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Habiter la terre. N°470.

Écrit par sur 24 mars 2011

Les maisons maternelles flamboient en moi. Elles seront toujours des maisons de terre. C’est ainsi que je les ressens, c’est ainsi qu’elles me contentent, c’est ainsi qu’elles sont heureuses, et moi avec elles.
Plus tard, en Picardie, lorsque je découvrirais les maisons en torchis, quel ne fut pas mon trouble. Cette identité d’argile qui me bouleversait tant, le mur sablé que mes craies de couleur rayaient à la moindre tentative de dessin étaient donc la mère universelle des hommes. Sans le savoir, j’oeuvrais à même son corps. Mais c’était un geste de souillon. Tous mes amis, eux, sont devenus des gens bien : ils ont bâti des maisons en dur. Ils se sont hissés au-dessus de la glaise, ils ont échappé à la boue. En un sens, c’est heureux – c’est même méritoire. d’un autre point de vue, ils ont rompu à jamais avec le déclencheur des frissons, et je les plains. j’ai toujours la sensation que, lorsque l’on coule le béton, tout cesse de respirer. »

Nimrod, poète – L’or des rivières.

Maison de glaise et de boue, il n’en fallait pas plus pour remettre à jour ce qui suit.

Maison de terre, qu’est-ce-que ça veut dire?

Etymologiquement, que signifie « maison »? action de séjourner, de rester. Et que signifie « terre »? sol , argile, domaine, étendue, planète, humanité, etc. Quand à la préposition « de »? provenance, possession, association.

L’association de l’habitat et de l’argile.

Utilisée depuis onze millénaires, la terre crue est le matériau de construction le plus employé au monde. Mais d’une région à l’autre la technique diffère. En Bretagne elle est cette pratique constructive originale qui met à profit un mélange de terre, d’eau et de fibres (paille). Ce mélange est appelé la bauge, on le retrouve en d’autres coins de la planète. Sa particularité? Bâtir avec de la bauge, c’est sans coffrage. Et ça constitue des murs massifs porteurs. Résultat? cette technique populaire appelée architecture vernaculaire, a offert, au moins dès le 16e siècle et jusqu’au premier quart du 20e siècle, une réponse efficiente aux besoins de bâtir sur la région de Rennes. Et en d’autres cantons de Bretagne. Nous nous y sommes intéressés. Pour élargir l’horizon.

Sa renaissance en Bretagne dans les années 90.

Une association (Panterre) basée à Tinténiac (35), fut créée en 1987. Ses objectifs étaient de faire connaître ce mode de construction dit vernaculaire qui connaissait un grand discrédit, et de contribuer à sa renaissance. J’en étais. Un long travail de sensibilisation et de soutien à la création d’une unité de production artisanale a ainsi été engagé. Celui-ci a pu redonner un certain regain d’intérêt à l’utilisation de la terre crue dans la construction durant les années 90 (plus d’une centaine de constructions en Bretagne). Cependant sans aide financière ni appui institutionnel, tout en s’inscrivant dans le champ concurrentiel de la maison dite « traditionnelle » en parpaing béton, l’équation ne fut pas simple à résoudre. Puis au tournant des années 2000, les actions de sensibilisation et de soutien menées par l’association laissèrent place à une professionnalisation naissante (architectes, artisans maçons, …).

L’essaimage des savoirs et savoir-faire constructifs en terre.

Des traces de ces actions? Par chance elles ont été en partie conservées. Parmi celles-ci, celle en rapport avec le soutien des projets de reconstruction, tant dans l’habitat individuel que collectif ; celle qui a soutenu le développement et l’essaimage des savoirs et savoir-faire constructifs en terre crue (bauge, adobe et pisé) ; celle encore qui a accompagné des projets de sensibilisation, de formation et de transfert de compétences au Nord comme au Sud ; celle aussi qui a permis le déploiement de prototypes, la mise en réseau d’acteurs sur le terrain, la recherche et l’innovation. Bref, voilà pour l’histoire notre contribution joyeuse à la « Planète terre ».

L’objectif de ces actions.

Il fut de promouvoir ce mode de bâtir et sa philosophie en démontrant la pertinence de ces nouveaux modèles constructifs auprès des acteurs politiques, économiques et sociaux. Pour cela ces actions furent impliquées auprès du grand public à travers des conférences, et un soutien apporté aux acteurs associatifs et des échanges réguliers. Bref, au bilan, ce qui fut assez réussi a été de changer l’état d’esprit général dans la région car pour beaucoup une maison de terre ce n’était rien, ça ne valait rien.

Plus de vingt ans d’engagement.

La période « Développement Durable » incite à ressortir des cartons ces actions anciennes. L’on imagine alors que la mise en ligne des documents pourrait contribuer à la publication de son oeuvre posthume. Et exhumer aujourd’hui cette démarche l’inscrirait dans la continuité de plus de vingt ans d’engagement et d’expérience. Hypothèse raisonnable car cohérente puisqu’en terme de durée au regard d’une  » garantie décennale », vingt ans c’est « béton » !

Face au « tout-béton ».

Il faut se rappeler qu’alors le « tout-béton » était une institution intouchable qui dégageait des bénéfices considérables et qui enfermait les gens dans un système de pensée unique. Faut-il rappeler que plus de 60% du coût d’un parpaing ciment est un prix d’électricité. Bonjour le nucléaire! Pour la construction des murs comme pour le chauffage!

Un bâti poétique.

Réhabiliter concrètement un mode de construction ancien utilisant un matériau qui a fait ses preuves, disponible en grande quantité et très bon marché, bioclimatique car fort économe en énergie par la régulation d’hygrométrie, à faible empreinte carbone, donc à coût stable, quand s’ajoute l’aspect « sociétal », l’effet positif sur la santé et en plus l’esthétique poétique, tout ça permettait de ré–interroger ce qui est et de ré-instituer à nouveau ce qui a déjà été institué. Et mettre ainsi en lumière le potentiel créateur de l’activité humaine susceptible de faire surgir ce qui n’est pas inscrit dans la stricte fonctionnalité du système économique. Et c’est dans l’espace public que nous remettions en question le pouvoir du « tout-béton ». Rappelons encore que celui-ci (et les lobbys qui l’entourent) institue les règles de construction (CSTB) dont les professionnels ne peuvent déroger.

Tenez, côté lobbys: sentant probablement le vent tourné la filière ciment-béton lance en ce moment même la campagne « Le béton, naturellement ». Le but de la campagne: « encourager les particuliers à faire le choix de la construction durable ». Oui, pour les enfumer durablement c’est bien joué!

Et côté normes: l’obligation d’homologuer le matériau et sa mise en oeuvre élimine d’office la bauge (qui emploie une forte proportion de « fines », c’est-à-dire d’argiles de faible granulométrie). Plusieurs siècles de construction nous contemplent, mais non, pas suffisant comme preuve…Ah! la terre crue est une matière vivante, au même titre que le coton ou le vin, ça diffère d’un endroit à l’autre, ça varie d’une récolte à l’autre, d’un savoir-faire à l’autre. Mais finalement ça tient!

Un nouvel univers historique.

Mais nous sommes passés dans un nouvel univers historique. Ce qui en témoigne c’est que la construction avec de la terre crue repart de plus belle. Ce mode de bâtir sort de la léthargie, sort du coma des sociétés du tout béton. L’impossible d’alors a le vent en poupe. Dans le monde entier. Pour s’en rendre compte il suffit de visiter ces nombreux sites et blogs qui en décrivent et illustrent l’art de façonner ce que l’on a sous les pieds, en donnant le b-a-ba de la méthode. Donc, nous n’entendons pas ici « parler architecture ». Nous laisserons cet exercice aux commentateurs tardifs.

Le poème de Nemrod.

Oui, ce poème du poète tchadien est une invitation à percevoir  » Cette identité d’argile » d’ici. Après tout, « c’est la perception qui est le fondement même de la vie que nous vivons. » (Pierre Hadot). Et puis l’occasion s’y prêtant, ça me permet ici-même de rappeler en quoi consistait la démarche qui fut la nôtre qui cherchait alors à reprendre en main nos façons de construire et d’habiter. Et de stabiliser de nouveaux savoirs et savoir-faire.

« Cette identité d’argile (…) la mère universelle des hommes. »

Le poème de Nemrod renvoie dans le même temps à la pensée de l’architecture « vernaculaire », c’est-à-dire à la façon dont les habitants eux-mêmes pensent et comprennent leur territoire. Retour à notre conviction première. Elle tient à ce constat: la pensée dite « vernaculaire » est universelle. Et « Cette identité d’argile (…) la mère universelle des hommes. » comme le dit Nimrod, montre combien les hommes ont toujours su utiliser ce qu’ils avaient sur place et sous leurs pieds pour habiter poétiquement la terre.

D.D

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