dans des espaces lointains.

« Recoller les morceaux ». Michel Le Bris employait souvent l’expression. « Je me suis longtemps demandé ce qu’étaient devenus les petits romantiques quarante-huitards, qui avaient disparu de France après l’échec de la révolution. » Lui-même étant parti sur leurs traces, en Californie entre autres. Par cet ouvrage de 400 pages, ces historiens y répondent. Mais leur travail lui aurait-il convenu ? La question restera entière. D’autant qu’il eût ces mots: « Il y a du méta-historique, qui fonde l’Histoire, et qu’évacuent ceux des historiens qui veulent croire que tout est historique. (…) sur un plan historique, il y a des moments de rupture, des événements – ces moments où l’on est plus que ce qui vous détermine -, où s’exprime une liberté sans laquelle l’Histoire ne bougerait pas. »

Et pourtant, cette fois, c’est justement de l’histoire de « ces moments » dont il est question dans cet ouvrage d’historiens. Qui aide à comprendre ce qui a pu faire sens dans des pays et des régions si différentes. Tel que l’énonçait déjà un peu Deluermoz dans ce texte « La France n’est pas un hexagone » – à lire ici !

D.D

Ce qui a été dis et écrit ici-même autour de Quentin Deluermoz. Ainsi que de Michel Le Bris.