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Neige sur caténaires. N°4.

Écrit par sur 11 décembre 2009

L’hiver arrive, le vent vient de l’Est, les températures descendent, les premièrs givres, les premières routes verglassées…et puis bientôt la neige. Ce temps d’hiver a toujours quelque chose d’étrange. Quand la neige tombe, un silence émerge et le monde ralentit. Les routes peu à peu sont bloquées, les caténaires des voies ferroviaires ne fonctionnent plus et les trains s’arrêtent. Les piétons ont cette démarche mal assurée, plus préoccupés à ne pas tomber que d’être à l’heure au travail. Bref tout se bloque, se congestionne. On se rappelle encore de ce jour de neige à Marseille l’année dernière. Il faut voir comment tout s’est si vite déréglé. La ville, à l’arrêt, et le monde change. On est fébrile par temps de neige. L’hiver, n’attendez vous pas la météo le soir dans l’espérance qu’il neigera et que quelque chose de pas ordinaire puisse arriver…que l’on ne puisse pas aller à l’école quand on est gosse, que l’on ne puisse pas aller au boulot pour ceux qui bossent… que la neige providentielle vienne mettre un coup d’arrêt à la vaste matrice dans laquelle nous vivons. Un coup d’arrêt à la cadence quotidienne, celle du travail, des rendez-vous, du stress, de ce monde réglé comme une horloge. Il y a presque un soulagement quand vient la neige. Une parenthèse.

Ce temps, que les prévisionnistes météo nous annoncent, coïncide, ces jours-ci, avec les grèves du RER à Paris, les grèves de bus en province, les menaces de blocus des chauffeurs routiers, etc… Temps de neige, temps de grèves ? Du moins il y a comme quelque chose de commun. Ces deux temps sont ceux du blocage des réseaux de circulation. Ils introduisent un autre rythme dans le cours des choses. Temps de neige, temps de grèves : il faut se souvenir de Marseille l’année dernière et de toute la hargne des gouvernants à sanctionner parce que ça ne circule pas, parce que la ville est bloquée. Ou encore se souvenir des bouchons sur les autoroutes chaque année, quand la neige recouvre les chaussées, que les voyageurs se retrouvent emprisonnées dans leur boîtes sur roulettes, et toujours la recherche de responsables. Temps de neige, temps de grèves : il suffit de voir de quelle manière les gouvernants traite l’action des grévistes en général, des transports publics en particulier. Dans la presse : « l’injustifiable grève », « abuser du droit de grève », dans la bouche d’un président actuel : » les syndicalistes sont des irresponsables. On ne peut accepter que la France soit prise en otage sans préavis. » Temps de neige, temps de grèves : dans les deux cas l’on voit ressortir la rhétorique de la « prise en otage », de la recherche de « responsables », du blocage inacceptable, d’action quasi-terroriste. Pour peu et ils accuseraient la neige de participer à une entreprise terroriste.

Parce que, dans un monde globalisé où tout fonctionne en flux tendu, le blocage ou simplement le freinage d’un seul de ces flux, comme peuvent le provoquer la neige ou la grève, dérègle sévèrement la machine. Parce que l’usine désormais est hors des murs. Les routes, voix ferrées, sont les vastes chaînes de production des usines quotidiennes dans lesquelles nous vivons. Que sont les autoroutes qui acheminent toutes sortes de marchandises, les voies ferrées qui acheminent tous les matins la main d’oeuvre au boulot, les réseaux téléphoniques, radiotéléphoniques, numériques, électriques ( Pensez aux coupures de courant de la part des agents EDF) si ce n’est l’extension de ces chaînes de production? Et qu’est-ce que cette circulation si ce n’est celle de la valeur.  » La circulation le long de la chaîne productive est directement gérée comme un flux de valeur, ralentie ou accéléré selon les contraintes de la circulation »dit François Vatin dans son livre « La fluidité industrielle ».

Il y a ici quelque chose d’essentiel dans la mesure où le blocage touche directement à la maîtrise des réseaux de circulation et de ce flux de valeur. Les gestionnaires vivent dans la hantise de la rupture. Leur idéal est la « fluidité » et le coeur de leur action est de surveiller et de la contrôler. » La notion de flux renvoie toujours à la position de l’organisateur, du gestionnaire, technicien ou technocrate, cherchant à contrôler et à canaliser des masses turbulentes et fuyantes. La fluidité, c’est à dire la continuité sans à-coup des mouvements, constitue en ce sens une norme, un idéal de gestion. » dit encore François Vatin. Dès lors qu’advienne un grain de sable, une averse de neige ou une grève dans le processus et tout est désorganisé.Sur ce point une grève véritable des contrôleurs de flux, ceux qui ont la capacité de priver en quelques heures un pays entier d’électricité, d’essences ou de toutes les grandes matières premières « prendrait un caractère immédiatement insurrectionnel. C’est d’ailleurs le rôle qu’elle a joué dans le cadre « bon-enfant » de Mai 68. » Donc neige ou grève sont du même ordre pour les gestionnaires. » Chaque fois qu’une contradiction [ un blocage disons-nous] apparaît dans un réseau – risquant de polariser et de resolidariser ce qui doit rester fluide, cette contradiction est immédiatement soumise à un traitement […] destiné à décharger son potentiel subversif  » explique Pascal Michon dans  » Les rythmes du politique ».

Concluons là-dessus… sur le potentiel subversif des temps de neige.

M.D


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