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Juste le temps d’un regard. N°581

Écrit par sur 29 mai 2013

Le dimanche 12 mai c’était le deuxième anniversaire du grand rassemblement des Indignados. Où a été allumée la mèche d’un mouvement qui a agité le monde politique. Et encouragée une forme de protestation différente de celle pratiquée habituellement. Mais le mouvement du 15 mai (le 15-M), avec son action très décentralisée et son effort de lutte concrète pour le logement et la défense des services publics, ne m’est pas apparu vraiment visible la semaine dernière.

Rappel: les Indignés ce ne sont pas des politiciens, ni des économistes, ni des spécialistes de la crise, ils sont là pour se lever, pour dire non par milliers.

Bon, évidemment j’y suis resté trop peu pour se faire une idée. Trois jours (du 20 au 23). Soit quelques instants. Juste le temps d’un regard. Léger et facile. Indépendant de toute rencontre qui aurait pu en dire plus. Très peu pour comprendre donc. Ville aperçue seulement. Cependant, sur la place madrilène de la Puerta del Sol, je m’attendais à y voir quelques traces de mobilisation. Quelques bouts d’affiche, de slogans inscrits sur les murs comme « Non, non, ils ne nous représentent pas ! », exprimés à l’adresse d’un système qui ne les représente pas. Des restes de démocratie directe comme l’appel à débattre pour poursuivre. Rien vu de tel. Parfois de petites pancartes accrochées à un balcon avec un seul mot, «Non», et une paire de ciseaux dessinée, figurant les coupes budgétaires sévères qui frappent la santé et l’éducation. D’où cette question: mais que sont-ils devenus ?

Paraît que même s’il a moins attiré les foules le 12 mai, le mouvement du 15 mai dernier a montré qu’il restait l’expression pacifique d’un malaise que la politique d’austérité a installé dans la société. Ainsi ont marché ensemble des salariés du secteur public, touchés par les crédits immobiliers impossibles à rembourser ou par les produits financiers pourris vendus par leur banque, de jeunes précaires, des chômeurs, des retraités, des familles. À Madrid, la technique de remplissage de la Puerta del Sol consiste à former des colonnes de manifestants marchant des quartiers jusqu’au centre. Sur place, on comprend mieux. Un lieu propice aux rassemblements effectifs.

Deux ans après, même si concrètement l’on a rien vu venir, l’impression visible en flânant dans cette ville c’est le calme malgré la foule, et le fait que les madrilènes discutent beaucoup. Je ne sais s’ils affûtent les armes de la fronde. Mais cette nappe sonore (hauteur de la voix, nasalisation, tempo, enroulement, modulation) suscite un certain niveau de stimulation physique chez le flâneur venant d’ailleurs. Qui ne fait que passer. Qui imagine chemin faisant que ces jeunes madrilènes et des plus âgés, ensemble concoctent ici quelque chose de neuf. Sans qu’on le sache. Pacifiquement. En se parlant beaucoup. Simplement. Sans frime ni arrogance. Avec la parole et l’intensité des rapports sociaux. Et probablement la distanciation par rapport à ce que l’on nomme la crise. Par exemple, en étant assis sur les places. Qui dégage une atmosphère très palpable d’une vibration d’échanges permanents. D’interactions partagées. Bien sûr, tout cela ne relève pas complètement du hasard. Mais d’une disposition héritée en bonne partie. De ce substrat commun d’une infinité d’actes de parole qui préexiste dans les villes du sud.

Et puis comme le notait Jean-Paul Dollé (Métropolitique): « C’est cela le plaisir de la ville, cet immense bavardage, cette conversation avec le premier venu, pourvu qu’il ait un aspect avenant, l’esprit bien tourné, et qu’il soit drôle. » Rien à voir donc avec ces villes neuves entièrement abandonnées qui ont fait basculer l’Espagne dans la crise, avec leurs milliers de maisons clonées. Où tout le monde est parti de ces cités fantomatiques, constructeurs, entrepreneurs, banques, habitants.

Du coup, à première vue, dans Madrid j’ai eu l’impression un peu caricaturale de respirer un air d’hédonisme assez libertaire, à tenir chacun comme valant n’importe qui. Une forme épicurienne d’apprécier l’instant partagé, le plaisir de l’existence : l’amitié, la tendresse, la sexualité, les plaisirs de la table, la conversation… Le tout mêlé à la fierté de ne pas montrer les difficultés.

Alors existe-t-il chez eux une forme d’inconscience ? Car qui dit « crise » ne dit pas forcément conscience en acte de la crise, à plus forte raison des conséquences. Possible pour beaucoup. Ou une forme de résignation chez les Indignados ? Non, pas chez eux ! Lire ici ce texte sur les e-indignados. Même si l’on peut aussi se les imaginer aujourd’hui sans illusions, pleins de larmes. Ayant perdu la foi, ayant perdu la force de prendre une arme d’autonomie politique. Comme revenus de toutes ces vaines paroles des discoureurs de la ville. Quand l’espoir de peser sur le cours des choses se casse. S’est fait la malle. Qu’est-ce qui a bien pu se passer depuis deux ans? Le chômage des jeunes dépasse 50% en Espagne (comme en Grèce, 30% en Italie, 20% en France, soit 6 millions de jeunes en Europe). La crise ne cesse de s’étendre. Et rien ne sert de compter sur qui que ce soit d’extérieur.

Ou existe-t-il chez eux une forme de pessimisme après avoir donné l’impression que le campement de la Puerta del Sol était le moteur de l’histoire? Peu importe. Juste le temps d’un regard, il m’apparaît même plutôt le contraire. Puisqu’il me vient à l’esprit après ce bref passage en flânant dans la ville, c’est le sentiment qu’il s’y passe, c’est sûr, quelque chose. D’inédit. Une rupture philosophiquement politique avec un ancien monde ? Quelque chose d’énigmatique vu d’ici. De là-bas peut être aussi. Pour le moment.

Ce qui veut dire: une sorte de reprise collective de contacts. Tout se passe comme si les impératifs d’un nouveau cycle s’étaient inscrits dans la ville citoyenne. Rien de moins que le désir de vivre. D’y vivre. Loin de l' »ère du vide » promue horizon indépassable de l’individualisme libéral déterritorialisé. Cette ville est un texte à déchiffrer. Car il lui reste l’idée du centre: la Puerta del Sol ! Qui redonne envie de parler. Le mot convient bien à la chose.

D.D


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