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Du baron Haussmann à M. Nicolas Sarkozy. N°528

Écrit par sur 3 mai 2012

Il peut arriver que les jeux soient faits. Vu le débat, un rituel « républicain » dit-on. C’est au tour des commentaires des commentateurs attitrés avisés. Et le sondage qui tentera de tuer le candidat de gauche. C’est connu. Soit! On voit des gens changer au dernier moment -au moment, par exemple, d’apposer une signature. Bon, on ne peut prévoir. Mais sa fameuse formule du « casse’toi pov’con! » va se retourner pleine tronche dimanche qui vient. Le changement à la présidence devient une réalité. Du nouveau survient.

Bon, j’ai bien suivi. En aucun moment ils n’ont parlé du droit au logement qui devrait être une cause nationale. Alors j’en parle.

Une ordonnance du 11 octobre 1945 autorise l’Etat, en cas de crise grave du logement à réquisitionner et attribuer d’office les logements vacants et inoccupés ou insuffisamment occupés y compris des résidences secondaires et les locaux professionnels.

A cela s’ajoute le droit au logement proclamé pour la première fois dans un texte législatif en 1989. Enfin, depuis le premier janvier 2008 le droit au logement opposable qui est censer garantir un logement pour tous s’applique.

Pourtant, d’après le rapport 2010 de la fondation Abbé Pierre on comptait 3 318 500 personnes en situation très grave de mal-logement dont 100 000 personnes vivant dans la rue , 100 000 encore dans des cabanes ou en camping à l’année sans abris, 610 000 souffrant de surpeuplement ou vivant dans des situations d’inconfort criant.

A ceux là s’ajoutaient 5 948 000 personnes vivant dans des conditions difficiles ou en situation de grande fragilité pour se loger, notamment pour se maintenir dans un logement décent, difficulté à payer le loyer, personnes vivant en copropriété dégradé, hébergés par de la famille.

C’est donc 9 266 500 personnes qui connaissaient des problèmes de logement soit 15% des 61 millions d’habitant que compte la France.

Des promesses oubliées ? « Rendre possible l’accès à la propriété pour tous », notamment par le développement du crédit hypothécaire. C’était une promesse (en septembre 2006) de Sarkozy. En février dernier la Fondation Abbé Pierre alerte les pouvoirs publics sur le mal-logement. En 2011, 1,3 million de Français ont eu du mal à payer leur loyer et dix millions subissent aujourd’hui la crise du logement. La Fondation Abbé Pierre souligne « l’incapacité croissante de la politique du logement à limiter cette extension et à réduire ces difficultés ».

Le constat est unanime. La crise du logement prend des proportions de plus en plus inquiétante en France. Dix millions de mal-logés, cent mille sans domicile. En France, avoir un toit ne va plus de soi. Le logement est le premier poste de dépense des ménages (25% de leurs revenus, en moyenne).

Le porte-parole du Dal a appelé lundi à « faire barrage dimanche à Nicolas Sarkozy ». Compte tenu des promesses oubliées.

Au-delà même de la nécessité absolue d’avoir un toit pour se loger, que signifie donc cette crise de l’habitat au regard de la notion d’habiter qui est intimement liée à notre condition d’humain ? « Bien des choses » dirait-on. En voici quelques unes dans cette retranscription de l’enregistrement quasi-inaudible de l’intervention de Jean-Paul Dollé tenue le 7 décembre 2010 dans le cadre du colloque « Habitats, hébergement précaire et souffrance psychique » de l’EPOC-Paris 19ème.

« La politique de l’habitat en France est une question récurrente depuis au moins deux siècles. La crise du logement c’est perpétuel. A la fin du XIX et XX ème siècle, les partis ouvriers prenaient la question du logement comme un problème capital. Angoisse perpétuelle pour les ouvriers. La question de la bataille entre proprio et locataire, c’était la question obsédante. Celle d’avoir un logement donc. A savoir la question de l’abri. S’abriter contre les malheurs extérieurs. Contre les agressions extérieures. La question de l’abri est une question telle qu’elle met en jeu la question de la vie. Physiologiquement l’on sait que la résistance du corps humain a ses limites. On sait qu’être à la rue c’est être à la mort.

Directement, par cette simple nécessité, le corps organique humain a besoin d’un abri. La question du logement et de l’habiter renvoie selon Aristote pas seulement à la question du bios (la vie humaine), mais aussi à celle du « bien vivre ». La question de l’habitat et de l’habiter est à la jonction de ces deux questions. C’est-à-dire : la question fondamentale de la survie organique (manger, boire, dormir : s’habiter), c’est survivre pourquoi ? En quoi et avec qui ? C’est là que l’habitat précaire nous renseigne d’un symptôme de la question fondamentale du rapport de soi à son corps et du rapport de soi aux autres.

C’est-à-dire, être soi c’est être par rapport aux autres. Etre soi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Petit homme, immédiatement, il a la sensation qu’il y a un rapport entre son corps et l’espace qu’habite son corps. D’abord son corps c’est un espace. Nous sommes l’espace de notre corps. Quand tout va bien on ne s’en rend pas compte. Quand justement la simple élémentaire appropriation de son corps est un obstacle, là où son corps ne trouve pas sa place, là où l’extension de soi n’a pas sa place, dès au départ ça introduit du mal-être.

C’est-à-dire, s’approprier son corps c’est la condition nécessaire pour accéder à soi. Bien que l’on sache qu’il ne suffit pas d’habiter un lieu à soi pour s’habiter soi. Mais quand on n’a pas ce minimum pour habiter l’espace on ne peut pas s’habiter soi. C’est-à-dire, le simple accès. C’est ça qui fait que la question de l’habitat et la question de l’habiter c’est en fait la question de l’être humain. En tant qu’idée.

Bon, dans le texte d’Heidegger « Bâtir Habiter Penser ». Heidegger montre qu’il y a un rapport d’existence entre habiter et être. Etre humain c’est avoir la capacité d’habiter. Habiter ça ne se limite pas à se loger. Se loger c’est absolument nécessaire, mais habiter c’est avoir partout où on est le sentiment que ce que là où on est, c’est là où on peut habiter. C’est là où c’est habitable.

Encore une fois, la capacité de résistance des êtres humains (l’endurance) – il y a des circonstances où on leur impose d’être à la limite de l’habitable- pose la question de la dignité. Il y a des situations où un certain nombre d’êtres humains sont obligés d’accepter la situation d’habiter l’inhabitable. C’est-à-dire quelque chose qui empêche d’habiter. Ils survivent comme ils peuvent. Dans les conditions dans lesquelles on les oblige de survivre. Survivre dans l’inhabitable, qu’est-ce que ça touche de leur être, de leur humanité ?

Est-ce que la question décisive n’est pas celle-ci : comment définir une situation dans laquelle un grand nombre, une majorité de gens est obligée ( et je ne parle pas des gens sans abri, de ceux qui sont complètement à la rue, les SDF) de vivre dans de l’indigne ? Qu’est-ce que ça veut dire de vivre dans de l’indigne ? Qu’est-ce que ça fait de votre corps ? De votre corps propre. Précisément quand on ne peut pas être un corps propre comment on s’interriorise ?

C’est la condition de l’inhabitable et du mal-être. Quand ne sont pas offertes à tous les conditions minimales de l’habiter, il se trouve une zone d’inhumanité ou de sous-humanité. Dans cette question de l’habitat, de l’habiter et de l’inhabitable surgit la question à l’intérieur même de l’humain, de l’humanité, la question donc du sous-homme, de la sous-humanité.

Bien sûr la question n’est pas nouvelle. Mais d’un certain point de vue, la question est plus voyante justement du fait que, dans une partie du genre humain, il y a eu des régimes politiques qui se sont déclarés être démocratiques, et garants des Droits de l’homme. Ces Droits d’être un homme. Donc la question de l’habiter est branchée directement sur la question d’être un homme et donc de ne pas être relayé dans un statut de sous-homme, de presqu’homme, de sous-humanité. Le corps « homme ».

Alors c’est encore plus voyant dans une société démocratique. Un des premiers théoriciens de la démocratie, particulièrement dans la tradition anglo-saxonne, le grand philosophe Locke disait que précisément il y avait un rapport absolument structurel entre le fait d’être libre et d’être libre de son corps.

C’est le contraire d’être esclave. Pour ne pas être esclave, pour avoir la liberté de son corps, pour avoir la capacité de s’approprier son corps, il fallait avoir précisément un lieu d’extension qui permette de réaliser cette réalité d’être libre. Mais quand on ne l’a pas, eh bien précisément on est serf. C’est-à-dire qu’on est justement interdit de se déplacer et de choisir son lieu. On est interdit de ça. Voyez à quel point dans nos pays démocratiques, il y a des situations de servitude, ce qu’on appelle de relégation dans les banlieues.

Je concluerai sur le fait que la précarité elle signale. Elle montre à quel point le monde est soumis à cette catastrophe. A quel point il est nécessaire de faire en sorte que cette situation doit être stoppée. Mais aussi fondamentalement, cela montre combien la condition humaine est précaire et qu’il faut toujours essayer de la protéger, guidée par la possibilité et la capacité de vivre dignement dans un lieu.

(Question inaudible d’un auditeur dans la salle).

La question de l’avoir à être, « j’ai un corps, je suis un être », est abyssale. Ce que l’on peut demander politiquement, socialement, c’est que les conditions minimum doivent être remplies pour que ce passage rende la vie humaine. Comme le disait Aristote, que cela soit une vie qui vaille coup, une vie qui mérite d’être vécue. Il est tout à fait exemplaire que cette question du passage à la subjectivation, sur le fait d’être, c’est un chemin. C’est pas donné d’avance. Ce qui nous est donné c’est notre corps organique mais pour accéder à notre propre subjectivité c’est un travail, pas seulement un travail, c’est un désir de soi dans une société donnée, dans un lieu donné.

Je pense que c’est ça qui me motive, ce qui m’intéresse dans la situation qui est la nôtre. Les temps sont durs. Depuis, sur la question du droit au logement, ce qui est nouveau et encourageant c’est la mobilisation d’un certain nombre d’habitants qui aspirent au droit à l’égalité. C’est-à-dire à ce droit d’accéder. C’est encourageant. » Fin de l’intervention de J.P Dollé.

Voilà bien là traduite la question de l’habiter sans le moindre doute possible comme une base des droits de l’homme et du citoyen. Quand les conditions de l’habiter ne sont pas là, pas de doute il est difficile de vivre pleinement en être humain. Cela va avec l’histoire, le temps qui l’a forgé, qui lui donne vie, lui donne sens. C’est fait d’un entrelacs complexe, une succession de couche, mélange de causes sociales, politiques, etc…Bref, au final ça en fait des villes.

Pour qu’un lieu soit un habitat, il faut qu’il puisse « être habité ». Habiter c’est le fait de vivre habituellement dans un lieu. En effet, le mot “ habiter ” est apparenté à “ habitude ”. Mais qu’est-ce que l’habitude ? Mot très important. Il vient du latin habitus, qui veut dire aptitude ou disposition naturelle (ou cultivée) à faire quelque chose. Originellement elle est donc aptitude au bien. L’habiter humain a à voir avec la vie humaine, et la façon dont on la vit. Donc au bien vivre.

« Habiter, c’est pouvoir à la fois exister comme corps, trouver son geste, son espace et advenir comme sujet. Être, avec son corps. Je touche, si je suis touché ; je suis au monde, si j’en éprouve sa chair. » écrivait par ailleurs J.P Dollé. Mais il écrivait ceci aussi: « L’absence de lieux pour habiter précède souvent l’absence tout court. Expulser, effacer, détruire : le XXè siècle a tragiquement démontré que cette « logique » pouvait fonctionner. » (Métropolitique)

Oui, on l’a vu, on le voit, cette « logique » peut fonctionner. Pas un hasard si l’on voit cette crise d’absence de lieux durer depuis des lustres. Cette « logique » doit seulement veiller au bon fonctionnement de l’absence. N’est-ce pas ce que nous connaissons sous Sarkozy, ce bon agent national du capitalisme qui exproprie la terre entière des lieux de l’habiter (selon la formule connue qu’on nous vante tant: laisser faire la loi du marché, spéculer, profiter de la demande, donc de la rareté) ?

Gérer l’absence de lieux pour habiter. De quelle manière? « Mais on peut faire le vide sans en arriver aux extrémités génocidaires et ethnocidaires. Telle est la nouvelle forme de « gouvernementalité » ou « gouvernance » biopolitique mise en oeuvre à partir du modèle urbanistique. Il s’agit d’effacer du plan ou de la carte, de recouvrir les traces, pour expulser du temps et de l’histoire, des individus, des groupes, des classes, réduits à l’état de déplacés. » (Le territoire du rien)

Des êtres réduits à l’état de déplacés. Mobiles. Flexibles et adaptables. Sans passé ni mémoire. Dans le flux des hommes et des marchandises. Dépossédés d’eux-mêmes. N’est-ce pas bien à quoi l’on assiste aujourd’hui où la montée de la tentation inégalitaire est réelle, y compris dans les milieux populaires ?

D.D


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