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Hommage à notre ami Claude. N°685

Écrit par sur 27 mai 2015

Pointe de GarchineA l’heure où nous pourrions chanter la victoire de ceux que nous avons côtoyés sur la Plaza del Sol dans la foulée de son occupation, il est peu de dire ma joie de re-citer cet extrait de ce qui fut écrit alors en cette chronique « Juste le temps d’un regard«  :

« Deux ans après, même si concrètement l’on a rien vu venir, l’impression visible en flânant dans cette ville c’est le calme malgré la foule, et le fait que les madrilènes discutent beaucoup. Je ne sais s’ils affûtent les armes de la fronde. Mais cette nappe sonore (hauteur de la voix, nasalisation, tempo, enroulement, modulation) suscite un certain niveau de stimulation physique chez le flâneur venant d’ailleurs. Qui ne fait que passer. Qui imagine chemin faisant que ces jeunes madrilènes et des plus âgés, ensemble concoctent ici quelque chose de neuf. Sans qu’on le sache. Pacifiquement. En se parlant beaucoup. Simplement. Sans frime ni arrogance. Avec la parole et l’intensité des rapports sociaux. Et probablement la distanciation par rapport à ce que l’on nomme la crise. Par exemple, en étant assis sur les places. Qui dégage une atmosphère très palpable d’une vibration d’échanges permanents. D’interactions partagées. Bien sûr, tout cela ne relève pas complètement du hasard. Mais d’une disposition héritée en bonne partie. De ce substrat commun d’une infinité d’actes de parole qui préexiste dans les villes du sud. »

Si l’on en a senti la gestation c’est parce que ce thème de la ville est mine de rien continuellement abordé dans ces chroniques. Par exemple, durant les semaines passées par le biais de ce que développe Kristin Ross quand celle-ci frappée « du peu d’attention qu’a reçue la pensée communarde », s’appuie sur l’expérience rayonnante dans le monde de la Commune de Paris à travers l’Imaginaire de celle-ci, et les liens de solidarité qu’il fit naître. Ainsi soutient-elle que « le monde des communards nous est en réalité bien plus proche que le monde de nos parents ».

Mais, comme dirait Spinoza, en voilà assez sur ce sujet. Cette fois. Car je m’adresserai ici à notre ami Claude, dont la disparition m’emplit d’une immense tristesse.

Nous nous étions connus à l’occasion des réunions de rédaction d’un petit journal local d’opinion. Et qui ne manquait pas d’humour. Il était alors traversé par tous les courants d’opinion appelés, dans les années soixante-dix, de contestataires. D’ailleurs, il s’agissait d’y secouer les idées comme les châtaignes.

Un petit journal libre et ouvert qui s’imprégnait de tout ce qui bougeait à cette époque : le naufrage des pétroliers en pointe de Bretagne (le 16 mars 1978, l’Amoco Cadiz contenant 227 000 tonnes de pétrole s’échoue sur les roches de Portsall et provoque une marée noire de plus de 350 km entre Brest et Saint-Brieuc), les luttes sociales à la Timab, un chantier naval de Saint Malo, ou chez Cyclone à Dol, une usine de confection par exemple, le Larzac au temps du slogan « Des moutons pas des canons ! », Flamanville ou Malville, ces centrales nucléaires en construction, puis Plogoff et autres champs de bataille pacifistes et anti-nucléaires. Ou encore les questions de contraception et d’avortement en faveur desquelles s’était engagée Lotta, ta femme. Posture exemplaire, éthique, qui fut aussi la nôtre durant ces années.

Tout était subversif dans ce journal insoumis. Fait par des citoyennes et citoyens lambda, des quidams à l’esprit libre, d’autodidactes ou pas, informés et instruits. Toutes et tous d’une radicalité bouleversante. Imaginez-vous que nous revendiquions des éoliennes, et des capteurs solaires, nous sensibilisions sur l’agriculture bio, nous montions au créneau contre la pollution pétrolière de l’Amoco Cadiz et du Torrey Canyon,…

C’était toi d’ailleurs Claude qui était monté à l’abordage en rédigeant un numéro mémorable constitué de témoignages d’habitants de Porsall que tu connaissais personnellement. Forcément, puisque pendant la guerre, pour fuir les bombardements qui ont rasé en totalité Brest et l’atelier de ton père menuisier, lequel m’as-tu dit, ne s’en était jamais remis, c’est à Porsall donc que vous étiez réfugiés.

Entre 74 et 81, les lieux de réunion de la rédaction tournaient. Nous nous réunissions ainsi souvent à La Mézière chez vous dans votre jolie petite maison complètement isolée en rase campagne entre La Boussac, Trans et Broualan. Introuvable. Qui était pour moi, un lieu d’une grande poésie, de douce poésie. Nous étions chez vous en plein dans l’imaginaire maquisard, un lieu complètement à l’écart, un havre de paix.

Là encore, souvenirs merveilleux de soirées historiques autour de la grande cheminée. Nous y préparions pour le journal des articles virulents, qui étaient tous retournés, discutés, et au fur et à mesure de la critique on commençait à hésiter, on peut pas dire ça, c’est trop fort, c’est risqué, on rature, on corrige, bref c’étaient des moments créatifs formidables. Puis quand le journal sortait de l’imprimerie c’était la fête.

C’était donc un petit journal mais qui nous a construit. Et pour lequel nous avons gardé un attachement impérissable. Une sorte d’université populaire où l’on s’éduquait mutuellement. Est arrivé 81 où finalement tout s’est arrêté. Fin de parcours et dispersion. Voilà cela laisse des traces qui persistent puis s’effacent. Dans la foulée s’est enclenchée l’aventure radiophonique, qui suit son cours. Avec Radio Univers, anciennement Radio Chantepleure dont tu étais Claude l’un des cofondateurs.

Enfin c’était toutes ces grandes soirées au coin du feu. Où nous nous prenions à rêver d’un autre monde à la faveur de quelques verres et de discussions. Dont ce soir inoubliable de novembre 75 où l’on sabla le champagne d’Epernay –ramené dans mon ballot de bidasse – à la fin de la dictature franquiste. Soit voici, après 40 ans de dictature, 40 ans de démocratie post-franquiste jusqu’à ce moment extraordinaire que vivent aujourd’hui les espagnols suite à la percée électorale de dimanche du mouvement de la Puerta del Sol y de los Indignados .

Puis le temps passant, nous parlions beaucoup plus de philosophie. Entre autres, de Spinoza, ce philosophe de la joie, pour lequel tu suivais des cours. Philosophe dont la lucidité sur la condition humaine peut difficilement être remise en question, qui affirmait qu’un « homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort ». En quoi son désir de bien vivre le poussa à mourir puisque Spinoza se suicida après qu’il eut pressenti, à tort ou à raison, qu’il lui était désormais impossible de bien vivre. Voulant disposer de son bien le plus cher : la libre disposition de soi. Et de sa leçon de sagesse : ni rire ni pleurer, comprendre… Mais, comme dirait Spinoza lui-même, CQFD.

Car plutôt que de se perdre en philosophie, qui peut nous aider à vivre, mais ne nous rend pas pour autant invincible, revenons-en à ce spinoziste épicurien que tu étais, qui ne renonçait jamais au plaisir intense de la convivialité quand tu prenais ta guitare, pour entonner les copains d’abord, ou le p’tit cheval de Brassens. Ou encore parmi tant d’autres, de Dylan etc., une jolie fleur de Brassens encore. Ou encore de Trénet, la Mer. Ou la chanson du Forban qui te reliait à Brest, ta ville natale.

Et la mer de la côte sauvage du Finistère que tu aimais tant, ainsi que ta ville de Brest, c’est toi Claude qui nous les a fait connaître. Car chaque année en fin d’été, tu organisais une grosse et belle réunion de famille et d’amis en des points stratégiques de la côte bretonne: Porsall, Lanildut, Plougrescant, et autres.

Mon ami Claude, mon grand-frère, toute l’équipe de la radio te salue une dernière fois en mémoire de ce temps que nous avons partagé, avec cette conviction d’anar, épris de liberté, d’égalité, de beauté, de joies, de rires, de poésie et de musique.

C’est pourquoi j’aimerai t’entendre encore chanter à la guitare -car la musique est ce qui nous met en joie-, voire gueuler à tue-tête, la chanson de Jean-Baptiste Clément, du moins le dernier couplet:

« J’aimerai toujours le temps des cerises
C’est de ce temps-là que je garde au coeur une plaie ouvert.
Et dame fortune en m’étant offerte
Ne pourra jamais fermer ma douleur
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au coeur. »

Car en ta compagnie ce fut le temps des cerises!

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Lotta.


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