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« Faire entendre sa voix ». N°624

Écrit par sur 26 mars 2014

Vote ou abstention, j’avais eu comme impression que ce sur quoi dimanche j’avais à prendre position portait sur la vie municipale. Complète erreur !

Quelque chose m’aurait donc échappé pour ne pas voir qu’en fait selon les « commentateurs avisés », il s’agissait d’un référendum pour ou contre Hollande. Qui ne portait pas son nom.

Ma bévue serait telle à ce point qu’il serait temps pour moi de reconsidérer le sens que l’on donne à tel ou tel événement démocratique. Selon ainsi la totalité des médias, et des grands médias bien disposés à l’esprit revanchard, ces Municipales 2014 n’étaient qu’un scrutin national.

Bon, soyons sérieux, tout cela ressemble à de la falsification, à du détournement de sens. Grave. C’est à deux doigts délirant.

Loin des urnes, près du coeur. Tentons d’amener un peu d’air vivifiant dans ces municipales lourdes comme des semelles de plomb. Ici, pas de commentaires à chaud des responsables politiques, donc, pas de «petites phrases», pas de duplex dans 150 villes pour ne rien dire, pas de comptabilité truquée des chiffres.

Parlons de la polis –pas confondre avec la police. La polis qui aurait dû être le thème du moment.

« C’est-à-dire le temps de la polis, celui de l’espace artificiel –mais indissociablement lié à notre nature d’êtres doués de langage- où les individus se reconnaissent les uns les autres, transforment la réalité et se voient à leur tour transformés par elle. La cité interpelle ses habitants, les humanise et, en même temps, demeure humaine parce qu’elle dépend d’eux. Recourons (…) au subtil et bel exposé de Zambrano (Maria) : « Individu et cité, et plus tard individu et société, se conditionnent mutuellement : la cité est déjà là quand l’individu apparaît, et pourtant il doit constamment la construire. Mais à la différence de celui qui rend un culte aux dieux, il sait qu’il est en train de la construire, il sent qu’elle est sienne parce qu’elle l’est d’une manière particulière. Et il se sent vivre en elle qui, sans relâche, en appelle à sa conscience, à sa pensée : il doit assumer sa condition d’homme pour être à sa hauteur. C’est une entité qui exige de lui qu’il soit un homme : il ne doit pas seulement lui rendre des honneurs, la vénérer ou lui offrir des sacrifices, mais également être le plus possible fidèle à lui-même. La Polis aurait pu dire à son citoyen : « De ta qualité d’homme dépend mon existence ». « Pour elle, il faut qu’il soit un homme parmi les hommes, parce qu’être homme, c’est précisément savoir qu’on ne peut l’être seul : un être doté d’un esprit, autrement dit un être communicatif (il n’y a pas d’esprit incommunicable). » (Fernando Savater –Dictionnaire philosophique personnel.)

Le temps politique est donc bien à cette échelle-là. Et ne peut se réduire à cette poignée de secondes tous les cinq ans seul devant l’urne -qui peut rappeler l’urne mortuaire si rien ne résiste au comportement de ceux qui, au mépris de tout sentiment de solidarité, agissent en prédateurs et transforment le bien commun en leur terrain de chasse.

Loin des urnes, près du coeur. La belle cité est ainsi celle où la parole va et vient, dans les rues, les places, les arrêts de bus, les cages d’ascenseur, etc, de l’un à l’autre en toute égalité…communicative.

« Faire entendre sa voix ». En faveur de la démocratie. A l’exemple, toute proportion gardée, de Madrid : « Je ne sais s’ils affûtent les armes de la fronde. Mais cette nappe sonore (hauteur de la voix, nasalisation, tempo, enroulement, modulation) suscite un certain niveau de stimulation physique chez le flâneur venant d’ailleurs. Qui ne fait que passer. Qui imagine chemin faisant que ces jeunes madrilènes et des plus âgés, ensemble concoctent ici quelque chose de neuf. Sans qu’on le sache. Pacifiquement. En se parlant beaucoup. Simplement. Sans frime ni arrogance. Avec la parole et l’intensité des rapports sociaux. Et probablement la distanciation par rapport à ce que l’on nomme la crise. Par exemple, en étant assis sur les places. Qui dégage une atmosphère très palpable d’une vibration d’échanges permanents. D’interactions partagées. Bien sûr, tout cela ne relève pas complètement du hasard. Mais d’une disposition héritée en bonne partie. De ce substrat commun d’une infinité d’actes de parole qui préexiste dans les villes du sud.

Et puis comme le notait Jean-Paul Dollé (Métropolitique): « C’est cela le plaisir de la ville, cet immense bavardage, cette conversation avec le premier venu, pourvu qu’il ait un aspect avenant, l’esprit bien tourné, et qu’il soit drôle. » (Chronique n°581)

« Faire entendre sa voix » comme lors de cette « marche de la dignité » de ce samedi 22 mars dernier, à Madrid. Que notre lepénisme médiatique a parfaitement ignoré.

« Faire entendre sa voix ». Bien sûr est-ce un capital culturel dont on a tout à perdre dans l’assujetissement toujours plus prononcé que nous infligent les détenteurs du capital économique. Aux valeurs culturelles radicalement prédatrices et destructrices. Perte de causeries. Déficit social. Manque de temps. Mise en concurrence des uns aux autres. Plongeant chacun dans l’indifférence. Qui mène à désespérer.

Pourtant la vie est là, qui bouge, qui murmure, qui tisse ses mille et un réseaux. Qui tiennent tous de l’irrévocablement social.

« La plupart des actions humaines sont des actions de communication, y compris la pensée elle-même, débitrice désormais nécessaire du langage, qui est toujours une communication intériorisée. Etant donné que nous vivons en parlant avec autrui ou avec nous-mêmes dans une langue que nous n’avons pas inventée, mais qui nous a été transmise, les choses les plus intimes de notre subjectivité sont irrévocablement sociales. Et en effet la réalité du monde objectivée de façon compréhensive répond également à des règles de communication ; c’est une chose à propos de laquelle Jürgen Habermas a longuement insisté : « L’objectivité du monde que nous supposons lorsque nous parlons ou agissons est si fermement liée à l’intersubjectivité au moyen de laquelle nous nous entendons les uns les autres sur le « mobilier » du monde, qu’il nous est impossible de contourner ce lien, ou de le rompre à partir de l’horizon qui s’ouvre à nous par le langage et constitue notre monde vécu intersubjectivement partagé ». Le langage est l’échelle de Jacob le long de laquelle nous grimpons, mais aussi l’ange indispensable avec lequel nous devons combattre barreau après barreau… ». (Fernando Savater -Choisir, la liberté)

« Faire entendre sa voix », comme le dit le linguiste, fait « partie de notre histoire naturelle au même titre que boire, manger, marcher, sourire ». Et c’est plus encore…

Puisque c’est simple comme un Bonjour !

Page en lien avec les trois précédentes (1,2&3).

D.D


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