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« Courage, seule la terre est éternelle ». N°1043

Écrit par sur 4 mai 2022

J’ai appris qu’on ne peut pas comprendre une autre culture tant qu’on tient à défendre la sienne coûte que coûte. Comme disaient les Sioux, « Courage, seule la Terre est éternelle ». Peu parmi les cent millions d’autres espèces sont douées de parole, si bien que nous devons parler et agir pour les défendre. Que nous ayons trahi les peuples autochtones devrait nous pousser de l’avant, tant pour eux que pour la Terre que nous partageons. Si nous ne parvenons pas à comprendre que la réalité de la vie est un agrégat de perceptions et de la nature de toutes les espèces, nous sommes condamnés, ainsi que la Terre que déjà nous assassinons. »

Jim Harrison, « Seule la Terre est éternelle« , America n°9, printemps 2019.

Premier constat: vu à Saint-Malo dimanche dernier 17h, au cinéma Vauban, le film documentaire « Seule la terre est éternelle » qui recueille peu avant qu’il ait le coeur usé, la pensée sauvage de l’un des tout grands poètes et romanciers américains, Jim Harrison, suscite une sensation qui nous saisit. Tout le monde rêve d’enregistrer le testament d’un grand bonhomme, d’un type bien. Avec grâce et dignité, c’est ici le cas, François Busnel l’a fait. Et l’on y participe, c’est franchement surprenant. Et que ça soit là que j’aille voir ce film m’est apparu un poil naturel ayant en mémoire le passage devenu mythique d’Harrison par le Festival Étonnants voyageurs – lire ici.

Depuis lors citoyen d’honneur de la cité sans que ça soit sur le papier, tellement sa présence avait résonné par delà les remparts. Les grandes heures du festival mis au point par Michel Le Bris. Mais son rire retentissant d’alors ne s’entendra plus, et d’ailleurs il manque à ce film très réussi. Dans celui-ci Harrison y apparaît fort fatigué, à bout de souffle et la démarche en vrac. Pour le moins, dans une mauvaise passe. Et pourtant.

Pourtant rien ne change à la donne. A bout du rouleau mais intacte et forte, sa pensée de vieux sage Indien des grands espaces – de son Amérique, de l’Arizona au Montana et jusqu’à la frontière avec le Mexique-, amoureux des arbres et des ruisseaux, loin de la mer, échappé des villes faites de vitesse et d’absurdité, de violence et de destruction.

Une rivière qui coule c’est une belle métaphore de la vie. Elles vont toujours de l’avant, impossible de revenir en arrière, tu ne peux qu’avancer ».

Jim Harrison, film « Seule la Terre est éternelle« .

Grand moment d’un humanisme profond sur grand écran dont l’un des co-réalisateurs n’est autre que l’animateur de la Grande librairie sur petit écran, François Busnel. Qui avait fait sa rencontre en 1999, au café littéraire d’« Etonnants voyageurs » dans la petite rotonde du Palais du Grand Large ! Phare de la Littérature-Monde française, celle des grands espaces qui stimulent l’imaginaire, une ressource vitale tel que l’avait imaginé Michel Le Bris sur son petit îlot de la Baie de Morlaix.

« Je ne voulais pas faire un film sur Jim Harrison mais avec lui » dit Busnel, nous l’en félicitons vivement. Car, déposées au fil de l’eau comme au creux de nos oreilles, il y coule, sous un sourire attendri, l’amour de la nature sauvage, l’éloge de la vie simple, l’existence des humbles et oubliés, le respect des populations autochtones victimes de génocides et pillées par les conquérants européens qui, de nos jours encore, sous l’étendard de l’Amérique ne cesse d’envahir et de s’approprier les richesses en asservissant les peuples. Est-ce toujours temps de le rappeler ?

Sa voix souffreteuse nous fait traverser son œuvre littéraire immense, avec le sentiment de l’oeuvre accomplie qui toujours a donné une voix à ceux qui n’en ont pas. Comme de la compréhension de l’âme féminine. Et comme dans ses livres et sa poésie, elle énonce doucement, sans brusquerie mais sans complaisance, une magistrale réflexion sur un monde, le nôtre. Rappel utile face aux vicissitudes du temps qui n’est plus le sien.

Et puis, dans la conversation il y a ce tic de langage, ce « you know » – vous savez- qui ponctue toutes ses phrases. Ce tic que les réalisateurs ont su conserver au montage, n’est pas anecdotique. Mieux qu’à soutenir son propos, peut-être invite-t-il celui qui écoute, à renouer avec ce lieu où pensée et poéticité sont intimement mêlées. Ce centre vibrant et intime. Où quelque chose a lieu, ce qu’il nous est donné de vivre dans nos vies singulières.

Chez lui, tous mots construits sur « un agrégat de perceptions et de la nature de toutes les espèces » façonnent l’échelle informationnelle dans les grandes dimensions. Mais pour revenir à la sensation qui nous saisit :

Il est si difficile d’emballer certaines sensations avec des mots. »

Jim Harrison – « Les jeux de la nuit. »

Pas facile d’emballer tout ça, ok ! Des mots quand même : pourquoi, dis-je ci-dessus, « l’on y participe, c’est franchement surprenant » ? Eh bien, parce que le bonhomme, le vieux Jim, y est émouvant, touchant et ce qu’il dit est prenant. Universel. Sans esbroufe. Tel quel prompt à fusionner avec la nature. Ponctué de pulsations et d’enchantements ténus en raison de son mauvais état physique.

Second constat, sa première venue en 1995: Dans la petite rotonde du Palais du Grand Large, j’y étais. Super moment ! Flop! flop! Grands rires. Il arrivait de s’être trempé les doigts de pied et bas de pantalon dans les vagues du Sillon. Plus tard écrira-t-il : « M’étant avancé très loin sur le lit dénudé de l’océan, j’ai pris quelques résolutions sur lesquelles j’ai écrit un petit « poème de Saint-Malo ». J’ai décidé de me désintéresser totalement de mes responsabilités financières et d’écrire un roman intitulé The Road Home. Et c’est justement ce que j’ai fait, grâce à ma révélation bretonne. Ce poème, le voici :

La vie est trop courte pour me prostituer plus longtemps »,
ai-je psalmodié à l’océan Atlantique
depuis ma chambre du bord de mer à Saint-Malo,
l’esprit tout à fait frugal jusqu’au moment où
j’ai fait une longue promenade à marée basse
vers la mer
et observé de près des vieilles dames françaises
ramassant des coquillages. En partant, elles ont agité
leur index en me lançant : « La marée, la marée »,
et je les ai regardées repartir vers la côte
où je n’avais aucune envie de les suivre.
Quelques-unes
se sont arrêtées pour agiter les bras comme des moulins.
La marée ! La marée descend, et puis elle remonte
sur cette plage, énormes, hautes
de sept ou huit mètres,
les vagues sont revenues vers le rivage lentement
mais plus vite que moi. Je ne voulais
toujours pas repartir
parce que j’avais l’impression d’être
une très vieille prostituée
qui veut se noyer, mais alors cette impalpable
pulsion de l’ego
est partie à la dérive à la suite
d’une chiure de mouette.
Avant de mourir, il faut que je mange
les trois étages du plateau
de fruits de mer, accompagnés de deux bouteilles
de Sancerre. C’est son dîner qui ramène
chez lui le chien battu,
la queue mi-haute, mi-basse,
non pas un chien prostitué,
mais des jambes qui trottinent, un ventre vide.

Jim HarrisonTraduit de l’anglais (États-Unis) par Béatrice Vierne.

D.D

         La belle page Jim Harrison sur Lieux-dits.eu, à voir ici.

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour du Festival Etonnants Voyageurs. Ainsi qu’autour de Jim Harrison. Et de Michel Le Bris.


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