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« Le ciel est traversé par de nuages sombres ». N°1014

Écrit par sur 13 octobre 2021

Italie…

 

« Il s’appelle Mimmo, mais c’est un diminutif. Rien de cet homme ne doit être diminué, au contraire, il doit être magnifié pour résister à l’énormité de la sentence qui pèse sur lui : DOMENICO LUCANO.

Aucun maire en Italie n’a été atteint, même de loin, par une peine similaire pour des actes administratifs. La décision indigne déclare la volonté de persécuter ceux qui ont montré que la gestion fraternelle des flux migratoires de passage est possible à une simple échelle locale. » écrit l’écrivain Erri de Luca suite au jugement.

Depuis vingt ans, le village du Mezzogiorno italien, Riace, est célèbre pour être le « village des migrants ». Et son ancien maire, d’un petit village calabrais de 1800 âmes, est reconnu lui pour son modèle élaboré d’intégration sociale et économique. Son objectif était d’enrayer l’exode rural en accueillant des migrants refoulés du reste de l’Europe. Pour la mise en place de ce modèle original d’accueil, il avait acquis une notoriété mondiale durant les années 2010. Ayant redonné vie à un lieu en voie de désertification, comme le sont les villages de Calabre, en les logeant dans des maisons abandonnées par leurs propriétaires. Et en ouvrant de nouveaux magasins avec des objets d’artisanat d’art traditionnels, des chambres d’hôtes, des ateliers et en présentant des expositions d’art.

Mais devenu figure emblématique de l’accueil et de l’intégration des migrants en Italie grâce à sa gestion humaine de l’accueil des réfugiés, ce maire, Domenico « Mimmo » Lucano, vient d’être condamné à 13 ans et deux mois de prison. Dont le crime est d’avoir hébergé et intégré des migrants. Cette peine est similaire à celle d’un chef maffieux calabrais jugé peu avant lui !

L’accusation avait demandé que « Mimmo » Lucano soit condamné à 7 ans et 11 mois et la sentence a surpris tout le monde : 13 ans et deux mois, soit presque le double de ce qui avait été demandé par l’accusation. Ses avocats ont annoncé qu’ils feront appel après avoir dénoncé « une sentence extravagante et exorbitante ».

 

Ci-dessous, lue au peuple sur la Place de Riace, la lettre de prison de Domenico « Mimmo » Lucano.
Il est inutile de vous dire que j’aurais voulu être présent avec vous non seulement pour les salutations formelles mais pour quelque chose en plus, pour parler sans nécessité et l’obligation d’écrire, pour profiter de cette sensation de spontanéité, pour sentir l’émotion que les paroles créent dans l’âme, enfin pour vous remercier un par un, tous, pour une accolade collective forte, avec toute l’affection dont les êtres humains sont capables.
A vous qui êtes un peuple en route vers un rêve d’humanité, vers un lieu imaginaire de justice, à vous qui mettez votre engagement quotidien pour défier même l’inclémence du temps. Je vous dis merci.
Le ciel est traversé par de nuages sombres, les mêmes couleurs, la même vague noir qui traverse les cieux d’Europe, qui bouchent la vue des horizons indescriptibles de cimes, abysses, terres, douleurs et croix, cruauté de nouvelles barbaries fascistes.
Ici, dans cet horizon, il y a les peuples. Et avec eux les souffrances, les luttes et les conquêtes, les faits se croisent avec les événements politiques, les problèmes cruciaux de toujours aux menaces d’expulsions renouvelées, aux attentats, à la mort et à la répression.
Aujourd’hui, dans ce lieu de frontière, dans ce petit pays du sud de l’Italie, terre de souffrance, d’espoir et de résistance, on vit un jour historique.
L’histoire, c’est nous. Avec nos choix, nos convictions, nos erreurs, nos idéaux, nos espoirs de justice que personne ne pourra jamais effacer.
Un jour viendra où les droits humains seront plus respectés, il y aura plus de paix que de guerre, plus d’égalité, plus de liberté que de barbarie. Il n’y aura plus de gens qui voyagent en business class et d’autres entassés comme de la marchandise humaine qui arrive des ports coloniaux avec les mains agrippées aux vagues de la mer de la haine.
Sur ma situation personnelle et sur mes aventures judiciaires je n’ai pas grand-chose à rajouter par rapport à ce qui a déjà été largement raconté.
Je n’ai pas de rancœur ni de revendications envers personne.
En revanche je voudrais dire à tout le monde, que je n’ai aucune honte, rien à cacher.
Je referais les mêmes choses, qui ont donné un sens à ma vie. Je n’oublierai jamais ce merveilleux fleuve de solidarité.
Je vous garderai longtemps dans mon cœur.
Il ne faut pas renoncer, si on reste unis et humains, on pourra caresser le rêve de l’utopie sociale.
Je vous souhaite d’avoir le courage de rester seuls et l’ardeur de rester ensemble sous les mêmes idéaux.
D’être désobéissants à chaque fois qu’on reçoit des ordres qui humilient notre conscience.
De mériter qu’on nous appelle « rebelles », comme ceux qui refusent d’oublier face à ce temps d’amnésies obligatoires.
D’être si obstiné que l’on continue à croire, contre toute évidence, que cela vaut la peine d’être hommes et femmes.
De continuer à marcher malgré les chutes, les trahisons et les défaites, parce que l’histoire continue, même après nous, et quand elle dit « adieu », en réalité c’est un « au revoir ».
Il nous faut nous souhaiter de maintenir vivante la certitude qu’il est possible d’être contemporain de tous ceux qui vivent animés par la volonté de justice et de beauté, partout, parce que les cartes de l’âme et du temps n’ont pas de frontières. »
Mimmo Lucano, ancien maire de Riace, suspendu en 2018.

Grèce…

Notre amie F. vient de m’adresser ceci : « ‘jour ! tu vois, quand je vois ce mur érigé par la Grèce pour enfermer les migrants, je me demande dans quel désespoir serait Cornélius Castoriadis… Je me demande s’il a même imaginé que ça pouvait arriver là… »

« L’Europe occidentale contemporaine, comme tout l’Occident, est caractérisée par l’évanescence du conflit politique et social, la décomposition de la société politique morcelée entre lobbies et dominée par les partis bureaucratisés, la propagation de l’irresponsabilité, la destruction accélérée de la nature, des villes et de l’ethos humain, le conformisme généralisé, la disparition de l’imagination et de la créativité culturelle et politique, le règne dans tous les domaines des modes éphémères, des fast-foods intellectuels et du n’importe quoi universel. Derrière la façade d’institutions «démocratiques» et qui ne le sont que de nom, les sociétés européennes sont des sociétés d’oligarchie libérale où les couches dominantes s’avèrent de plus en plus incapables de gérer leur propre système dans leur intérêt bien compris. » écrivait Cornélius Castoriadis (1922-1997), philosophe, économiste et psychanalyste français d’origine grecque, enraciné dans l’expérience de la guerre et de l’exil – Quelle démocratie ? tome 2. p470.

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Cornélius Castoriadis. Ainsi qu’autour des migrants et d’ Erri de Luca.

 

A lire aussi des extraits tirés de textes de Castoriadis, sur la page Lieux-dits de Françoise, ici.


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