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Erri De Luca, « Impossible ». N°963

Écrit par sur 21 octobre 2020

Je vois la société comme une construction faite de matériaux de plus en plus mauvais au fur et à mesure qu’elle progresse vers le haut. »

Erri De Luca, « Impossible ».

«  »Il faut avoir de la suite dans les idées », nous avons besoin d’une suite d’idées, disent-ils en France. » Erri De Luca en adopte le précepte. Il ne renie en rien sa participation physique aux assemblées, défilés, occupations, tous ces lieux de soulèvement populaire des années 70 en Italie. Il le dit, il a agi de la sorte en tant que citoyen solidaire, conformément à ses convictions et à son action.

Et si les époques ont changé, et que la réalité n’est plus la même, rien ne l’a ainsi détourné de ses idées, sentiments et combats pour l’égalité et la justice sociale. Fidèle à ces convictions, il s’est engagé à défendre la cause des migrants après avoir mis bien en lumière – à l’occasion d’un procès indigne qui lui était fait visant à réprimer la liberté d’expression et qu’il a gagné- la lutte « de bon sens absolu » de la vallée alpine du Val de Suse: une vallée occupée militairement, où les troupes de la force publique ont été logées aux frais de l’entreprise privée qui construit l’ouvrage inutile appelé TAV (ligne à grande vitesse Lyon-Turin) avec un pouvoir judiciaire qui agit comme un bras répressif plutôt que comme un organe impartial. Un lieu où l’on peut risquer deux ans d’emprisonnement pour une manifestation pacifique, en refusant sans honte les peines de substitution prévues. Pour Erri De Luca, le combat continue, obstiné, coriace, sachant qu’en Italie rien n’a changé durant toutes ces années. Et s’il le mène c’est en tant que personne qui, au moment nécessaire, prend des engagements.

Avec quelques autres, il appartient à ce courant de vie et de pensée libre qui, par son orientation politique, se poursuit en toute loyauté, conscience et résistance. A soixante-dix ans, il est lui aussi entredeux mondes. Les gens ont changé et les nouvelles générations ne comprennent pas ce qu’était ce monde des années 70. Ainsi estime-t-il qu’il convient de leur expliquer.

Dans son livre Impossible, un roman, il s’y emploie. Par le biais d’un dialogue entre deux protagonistes. Un jeune magistrat et un prévenu, un ancien activiste des mouvements de contestation dans les années 70 en Italie. Le procureur veut faire condamner celui-ci pour un crime qu’il n’a pas commis. Il l’accuse d’avoir voulu régler son compte à un ex-camarade qui, à l’époque, a trahi les siens afin d’obtenir une réduction de peine.

La victime est retrouvée au fond d’un précipice après être tombée d’un sentier escarpé des Dolomites. Témoin de la scène, c’est sur l’homme qui alertera les secours que portera l’accusation. Au motif qu’il le suivait et qu’il n’ignorait rien de sa trahison ancienne. D’où l’accusation d’homicide pour règlement de compte, la chose est entendue. Estimant qu’il s’agit-là d’un meurtre prémédité, le jeune magistrat en imagine alors tous les scénarios. En usant de tous les stratagèmes pour le faire avouer.

Le magistrat ruse. Jusqu’à tenter d’amener le suspect à négocier un arrangement de peine s’il accepte de se reconnaître coupable. Et donc de renoncer à son innocence. Pour ce jeune procureur qui n’en démordra pas, il n’y a pas eu accident, mais crime. Mais le présumé coupable, alpiniste chevronné, qui vit dans la nature avec beaucoup de culture, et répétant à l’envi qu’il est devenu vieux, ne cèdera en rien à l’injonction comme à l’intimidation du jeunot qui manie sans peine les mots appris, prêt à tout pour le faire condamner. Décidé à ne pas se laisser faire puisqu’il est innocent. Et qu’à ce titre, face à ce jeune magistrat qui se sent porté par les lois, le suspect ne négociera à ces risques et périls aucun arrangement. Sans renier à ses convictions premières, ni en proie à des moments d’abattement, mais aussi conscient de l’échec des jours prometteurs il y a belle lurette révolus dont les secousses historiques se ressentent encore, l’accusé ne cessera de démonter point par point les scénarios adverses, sans omettre d’examiner avec finesse le cours de l’histoire. Finalement, de tous ses crapahutages en terrain accidenté, cette fois celui de l’accusation, il en ressortira intact.

Si ce livre Impossible prend bien l’allure d’un roman sous forme d’un face à face haletant – un interrogatoire-, entrecoupé de lettres de prison émouvante à une femme bien-aimée, Erri De Luca explique en vérité à la jeune génération en quoi consistent l’engagement civil, l’amitié trahie, la justice et les forces de répression politique toujours en vigueur de nos jours en Italie. En fait, il s’agit-là d’une leçon d’histoire de l’entre–deux mondes concise et précise, une vraie histoire de vies à transmettre, là-bas comme ici. Car « nous avons besoin d’une suite d’idées », comme il se dit en France et dont il reprend la formule .

E la lotta continua.

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour d’ Erri De Luca. Ainsi qu’autour de Vincenzo Vecchi.

Erri de Luca apporte son soutien à Vincenzo Vecchi, à lire ici.


Les opinions du lecteur
  1. FRANÇOISE   Sur   21 octobre 2020 à 20 h 17 min

    « Le magistrat qui m’interroge a la moitié de mon âge, il ignore tout de la montagne et des histoires des années révolutionnaires. C’est moi qui devrais l’interroger.
    Il n’est jamais allé en montagne et il essaie de comprendre ce que je vais y faire.
    Je lui ai répondu qu’on y va pour rien qui sert à quelque chose. Car l’inutile est beau. Je sais que ce n’est pas une explication, mais avant de poser une question sur un sujet on devrait savoir de quoi on parle. Je ne demande pas à un pilote ce que c’est de voler, si je n’ai jamais pris l’avion.
    Je garde la bonne partie de la réponse, que je te réserve. Je vais en montagne parce que c’est là-haut qu’est arrivé le bord de la terre. Sa frontière avec le ciel et l’univers se trouve là-haut, et alors en grimpant je peux aller jusqu’au point où il n’y a plus rien à escalader. Je suis la terre jusqu’à l’endroit où elle s’est élevée et continue encore à s’élever. Car les montagnes grandissent.
    J’y vais par admiration pour les forces qui dépensent leur énergie démesurée là-haut. Cette année, j’ai traversé des avalanches qui ont effacé des routes, des forêts abattues par le vent, des versants tombés au fond de la vallée. Et, au milieu de ces effondrements, la vie animale existe et se reproduit.  » ERRI DE LUCA
    Impossible

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