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Liberté de parole et liberté d’expression. N°669

Écrit par sur 4 février 2015

friendD’emblée, permettez que j’établisse ce lien fort utile, en ces temps bien perturbés, sur la tribune de Robert Maggiori, journaliste à Libé, le monsieur philo qui signe chaque jeudi depuis plus de trente ans d’excellentes critiques de livres –dont je suis un lecteur friand.

Ainsi s’emploie-t-il dans cette tribune à poser cette question : internet, est-ce un outil qui appauvrit la liberté d’expression ? Le journaliste, par ailleurs ancien professeur de philosophie, éditeur, et traducteur, estime que sûrement oui, c’est vrai.

Après avoir ici, dans ces dernières chroniques en rebond à l’événement Charlie, abordé la question de la liberté de parole et la liberté d’expression à travers les écrivains François Cavanna et Erri De Luca qui bataille encore, puis les témoignages de la journaliste Florence Aubenas et du poète Seyhmus Dagtekin, en passant par ce cinéaste René Vautier qui a pris de tels risques pour préserver sa liberté d’expression, il est vrai que pointer du doigt cette fois internet et son usage dans le domaine du « pouvoir de formatage » est frappé au coin du bon sens.

Suivons Robert Maggiori dans son raisonnement. Tiré d’une part, je le suppose, de ses observations de l’intérieur, dans son propre journal, de l’évolution de la sphère numérique. Rappelons que ce quotidien a été depuis le début d’internet aux avant-postes dans la mutation technologique des organes de presse. Mutation qui fait petit à petit d’un journal papier construit sur l’éthique de la liberté de parole et la liberté d’expression, marque distinctive de Mai 68, une technologie qui, comme ailleurs, pisse en continu un flux d’infos brèves et approximatives. Le tout accompagné de commentaires qu’il décrit ainsi:

« La facilité, la gratuité, la pseudonymie, l’anonymat, le sentiment d’impunité, la vitesse, la viralité, ont fait que, à côté des merveilles qu’il offre, le Web provoque l’ouverture d’un gigantesque vase de Pandore, d’où jaillit comme d’un geyser tout ce que les hommes ont de pire, les mensonges, la perfidie, la cruauté, les extorsions, les arnaques, les faux savoirs, les diffamations. Forcée d’être rapide, instantanée, réactive, l’expression s’est dépouillée de tout semblant d’argumentation, pour devenir dans bien des cas (interrogez un modérateur de forum ou de tchat !) insulte, invective, offense, borborygme, crachat de haine, vomissement de rancœurs, de ressentiments et de frustrations… »

Et d’autre part, je le suppose là-aussi, tiré d’observations de l’intérieur, mais cette fois via son autre métier d’enseignant, dans l’école, cette autre source du langage.

Selon Maggiori, Internet contribue bel et bien à nuire à la liberté d’expression, au bénéfice (financier) des grands groupes américains (comme Facebook et Twitter).

« Les grands groupes capitalistes qui en bénéficient le plus, et qui en quelques décennies ont acquis une puissance financière et un pouvoir de «formatage» des individus supérieurs à ceux des Etats, ne sont guère soucieux de l’expression, ou mieux, sont davantage intéressés au fait de s’exprimer qu’au contenu de l’expression, puisqu’ils vendent des «connexions», constate le journaliste. A tel point qu’ils ont réussi à convaincre le monde entier, y compris ceux dont le métier est de former, d’instruire ou d’informer, qu’on pouvait s’«exprimer» par un like et que 140 caractères suffisaient à tout dire, tout commenter, tout critiquer ».

Quant aux Google, Facebook et consorts, Maggiori ne tourne pas autour du pot : ils ont réussi à « transformer le monde en un peuple de métayers qui, presque à son insu, travaille, jour après jour, clic après clic, à les enrichir » (Relire dans le même ordre d’idée: les Chronophages).

Avec comme effet collatéral « la dévastation de l’expression » dit-il. Bon, ça donne le tournis, cette maladie des moutons et des bœufs dans laquelle nous sommes pris d’une sorte de vertige. Mais métayers le serions-nous aussi ? Cruel constat. Quelqu’un ignorerait-il encore qu’internet n’est qu’une extension des mesures néolibérales, qui enfle, s’hypertrophie, prolifère, se multiplie toute seule en métastases ?

On dira donc ici que la liberté d’expression, eh bien, dépend essentiellement d’un truc exprimé mercredi soir en ces quelques mots du grand poète Bernard Noël (à ré-écouter ici) : « C’est le regard extérieur qui fait le regard intérieur ». Formule adressée comme un sage coup de patte à celles et ceux, souvent jeunes, trop plaqués à l’écran comme plaqués à terre, tellement absents à ce qu’est la vie.

D.D


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