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Castoriadis/Ricoeur, dialogue. N°742

Écrit par sur 6 juillet 2016

citéricoeurUn nouvel équipement immobilier universitaire au standard international destiné à l’accueil, à l’accompagnement et à l’hébergement des chercheurs étrangers vient d’être réalisé à Rennes. Donnant sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, son nom : la Cité internationale Paul Ricœur. Le but ? Faire de Rennes le phare d’une région ouverte à l’internationale.

Pourquoi Paul Ricoeur ? Si son nom a été donné par les élus rennais à cet immeuble universitaire de prestige et que dans la cafétéria de celui-ci y sont inscrites ses citations dont celle-ci « Vivre bien, avec et pour les autres, dans des institutions justes », c’est en raison de ses 15 années vécues à Rennes durant sa jeunesse où il obtient l’agrégation de philosophie en 1935, puis pour avoir enseigné cette discipline aux lycées de Saint-Brieuc et de Lorient. Ainsi qu’en raison de son « oeuvre « réflexive mondialement connue« .

Si bien que Patrick Strzoda, alors Préfet de Région -actuel directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur !-, avait déclaré à la pose de la première pierre, en 2013, que le monde universitaire rennais passait « à la vitesse supérieure » grâce à la construction de la Cité. Puis avait terminé son intervention par une leçon retenue de sa lecture de Paul Ricœur : « Les sociétés qui ne sont pas éclairées par des philosophes sont souvent manipulées par des charlatans. »

Rennes, ville universitaire, a depuis quelque temps -et c’est tout à son honneur aurait pu se réjouir Ricoeur– acquis par ailleurs une haute notoriété nationale, voire européenne, en passant même « à la vitesse supérieure » sur le plan de la grande implication de sa jeunesse étudiante à la tripe démocratique -éclairée comme il se doit par des philosophes- dans les manifestations sociales contre l’autoritarisme et en faveur du bien vivre ensemble et d’institutions justes. Ainsi que par ailleurs, dans le registre des violences policières. Lire ici et .

Castoriadis-Ricoeur-couv.inddNotons qu’un petit livre de philosophie « Dialogue sur l’histoire et ­l’imaginaire social » aux éditions EHESS, vient de paraître qui est la retranscription d’un dialogue radiophonique de 1985 portant sur le rôle de l’imaginaire social dans les transformations historiques. Les deux grands philosophes Paul Ricoeur et Cornélius Castoriadis y débattent de la possibilité de la nouveauté et de la création dans l’histoire. Ces deux grandes figures de la pensée vouant l’un pour l’autre un profond respect, par delà leurs différences de vue.

Comme il est dit en 4ème de couverture: « A la création historique défendue par Castoriadis, Ricœur oppose une dialectique de l’innovation et de la sédimentation. » A quoi j’ajoute cette précision: le terme de création historique signifie pour Castoriadis « position de nouvelles déterminations – l’émergence de nouvelles formes (…) de nouvelles lois ». (Les Carrefours du labyrinthe, t.5 p.20). Extraits.

Or il s’avère, bien que l’irruption en plusieurs lieux de la ville des immeubles de grands standings et de prestige modifiant considérablement son aspect « démocratique » renvoie à un tout autre imaginaire social, qu’en cette encore bonne ville de Rennes qui se révèle parfois comme une agora, ces deux noms pourraient y être accolés.

Puisque si l’un aujourd’hui est bien posé sur son piédestal de verre, d’acier et de béton, tout au long de ces 5 mois de mobilisations la pensée de l’autre circule en paroles ou par brochures photocopiées, comme entre toutes et tous lors des Nuits Debout rennaises qui se sont tenues à quelques pas, sur l’esplanade Charles-de-Gaulle. Ou bien à la Salle de la Cité, salle municipale, rebaptisée de son nom historique par les opposants à la Loi travail qui l’occuperont: la Maison du Peuple. Dont l’expulsion le 29 mai par les forces de l’ordre sera directement diligentée par le… cabinet du ministre de l’Intérieur !

Notre radio fut à l’initiative avec la librairie Planète Io, en 2014, de la venue de l’historien François Dosse, auteur d’une importante biographie intellectuelle qui entend rendre justice à ce grand penseur qu’était Cornélius Castoriadis. A ré-écouter ici. Selon François Dosse, « pour rouvrir les possibles de notre imaginaire social, l’œuvre de Castoriadis est une ressource précieuse ». Mais auparavant, en 97, ce même historien avait fait aussi la biographie de Paul Ricoeur. C’est pourquoi lors de la présentation de son ouvrage il évoqua la relation fort cordiale qu’entretenaient l’un pour l’autre ces deux phares de la pensée démocratique et sociale. Alors que tout semble les opposer.

C’est ainsi que des points forts les réunissaient par delà leurs divergences. S’ils s’opposaient entre autres sur « les conditions de possibilité de l’agir humain dans des circonstances données » (p.15), ce que met en évidence cet entretien retranscrit dans ce livre longuement préfacé par Johann Michel, philosophe et politiste, professeur d’université et membre du Centre d’étude des mouvements sociaux, est la convergence que note celui-ci sur un « plaidoyer pour l’innovation historique » (p.17), comme sur le fait que l’homme est « non pas seulement l’homme de la parole, mais l’homme qui échange, imagine, invente et transmet des signes, du sens, des symboles, des textes, des récits » (p.21). Ainsi que sur leur position commune: « le refus de réduire et d’indexer le politique sur l’économique » (p.19).

Or, n’est-ce pas fort justement ce même message « pour rouvrir les possibles » face au déni démocratique -le dernier en date étant ce 49.3 acte 2, signe avant-coureur de sénilité-, que transmet l’écho porté par les mobilisations rennaises contre la Loi travail si violemment nassées («mise en cage du droit de manifester») par la police ?

Convergence locale ? Possible. Observons: François Dosse écrit dans son ouvrage sur Castoriadis que celui-ci pensait qu’il était nécessaire de “retrouver les voies d’une société plus conviviale, fondée sur l’intensité du lien social et non sur la maximisation du profit”. Or ne s’est-il pas tenu en un lieu universitaire (Rennes 2) de cette ville à la fin 2015, une rencontre des Convivialistes (à ré-écouter ici), pour laquelle la citation ricœurienne de la cafétéria de ladite Cité aurait pu y être placée en exergue: « donner chair au projet de «philosopher en commun» »?

Quant aux « charlatans » évoqués plus haut par l’heureux promu à la manoeuvre, il eût été hasardeux qu’il accompagne sa « leçon retenue » de celle-ci : « Quand il n’est pas au pouvoir, le politique, comme le prédicateur, n’a que la redoutable efficacité de la parole » (Paul Ricœur, Histoire et vérité, « Travail et parole» (1953), Points Essais, 2001, p.261).

D.D


Les opinions du lecteur
  1. Françoise   Sur   7 juillet 2016 à 0 h 32 min

    Ces charlatans peu concernés semble-t-il par le « logon didonai » : le rendre compte et raison, évoqué par Castoriadis dans ce même petit livre!

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