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Françoise Verchère, lettre ouverte à Madame la Ministre de l’Education Nationale. N°658

Écrit par sur 19 novembre 2014

Je viens de prendre connaissance de la lettre ouverte de Françoise Verchère à Madame la Ministre de l’Education Nationale. Lettre que je m’empresse de diffuser in extenso.

Parce qu’elle dit ce qu’elle a à dire avec des mots justes, et fait en sorte que, par sa publication, cela s’inscrive quelque part dans le logiciel ministériel.

Parce que ce courrier est magnifique. Françoise Verchère est Conseillère générale de Loire-Atlantique. Il m’est resté d’elle en mémoire l’image de cette femme de conviction –qualité devenue rare en politique-, particulièrement proche de ses concitoyens.

Puisqu’au cours de ma vie d’élu local j’ai eu le plaisir de la rencontrer à Combourg, un dimanche après-midi, à l’occasion de la mise en terre d’un arbre – un érable (sagement choisi par Françoise de Lieux-dits, élue elle aussi). Première manifestation du genre en Bretagne pour honorer l’esprit de solidarité des généreux volontaires en officialisant, en mars 97, le jumelage des deux amicales des donneurs de sang bénévoles de Combourg et de Bouguenais, ville de 15 000 habitants située aux abords de Nantes dont elle était maire (elle le fut pendant 14 ans).

Donc voici.

« Lettre ouverte à Madame la Ministre de l’Éducation Nationale, Bouguenais le 9 novembre 2014

Madame la Ministre,

Bien que vous ne connaissiez probablement pas dans le détail les dossiers de Notre Dame des Landes ou du barrage de Sivens, ou d’un autre de ces grands projets contestés, c’est à vous que je souhaite m’adresser aujourd’hui.

Depuis la mort de Rémi Fraisse, ce ne sont que questions et commentaires dans tous les media, manifestations dans les rues de France, émotion et colère. Ce qui s’est passé à Sivens aurait pu arriver à Notre Dame en 2012 lors de la tristement célèbre opération « César », et nous l’avons craint chaque jour de cet automne-là. C’est probablement pour cela que nous avons été très sollicités pour réagir sur le drame de Sivens.

Un journaliste m’a demandé ce que je pouvais dire, en tant qu’opposante au transfert d’aéroport mais aussi en tant qu’ancienne enseignante aux jeunes en colère. Et cette question à laquelle j’ai probablement mal répondu sur le coup m’a donné à réfléchir depuis. Et c’est vous que je vais interroger en retour, Madame la Ministre.

J’ai enseigné les lettres classiques du collège à la classe préparatoire. Ai-je eu tort de faire découvrir à mes élèves la révolte d’Antigone dans Sophocle, Jean Anouilh ou Henri Bauchau , ai-je eu tort de leur expliquer la différence entre la légalité et la légitimité d’un combat ?

Ai-je eu tort de leur faire lire Émile Zola ou Victor Hugo en lutte permanente contre l’injustice et pour la vérité? Ai-je eu tort de montrer aux plus jeunes que le Petit Prince a raison de préférer sa rose aux fausses richesses du businessman et de débattre avec les plus âgés sur « le discours sur la servitude volontaire » d’Étienne de la Boëtie ? Ai-je eu tort de lire avec eux Les racines du ciel dont on a dit qu’il était le premier roman écologique, le premier appel au secours de notre biosphère menacée ? Dont le héros avait trouvé la force de résister à la barbarie des camps grâce aux hannetons et aux éléphants, pour lesquels il se battait désormais.

« L’espèce humaine (est) entrée en conflit avec l’espace, la terre, l’air même qu’il lui faut pour vivre… comment pouvons-nous parler de progrès, alors que nous détruisons encore autour de nous les plus belles et les plus nobles manifestations de la vie ? », écrit Romain Gary. Lorsqu’il a reçu pour ce livre le prix Goncourt en 1956, le ministre de la culture l’a probablement félicité n’est-ce pas …

Dois-je multiplier les exemples ? Faut-il vraiment lire Villon ( un délinquant d’ailleurs…), Rabelais, Montaigne, La Fontaine, Beaumarchais, Montesquieu, Voltaire, Bernanos, Camus, Boris Vian ( un dangereux pacifiste, lui !) Malraux et tant d’autres ? Tous ces auteurs font pourtant partie des programmes, ils sont « consacrés », régulièrement cités et encensés par les grands de ce monde… alors ?

Aurais-je dû plutôt choisir, hors programme, des ouvrages qui apprennent l’appât du gain, l’art du mensonge, le refus du doute, le goût du pouvoir, la supériorité de l’oligarchie sur la démocratie ?

Aurais-je dû leur dire que la justice, la vérité, le respect du vivant étaient des utopies inutiles, des valeurs ringardes et en total décalage avec le monde réel ? Peut être après tout. Le choc serait moins rude et l’école serait enfin en phase avec la société…

C’est pourquoi, Madame la Ministre, je vous engage vivement à revoir les programmes si vous voulez que la jeunesse se taise, qu’elle accepte le monde saccagé que nous allons leur laisser, qu’elle n’ait comme idéal que la reproduction des erreurs de ses aînés, qu’elle ne s’indigne pas comme le lui demandait pourtant il n’y a pas si longtemps Stéphane Hessel, sous les applaudissements de tous. Au moins, les choses seraient claires. Et l’on ne s’étonnerait plus que les socialistes au pouvoir qui avaient pleuré en 1977 la mort de Vital Michalon, tué lui aussi par une grenade offensive au cours d’une manifestation anti-nucléaire, n’aient visiblement aucun remords pour Rémi Fraisse et se dédouanent au contraire de leurs responsabilité en stigmatisant « la violence des manifestants ». Sans doute n’ont-ils plus le temps de lire, sans doute ont-ils oublié leurs lectures et leur jeunesse…

Dans l’espoir d’une réponse qui intéressera sans aucun doute mes collègues enseignants et leur permettra de mieux répondre à la tâche qu’on attend apparemment d’eux aujourd’hui , je vous assure Madame la Ministre de ma tristesse d’enseignante et de toute mon incompréhension,

Françoise Verchère,
Conseillère générale de Loire-Atlantique, ancienne élève de l’École Normale Supérieure. »

D.D


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