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Erri De Luca, la parole contraire. N°668.

Écrit par sur 28 janvier 2015

delucaMotif, avoir dit, lors d’une interview, « saboter ». Le poète-écrivain Erri De Luca a comparu ce mercredi devant le tribunal de Turin (Italie) pour « incitation au sabotage ».

Autrefois dans nos campagnes quand il était dit « saboter » c’était pour évoquer l’action soit de flanquer des coups de sabots, soit seulement de faire du bruit avec ceux-ci. Accuser quelqu’un d’incitation à une forme de terrorisme pour si peu, on en rirait. Pourtant… son procès vient de s’ouvrir.

Attention ! ce procès est révélateur de ce qui nous pend au nez. Car Erri De Luca est l’un des écrivains italiens les plus lus dans le monde.

Quelle est la raison de son coup de gueule ? De Luca a pris fait et cause contre le percement du tunnel pour le TGV Lyon-Turin qui suscite la colère des milliers d’Italiens, des gens du coin –il en est l’un d’entre eux- comme des écologistes des deux côtés de la frontière. Les habitants du val de Suse, en Italie, sont mobilisés depuis des années contre ces travaux qui impliquent le percement d’un tunnel de 57 km entre Suse, dans le Piémont, et Saint-Jean-de-Maurienne, en Savoie.

Si d’un côté De Luca évoque « Le devoir moral de désobéissance existe » et défend au nom de sa liberté d’expression et du droit de l’utiliser, le verbe « saboter » ; de l’autre côté, Lyon Turin Ferroviaire (LTF), la société franco-italienne en charge de la construction de la ligne, a porté plainte. Pour son avocat «les délits peuvent se commettre tant avec des paroles qu’avec des actes». Du coup, Erri De Luca encourt 5 ans de prison. Et ne fera pas appel de la décision s’il est condamné. Répondant à cela: « Un écrivain incite tout au plus à la lecture et quelque fois aussi à l’écriture ».

Ainsi seul le tribunal serait autorisé à donner un sens à un verbe ! Car s’il y a procès c’est que ce tribunal s’estime d’ores-et-déjà compétent en matière de vocabulaire. Grave ! ça rappelle le délit d’opinion de triste mémoire.

«  M’incriminer pour des mots que j’ai pu dire, c’est le « sabotage » même de mon droit constitutionnel à la liberté de parole », explique t-il dans un entretien accordé à Télérama.

« Je revendique le droit d’utiliser le verbe « saboter » selon le bon vouloir de la langue italienne. Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire. […] J’accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire. » déclare Erri De Luca, dans La parole contraire, 2015 (éd. Gallimard, 2015), son dernier livre tout juste sorti.

Dans ce livre l’écrivain de 64 ans, ancien ouvrier, amoureux de la nature, développe son point de vue sur ce que peut signifier « saboter »: « Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire.
Par exemple : une grève, en particulier de type sauvage, sans préavis, sabote la production d’un établissement ou d’un service.
Un soldat qui exécute mal un ordre le sabote.
Un obstructionnisme parlementaire contre un projet de loi le sabote.
Les négligences, volontaires ou non, sabotent.
L’accusation portée contre moi sabote mon droit constitutionnel de parole contraire.
Le verbe “saboter” a une très large application dans le sens figuré et coïncide avec le sens d’“entraver”.
Les procureurs exigent que le verbe “saboter” ait un seul sens. Au nom de la langue italienne et de la raison, je refuse la limitation de sens. »

« Je suis inculpé pour avoir exprimé la nécessité de saboter une oeuvre stratégique pour l’Etat. Mais c’est une société privée, LTF SAS, qui s’est portée partie civile. N’est-ce pas à l’Etat et son corps d’avocats de le faire ? L’Etat ne se considère-t-il pas offensé par mon insubordination envers une oeuvre aussi déterminante pour les destinées du pays? Il se cache derrière la partie civile d’une banale société ».

En Italie, des groupes s’organisent pour faire des lectures publiques du livre La parole contraire. Et ce soir même, une soirée de soutien à l’écrivain a lieu à Nantes.

Eh bien ! S’il y a condamnation de l’homme de lettres, par précaution je conseillerais fortement au maire de Trans-La-Forêt, commune voisine d’ici, de retirer tout usage de ce verbe dans son Musée du sabot qu’il compte ouvrir d’ici peu, en lieu et place de l’ancien atelier du sabotier du patelin. Plus question d’y « saboter » ! Voire même d’y faire l’éloge du « sabot », car susceptible de troubles. Pensez donc à l’heure du soupçon: le musée étant à vocation touristique (baie du Mont Saint-Michel), tel ou tel touriste italien en visite pourrait être ainsi inciter au « sabotage » !

Il s’avère que je sors, il y a quelques minutes seulement, d’une soirée douce, délicate, attentive, tendre, au cours de laquelle nous avons pu entendre le grand poète Jacques Abeille déclarer que l’argent n’est pas du réel, que la politique n’est pas du réel, mais que l’imaginaire est du réel. Eh bien, voici en l’affaire De Luca un parfait exemple. Tout est donc une bataille de mots. Aux « armes » les poètes !

D.D

Le site de soutien.


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