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« L’univers est musical. » N°1016

Écrit par sur 27 octobre 2021

… je vois la musique comme un océan énorme. Nous, nous nous tenons encore sur le rivage, perdus devant son immensité, devant cette masse liquide et transparente, sans nous rendre compte que nous nous tenons face au berceau de la vie, face à une matrice universelle d’où tout a jailli : les sons du monde, la langue, les savoirs, la culture, le ballet fécond des Muses. Les anciens le savaient depuis longtemps, les modernes l’ont répété. Le philosophe Platon en son temps affirmait déjà que l’univers tout entier était fait de musique. Un peu plus tard, Kepler s’émerveillait de l’harmonie des sphères et du ballet musical des astres. Philosophes et scientifiques célébrant à l’envi la même vérité, profonde, cachée, oubliée, à savoir que la musique est universelle et que l’univers est musical. »

Michel Serres, philosophe – entretien « Quand Michel Serres nous parlait musique (c’était passionnant) », accordé à Télérama.

Ce n’est évidemment pas un hasard si, au moment où l’on plonge dans un bouquin à peine entrouvert, le texte qui apparaît nous ramène comme une traînée blanche à la Chronique précédente. C’est qu’à la suite de celle-ci, il y avait une nouvelle chronique à écrire. Bien sûr, je ne saurai pas ce qui a causé chez moi pareilles coïncidence et synchronicité. Formes d’assistance insondable vibrante d’ondes ? Prenons alors cet éclat d’un moment comme il vient. Il nous est offert cette fois-ci par Michel Serres, affable comme à l’accoutumée dans son livre musique. Dont les mots conforteraient en même temps ici-même nos choix comme notre nom Radio Univers :  « le fleuve musical qui descend des bruits du Monde vers le sens des langues et les performances des sciences … »

Michel Serres proposait ainsi dans musique une philosophie de la Musique, de ce « vrai langage du Monde et des vivants. » Extrait.

« La Musique et nous

… les nôtres. Je ne parlerai jamais toutes les langues des humains et des anges. Cette somme dépasse mes forces. Mais je puis me souvenir. Aux dates où nos ancêtres quittèrent l’Afrique-berceau, avant même qu’ils divergent, avant que leur séparation explose, ensuite, par la mosaïque des contraintes climatiques, des dialectes et cultures, comment communiquaient-ils entre eux? Usaient-ils d’un nostratique archaïque, d’où descendrait cet éventail chromatique de langues ? Comment retrouver ce premier canal nôtre ? Nous n’en conservons aucune trace.

Qu’avons-nous tous en commun, encore maintenant ? La Musique. Si elle chante dans mon vent d’âme, seul, elle nous fédère aussi. Elle sait nous rassembler. Elle nous convoque. Et parle à chacun de nous. Nous ne connaissons pas de culture sans danse, rythme ni chant, sans ululement ni mélopée, sans nénies funèbres, sans péans de joie. Nous ne connaissons pas de groupe sans choeur. Homo musicus. Hélas, nous n’en conservons de traces que récentes.

Je rêvais tantôt des origines par l’éthologie aviaire; je rêve maintenant d’une préhistoire humaine. Nous datons seulement de soixante mille ans les premières flûtes découvertes en Europe centrale; à Mézine, en Ukraine, les archéologues trouvèrent, dit-on, une sorte de fosse d’orchestre pleine d’instruments à vent, à cordes et de percussions; le paléolithique avait-il déjà inventé l’opéra? Tous les instruments diffèrent, certes, selon les cultures, toutes les compositions, tous les styles et les tonalités, mais il me semble ouïr l’appel, le cri, la vocalise qui les réunissent et d’où ils émergent. Jamais en contact, les Peuls du Niger, les Naga de l’Assam, les Albanais chantent encore des modes pentaphones sur bourdon, identiques.

Je rêve, en effet. Enfoui, caché entre le brouhaha du Monde, du corps propre, d’une part, et, de l’autre, les cris des foules réunies ou la multiplicité compacte des langues ouïes, gémit ce que les cultures, depuis, jouent sous le nom de Musique. Oui, dans le double puits de ma gorge et de mes oreilles, dans le triple pli des orages, des places publiques et de mon désir, hurle ce que nos amis allemands nommeraient l’Ur-Musik, la Musique primordiale de l’humanité: universelle ici, singulière là, pour mon corps et ma culture.

(…) La Musique élève tous les arts, code toutes les sciences, souffle sous les langues, accrète les sociétés, inspire toutes les pensées, mieux encore, rythme, enveloppe, déploie nos mouvements émotifs et la suite, réglée mais inattendue, des nombres; sous elle, derrière elle, entre elle et cet appel ample des choses et des corps, gît le mystère muet, coffre de tous les secrets. Qui le découvre parle virtuellement toutes les langues et entend toutes les voix du Monde. » (musique p71/72/73).

Penser la Musique ainsi, en quelques minutes, en quelques mots : «l’alliance secrète entre la musique et la langue (…) Qu’avons-nous tous en commun, encore maintenant ? La Musique. (…) N’étant porteuse d’aucun sens, la musique les possède tous”.

Et dans l’entrouvert du livre, on tire sur le vif les effets sûrs des sons : « Cela se nomme Musique, cette mer immense qui baigne et inonde le Monde, berce les vivants qui pullulent, bouleverse les humains, foules et cultures, mer où plongent les personnes et leurs émotions, mer Musique dont les ondes acoustiques, envahissant l’Univers, sonnant l’universel du sens avant que quiconque s’exprime, consolent qui pleure et, de joie, dilatent qui loue. » (p165).

 

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Michel Serres. Ainsi qu’autour de la musique.

 


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