En ce moment

Titre

Artiste

 Titre diffusé : 

 Titre diffusé : 

Background

Kristin Ross, « L’imaginaire de la Commune ». N°674

Écrit par sur 11 mars 2015

D’abord il fut question de l’année 1675, immanquable à l’intérieur puisque placardée sur un mur. Le bar est baptisé ainsi 1675 ! Pour une bien bonne raison : l’année rappelle l’histoire du quartier qui fut le coeur de l’insurrection appelée “Révolte du Papier Timbré” ou “Révolte des Bonnets Rouges”. Bon, comme introduction on ne peut pas rêver mieux pour aborder la puissance subversive qu’on peut prêter à une ville. Encore que, l’idée s’arrêta à la mise à sac des bureaux du fisc.

Puis il fut noté parmi l’assistance que dans les manuels scolaires, l’éducation nationale ne s’est jamais beaucoup étendue sur cet événement politique remarquable de la Commune -l’une des grandes dates de l’histoire politique française-, son espace consacré dans ces ouvrages tend d’ailleurs à se réduire comme une peau de chagrin. Alors que ce modèle d’insurrection urbaine inventée de toutes pièces à Paris fut repris dans de nombreux pays.

Mais pour la philosophe américaine Kristin Ross, invitée à Rennes par la librairie Planète IO et Radio Univers à présenter son livre « L’imaginaire de la Commune » (La fabrique Editions) en ce lieu, si l’histoire de la Commune tombe peu à peu dans l’oubli en France, étouffée entre celle de la République et celle du communisme d’Etat, elle est très présente ailleurs, et beaucoup aux Etats-Unis même.

Kristin Ross qui travaille à l’université de New York, fut sensible au mouvement new-yorkais Occupy Wall Street, ainsi qu’à ces grosses occupations qui ont eu lieu sur les places Tahrir, Taksim, Puerta del Sol, Syntagma ou Hongkong. Par son ouvrage qui s’appuie sur « les paroles dites, des attitudes adoptées et des actions physiques réellement accomplies », elle fait venir à la pensée un peuple de communards qui, 144 ans après, lui apparaît « d’une actualité assez vivante ».

Car elle considère que « le monde des communards nous est en réalité bien plus proche que le monde de nos parents ».

sessionSM3Qu’étaient donc ces gens ? La Commune fut une « révolution des cordonniers », dans laquelle les ouvriers et artisans d’art (bronziers, graveurs, dentelliers, ébénistes) y jouèrent un rôle considérable. Mais ils étaient aussi typographes, maçons, journalistes, tanneurs ou teinturiers, charpentiers, mécaniciens, comptables, etc.

Quels rapports ont-ils avec nous ? Une caractéristique mise en lumière par Kristin Ross : tous passaient la majeure partie de leur temps à rechercher du travail. Et non à travailler. Ce qui est le cas aujourd’hui avec ce que l’on appelle le précariat. Autre similitude, cette fois avec les intermittents du spectacle : « dans les années qui précédèrent la Commune, un peu comme aujourd’hui, les artistes craignaient de plus en plus de ne pas pouvoir vivre de leur art. ». S’ajoute à cela qu’à Paris à l’époque, beaucoup de ces ouvriers provenaient d’autres pays, c’était cosmopolite. Voici là bien des ressemblances.

Son livre n’est pas un énième récit de la Commune. Frappée « du peu d’attention qu’a reçue la pensée communarde », elle interroge néanmoins la persistance de celle-ci. Celle de ces anonymes mais aussi de ses figures: le cordonnier Napoléon Gaillard, l’auteur de l’Internationale Eugène Pottier, la jeune féministe Elisabeth Dmitrieff, le géographe écolo Elisée Reclus, le décorateur, poète, architecte William Morris, qui dans l’action se sont fabriqués une pensée. D’ailleurs Kristin Ross part du principe que « ce sont les actions qui produisent des rêves et des idées et non l’inverse ».

Ce qui l’amène à penser que le mot « Commune » dura beaucoup plus longtemps que les 72 jours (officiellement retenus). Puisqu’il survit. Se prolonge. Bref, parler de la Commune à l’incassable grandeur, c’est le bon moment car, considérant la disparition progressive des deux grandes histoires qui l’étouffaient, il s’est libéré un espace favorable à la ré-ouverture du « luxe communal », l’un des slogans les plus en vue à Paris en 1871.

Que veut dire « luxe communal »? « pour la première fois un avant goût du tournant écologique » dit-elle. C’est-à-dire » l’amélioration des espaces publics dans chaque ville et dans chaque village, le droit pour chacun de vivre et de travailler dans un environnement agréable ». Mais aussi l’art public et l’éducation pour tous dans la « République universelle ». Ainsi que l’égalité totale homme-femme, les crèches, l’abolition de l’argent, la propriété collective de la terre, l’autosuffisance régionale.  » L’imagination communarde, rappelle-t-elle, privilégiait l’unité autonome locale « .

D’où sort cette expression ? Elle « vient expressément contrecarrer et défier le misérabilisme abject des représentations de la vie parisienne sous la Commune propagées par les Versaillais. La propagande destinée à la province contre ceux qu’ils appelaient les « partageux » qui s’étaient emparés de Paris devait persuader les paysans des campagnes que la Commune, si elle n’était pas vaincue, saisirait leur terre pour se la partager. Mais elle avait un deuxième objectif, non moins important : il s’agissait de créer la conviction que partager, c’était nécessairement partager la misère. Le « luxe communal » ripostait à l’idée d’un partage de la misère en proposant un type de monde absolument différent : un monde où chacun aurait sa part du meilleur » écrit-elle.

Belle occasion aussi pour remettre les pendules à l’heure quand en haut-lieu l’on nous serine les vertus républicaines. La philosophe rappelle ce que celles-ci doivent à la Commune. Exemple : « pendant le bref temps d’existence de la Commune, l’éducation publique gratuite, obligatoire et laïque fut instituée pour tous les enfants. Pour l’essentiel, c’est cette politique qui sera adoptée dix ans après le massacre des communards et deviendra la base du modèle éducatif de Troisième République. »

Enseveli sous une chape de silence, tiré de là, épousseté, et relu, de ce « laboratoire d’inventions politiques improvisées sur place » – empruntant sa ressource à l’art, et à la poésie son énergie ? -, qui réinventait le quotidien, les Arts, le travail, dont le fondement était l’égalité des capacités et des intelligences, Kristin Ross en éclaire maints aspects dont jusqu’ici nous ignorions pratiquement tout jusqu’à ce qu’elle nous les signale, pour faire de la Commune une idée d’émancipation.

D.D

Enfin, en juxtaposition à cette chronique, cette vidéo.

ruAutour de Kristin Ross, Chroniques n°712, 675, 680.


Les opinions du lecteur
  1. Françoise   Sur   11 mars 2015 à 21 h 36 min

    Il y a un absent me semble-t-il dans cette chronique : c’est Jacques Rancière. Sans ses intuitions, sans la parole de « ses » prolétaires qu’il a sorti de leur nuit, cette restitution de la puissance de la Commune n’aurait peut-être pas la même portée… Certes, Kristin Ross cite Rancière au cours de son ouvrage, mais on le devine dans la formulation même de ses phrases:
    « …les circonstances de la Commune s’avèrent extrêmement productives, en créant des façons de formuler ou de lire ou de participer sur le moment qui modifièrent ensuite le cadre de perception et ouvrirent le champ du possible. »

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.