Michel Le Bris, « nous sommes plus grands que nous ! » N°978
Écrit par admin sur 3 février 2021
Nous vivons des temps de grandes incertitudes où il nous semble que le sens même de l’humain se trouve en péril : dans la puissance du poème, de la fiction, se trouve, je crois, une réponse. »
Michel Le Bris, écrivain, créateur d’Etonnants Voyageurs.
« Fidèle à sa volonté et fort de son éternel enthousiasme, le festival Etonnants Voyageurs vivra, car, comme Michel l’insufflait à chacun, nous sommes plus grands que nous ! », écrivent en son hommage son épouse Eliane et sa fille Mélani Le Bris – (site Etonnants Voyageurs).
« Nous sommes plus grands que nous ! « , assurément la parole « qui dit le monde » en décentrant les regards, y pourvoit du mieux qu’il soit – voir ici son édito de l’édition 2017 d’Etonnants Voyageurs.
Et me revient en mémoire ce qu’il m’avait dit à propos du succès du festival Etonnants Voyageurs. A savoir qu’une grande partie de celui-ci était due – sur proposition du nouveau maire de l’époque- à un lieu idéal, à Saint-Malo qui en elle-même porte dans la tête de tous l’imaginaire du grand large.
Ce à quoi, ce jour, vingt ans après, il me plaît d’apporter ce contrepoint vivifiant par l’hommage que lui rend le grand explorateur et éditeur de “ceux qui vivent le monde” (collection Terre humaine), Jean Malaurie, figure monumentale s’il en est : « Le plus grand mérite pour moi du festival de Saint-Malo, et de sa figure de proue, Michel Le Bris, est d’avoir non seulement rendu son honneur à l’idée de voyage, détournée de nos jours par la vague croissante du tourisme, mais aussi sa dignité perdue à la grande cité corsaire, qui s’était peu à peu réduite à n’être plus qu’une station vacancière et crêpière. »
Quoique « l’idée de voyage » soit victime à son tour de la même vague propre à réduire les prétentions et inventions affichées à une simple sortie dominicale à rallonge.
Et me dit-on à l’oreille de rappeler, à propos du romancier, l’étrange proximité disons, entre le livre de Mickaël Augeron portant sur la piraterie et la flibuste, et l’essai de Le Bris : « D’or, de rêves et de sang, l’épopée de la flibuste 1494-1588… ». D’où la condamnation de ce dernier en 2002 pour « contrefaçon partielle et limitée ». Pour s’en défendre Michel Le Bris aurait invoqué La Fontaine qui aurait plagié Esope dans ses fables…
Et me dit-on cet autre ré-ajustement salutaire: Verlaine est l’auteur du poème « L’homme aux semelles de vent » (titre précieux qu’empruntera avec succès Le Bris pour son livre en 1978). Verlaine rendait ainsi hommage à Rimbaud – lire ici… L’un et l’autre, précurseurs des voyages: « Tiens, c’est curieux ce dessin de Verlaine… » Etonnant voyageur » lui aussi ? » Bref, rendons à César, etc.
Le temps se manifeste de multiples manières… Parfois s’attache-t-il à en éclairer les divers pans. Dans l’indomptable et « irréductible certitude que nous sommes « davantage que nous-mêmes » (Michel Le Bris,« L’homme aux semelles de vent »(pg 238). Hugo l’avait devancé dans l’idée : « au fond de l’homme (…) le monde immense » (même page).
Mais par-delà l’audace parfois un peu « corsaire » du personnage, l’élan, les dissonances, les pratiques, voire le creux de vague partiel et limité auquel il nous est donné de passer outre, bref la simultanéité des contraires, ce qui chemine sont les « phrases que nous mettons dans le monde. »
Pour s’en convaincre, voici lancée concomitamment à la disparition du créateur du festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo – documentaire « hommage » à voir ici–, cette alerte destinée « à chacun » de l’écrivaine Marielle Macé, directrice d’études (EHESS-CNRS):
C’est le désir de penser la parole elle-même comme un milieu partagé et vulnérable, une zone à défendre, et à défendre dans l’exacte mesure où on la cultive et où on s’y retrouve : un « commun » dont prendre soin ».
Marielle Macé, auteure et chercheuse sur AOC.
Ainsi, dit-elle… « Il se pourrait même que la parole soit l’une des régions les plus polluées de la planète, et que cela aussi réclame un véritable réengagement. Il y a quelque chose en effet, dans l’exercice de la parole, qui peut participer directement de la contamination ou du soin de nos milieux de vie. La parole pousse, pleut, coule, éclabousse, depuis et dans et vers le monde, pour le meilleur et pour le pire : nos propres phrases parlent moins des choses qu’elles ne s’y mêlent, lignes entrelacées à d’autres, lignes interrompues par d’autres, phrases trempées de réel et s’y déversant en continu. – Et je ne dis pas cela pas pour faire croire que tout finit dans la parole, ou « aboutit à un beau livre » ; mais pour dire que c’est la parole qui finit dans tout, qui se répand dans les paysages, s’en mêle, s’y mêle, et qui peut aussi bien les polluer encore un peu plus que s’y composter, les irriguer.
Signes et déchets de signes, phrases et déchets de phrases font nos milieux de vie. En cela, l’actualité récente a souvent révélé, s’il en était besoin, quelque chose comme des états pourris de la parole, pourris à force de déliaisons, de rétrécissements, d’inattention, de bâclage, de négligence, de morgue, de dédain. Des états pourris de la parole politique, de la parole médiatique, et de nos propres échanges, c’est-à-dire des phrases que nous mettons dans le monde et entre nous, dans la rue, dans le travail, sur les réseaux, dans les tweets, ces « gazouillis ». »
Allez ! Bonne continuation au festival Etonnants Voyageurs et son énigmatique aspiration ! Ainsi qu’aux mots même pour dire ce besoin d’un « commun » qui nous manque pour être « plus grands que nous ! »
Pour que l’on puisse recommencer à se postillonner dessus tranquille, à s’entre-donner de la parole, et à tenter de contrer un peu les coulées de boue verbales (les nôtres aussi) qui polluent souvent l’espace commun« .
Marielle Macé, auteure et chercheuse sur sa page FB.
Et me dit-on encore à l’oreille: « Ne pas se voir, ne pas faire des choses ensemble, ne pas percevoir les petites expressions du visage, tout cela nous manque beaucoup. »
… « au fond de l’homme (…) le monde immense. » A qui nous adressons estime et considération.
D.D
Ce qui a été dit et écrit ici-même autour d’ Etonnants Voyageurs, de Marielle Macé, et de Jean Malaurie.