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D’ici danse. N°545

Écrit par sur 5 septembre 2012

D’ici danse. Dimanche subliminal avec Bernard Lubat, piano-voix, prophète-agitateur grave depuis des lustres, batteur de démesure, génial multi-instrumentiste qui nous en a resservi de l’inattendu. De l’inattendu, de l’inattendu, de l’inattendu. Pas une fois sans nous surprendre. Dire que ça dure ainsi depuis toujours, au moins du temps des pharaons jasant en patois gascon. Les réjouissances durent longtemps décidément.

Ça se passe dimanche dernier, aux Rendez-vous de l’Erdre qui se tiennent à Nantes. On y échange des signaux. Près du pont Sully, entre le passage des canots qui claironnent et la grande fête foraine aux fléchettes-ventouses et carabines des stands où l’« On gagne à tous les coups » des bestioles d’enfer. Au milieu de tout ça, la Cie Lubat de Gasconha. Soit un bon vieux Lubat des dessous des fagots et un panier de frais jeunots cueillis dans les branches. Sur cette scène, pile poil à la croisée de tout, pas possible de trouver mieux. L’accord parfait. Pour une musique versant tantôt free jazz tantôt bal musette, qui déboule de l’estrade en rafale jusqu’au bord du canal à bateaux. A la joie des bateliers traînant sur le pont. Des vrais. S’il en existe toujours, pas sûr.

Simple. Lui qui, de nature, échappe à tous les genres et interroge la musique en même temps qu’il l’invente, et continue d’aller « à la rencontre de ce qui m’arrive. » comme il dit, antidote « à toutes les arrières gardes barrières, gardes à vue, gardes chiourmes, garde à vous. » (c’est de lui encore), estime être parmi « tout-monde ». Sachant que pour Lubat, rejoignant Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, « Chacun, chacune, chaque lieu est un monde ». A condition que ce « tout-monde » soit de bonne humeur et qu’il ait goût à la jouissance des mots. Et le langage des urnes. Ah ! oui, ce phénomène viscéralement polémique nous réapprend à rire aussi ensemble.

Près du pont, l’ »artiste vocal » hors catégorie, aux textes cuirassés de citations irrésistibles, de quart à la passerelle, y joue de l’espace, au plus près des entendants. Debout. Ceux à sa gauche comme ceux à sa droite, puis ceux assis au centre, les centristes (ou sangs tristes ou sans tristes) de la travée centrale plate et morne, toutes et toutes chanteront. Mon étonnement vient de la réponse immédiate à cette musicale sollicitation: d’ici, de là, des lèvres claquent des vocalises! L’air te remplit le thorax mais tu ne sais pas chanter? Tant pis flotte et nage. Culs blancs et culs rouges gaiement, pareil. Des mots ou des maux. Pour une grande démo insaisissable. Une transgression des frontières entre démonstration et démocratie. Des deux bords ça reprend les mots à la volée, match égalitaire. Pas l’un contre l’autre, mais l’un dans l’autre. Même jusqu’aux cris les plus insensés, se disent, bouche en cul de poule à se couper le sifflet, les « centristes » assis. Au final: palabre et jeux de mots, samba-musette, blues, funk, et ses classiques sophistiqués Scat Rap Jazz cogne. Alors « tout-monde » chante, « tout-monde » bouge, « tout-monde » s’expanse. Du coup, entendant jaillir comme voix unifiée en multi-sons, le pont d’ici danse. Et propage une extraordinaire énergie. Qui met « tout-monde » de plain-pied dans la poésie. Simple et facile. A qui le tour?

Simple. Comme un ressac. Si Lubat (en gascon, prononcer Loubatt’) reprend même un moment dans ses palabres la fameuse parole du philosophe Gilles Deleuze : « La majorité, c’est personne. La minorité, c’est tout le monde. », eh bien d’un même jet ce qu’écrivait Miguel Benasayag des indiens du Chiapas lui conviendrait comme un gant:  » Aujourd’hui, face aux Indiens du Chiapas, la même question piège revient au fil des interviews ou des débats : « Mettons de côté votre situation propre, que proposez-vous pour l’ensemble du monde ? » La réponse non plus ne change pas : « Nous ne développons rien d’autre que notre singularité, chose qui ne manquera pas, paradoxalement, d’être un message pour l’ensemble du monde. » (tiré de son livre « Résister c’est créer »).

Danse d’ici. Musique et singularité, et autre « message pour l’ensemble du monde », encore. Mais sur autre registre, une autre partition. Voilà, je vous l’annonce. C’est un très grand honneur de pouvoir compter dans l’équipe de Radio Univers en la personne de Romain, notre directeur technique des ondes et du tempo, ingénieur du son et créateur de ce site, le nouveau Champion de Bretagne de musique traditionnelle, catégorie « Duo libre », qui, associé à son compère Émilien Robic, est sorti gagnant, à l’unanimité des membres du jury, du 56ème concours qui s’est tenu dimanche dernier à Gourin. Devenant du coup, le premier pianiste consacré « sonneur » de toute l’histoire de la musique traditionnelle bretonne (et futur Fleuves). Pas banal! ça veut dire le meilleur partage par l’ouïe. Entre des corps qui racontent là les codes du monde. Dans la danse. Qui forme une guirlande serpentine, tantôt lacée, tantôt nouée ou nattée, qui aussi propage une extraordinaire énergie. Par le mouvement des ventres, jambes et thorax, têtes et yeux, oreilles et cheveux, et systèmes nerveux, quand « tout-monde » bouge, « tout-monde » change, « tout-monde » évolue, selon l’articulation qu’en donnent les sonneurs et les danseurs, mêlés.

Pourquoi tout ça?
Bernard Lubat va nous le dire: « …le rythme, c’est le « faire danser », le « se faire danser soi », c’est comme ça [il frappe deux sons : ce n’est pas le même]. La question, c’est de faire danser [il frappe un rythme]. C’est une articulation. Donc la danse, cette histoire d’articulation du son et du geste, de l’un et de l’autre, on ne nous l’a pas dit. On nous apprend la musique d’une autre manière, par les yeux, par la partition. Jusque-là, c’était le modèle unique d’apprentissage. Nous, on essaie de faire ça avec les oreilles. C’est ce qu’a fait le jazz. Avec le jazz, il y a une transmission qui s’est opérée, non pas par les yeux avec la partition, mais avec les oreilles. Ça change tout, ce n’est pas la même perception, la même sensibilité. Et cette histoire de rythme, on ne naît pas avec, on devient rythmicien en pratiquant. Donc la problématique qu’on a aujourd’hui dans la musique, c’est qu’on étudie la musique, on ne la joue jamais. Dans les sociétés archaïques soi-disant inférieures, ils la jouent tout le temps, ils n’ont pas le temps de l’étudier. Le jazz vient de là, on joue d’abord, et on étudie ensuite, quoiqu’on ait beaucoup bu aussi. Mais ça n’empêche pas d’étudier, mais d’étudier ce qu’on a joué, pas ce qu’on ne jouera jamais [réflexions sur l’apprentissage]. »

D.D


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