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L’Herbe Rouge en deuil. N°1012

Écrit par sur 29 septembre 2021

« La librairie est fermée pour décès « . Cette formule lapidaire est affichée depuis quelques jours sur la porte d’entrée de la Librairie L’Herbe Rouge de Dol-de-Bretagne. Philippe, notre copain libraire, n’est plus.

L’Herbe Rouge était tenue par Philippe. Qui était un homme d’une grande gentillesse, d’une grande douceur, d’une égale humeur et d’un humour sans faille ni méchanceté. Ses choix de libraire étaient très divers, mais on retiendra de lui son côté libertaire, tendrement libertaire. Ces Chroniques d’ici-même lui doivent beaucoup, non pas parce qu’il nous recommandait tel ou tel ouvrage nouvellement sorti, non, il ne nous en parlait pas, jamais. C’était au client de chercher, de trouver ce qui allait lui convenir le mieux, un peu comme trouver chaussure à son pied.

L’Herbe Rouge au si joli nom, était un lieu accueillant, où l’on aimait bien aller. C’était une très petite boutique avec des livres entassés partout. Par manque de place, c’est pourquoi la plus grande attention était constamment requise. D’apparence en bazar sauf que lui savait trouver pile-poil dans quelle pile le bouquin recherché s’était niché. Bien sûr, comme client il fallait aimer fouiner, c’était aussi ça ce qui rendait l’endroit bien sympathique.

L’Herbe Rouge offrait l’avantage d’une mise en relation géographique de bouquins qui n’avaient rien à voir ensemble. Hors de tout design commercial, une aberration donc pour tout tenancier de la mise en rang, en case, en ordre, au pas qui président d’ordinaire au rangement habituel d’un commerce de détail. Tous ces recueils de lignes imprimées qui s’empilaient les unes sur les autres, étaient donc en résonance dans ce petit lieu.

L’Herbe Rouge suscitait l’étonnement de tout visiteur habitué aux étiquetages des sélections, classifications, et autres empaquetages. Oui, il y avait de l’imprévisible dans cet apparent entassement c’est dans celui-ci que, parmi bien d’autres, j’ai mis la main sur Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture de l’anthropologue écossais Tim Ingold, jusqu’alors inconnu, dans lequel cette figure majeure de l’anthropologie mondiale demande à apprendre à voir ce qui se passe autour de nous de sorte à pouvoir, en retour, lui répondre. Mais cet entassement, parfois comme monticules de pierres lisses formant tumulus qui finissaient par se former, puis qui s’écoulaient naturellement comme du sable dans un sablier, c’était ça son originalité et stimulante richesse. Publications toutes neuves, comme plus anciennes aux pages feuilletées puis reposées, se côtoyaient, s’interconnectaient selon l’attention portée par le client qui fait encore attention à ce qui l’entoure. Si bien que pareil agencement parfois brinquebalant rendaient possibles les croisements d’intérêt. Hors des manipulations algorithmiques, pour une extraction minière entre suggestions et connexions.

L’Herbe Rouge, cet antre unique, universel car grouillant d’ouvrages qui balayaient un large éventail de thèmes. Du sol au plafond, avec cheminement hasardeux pour visiteur pressé, mais parfait pour le client qui prenait le temps de fouiner sans qu’on le guide. Sans qu’un pseudo-professionnel du commerce littéraire le conseille pompeusement et le prenne par la main. Philippe, lui, renseignait si besoin. Avec toujours l’attention joyeuse.

L’Herbe Rouge, au-delà de son apparence méli-mélo propice à la confusion de lecture, en réalité ses quelques mètres carrés de parquet étaient organisés en coins. Chaque chose avait sa place, et chaque pile de bouquins avait sa cohérence. A sa manière de faire, son exigence et sa simplicité, la confusion des genres n’était que relative.

L’Herbe Rouge, en ce petit rien du tout de plancher, nous emmenait en balade avec du papier. Dans cette tension entre être ouverte à toutes les éventualités de la connaissance, des rêves et des espoirs, et le frein des contraintes physiques.

L’Herbe Rouge, un pan d’histoire locale à décoloniser les esprits vraiment, ceci sous le signe du roman éponyme de Boris Vian. Qui raconte l’histoire d’un inventeur et sa machine à remonter les souvenirs. Bizarre ! Hum… Coïncidences énigmatiques avec ce que fut l’histoire de Philippe et sa petite librairie.

L’Herbe Rouge était un point de repère pour les habitués. Un entre-temps de lecteur, un maquis littéraire radical, un point de résistance à tenir face aux vicissitudes économiques. Philippe l’a tenu 35 ans. Nous l’en remercions. Mais avec sa disparition sans faire de bruit, à sa manière d’être discret comme il l’était dans la vie, eh bien je regrette de ne pas lui avoir dit de son vivant qu’il était quelqu’un de grand en importance. Précieuse fut sa librairie où les phrases comme la parole circulaient à voix basse. L’esprit du lieu, la large diversité proposée et l’endroit de relations nous manqueront durement. Que cela soit dit et su.

Philippe restera dans nos pensées comme l’un de nos compagnons de route. Merci à toi !

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour du métier de libraire.


Les opinions du lecteur
  1. FRANÇOISE   Sur   29 septembre 2021 à 20 h 39 min

    Et en voyant ces piles de livres en équilibre, amassés là depuis des années, je me disais, qu’obligatoirement, un processus de fossilisation ou de minéralisation était à l’œuvre dans cette petite librairie: de certains livres mous il ne resterait peut-être un jour que la coquille ou, au contraire, sous l’effet de la pression exercée et du silence, d’autres cristalliseraient et deviendraient rubis ou améthyste…Et puis, lui, LE libraire dont je ne connaissais pas même le prénom, savait extraire du filon et en toute modestie , l’ouvrage enfoui, rare et convoité…

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