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Durant le cortège de nuit éclairé aux lampions. N°1083

Écrit par sur 8 février 2023

Le Président a dit « j’aime la valeur travail. » Mais quand on aime le travail, il faut montrer des preuves de reconnaissance à l’endroit des travailleurs »

Dominique Meda, sociologue.

A cet instant du temps social, cette Chronique du jour prend soin de la manif du 7 février avec ses 900 manifestants à l’endroit où l’on était à la précédente – à lire ici. Et, à juste titre, des discussions durant le cortège de nuit éclairé aux lampions.

Voici donc ma dernière en date au coude-à-coude avec des marcheurs proches de la cinquantaine. De quoi parle-t-on pendant ces cortèges ? De pénibilité au travail et du manque de considération. Ce sont des gens qui n’avaient jamais manifesté jusqu’alors, et qui ne se voient pas tenir physiquement comme psychiquement dans les conditions qui sont les leurs au travail. Alors, de ce projet d’allongement, qu’en pensent-ils ? Ils le ressentent impitoyablement prédateur, une vraie provocation.

Et me citent les propos, par exemple, de Gabriel Attal, modèle de jeune carriériste hors-sol, d’une obscénité affichée quant à son déni de l’usure physique des travailleurs sur les chantiers, aux risques psychosociaux en entreprise ou à la sédentarité au travail : un risque émergeant. Et soulignent l’arrogance de tant de petits marquis semblables à leur prince qui glosent sur ladite « valeur travail », alors même que ce mot « valeurs » appartient au vocabulaire économique. La langue des maîtres avec ses maints tours et détours en dérobade, y compris face à la très grande évasion fiscale – en France c’est 100 milliards : trois fois le budget des minima sociaux par ex … Comme nous en informe l’ancien magistrat Renaud van Ruymbeke dans « Offshore: Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux ».

Parmi ces manifestants filant d’un même pas, l’une d’entre eux est une infirmière de 48 ans qui exerce en maison de retraite. Elle me parle de ses difficultés physiques à manipuler les patients, si bien que compte tenu des sous-effectifs criants elle ne se voit pas continuer ainsi, et me cite des faits infiniment poignants. Soumise en plus à une trop grande pression mentale, cette maladie du temps, elle songe à partir. Son mari quant à lui me décrit le sort de ses parents, ouvriers toute leur vie en boulangerie, qui en sont sortis perclus l’un et l’autre de problèmes physiques, et qui à leur grand désespoir ayant débutés très jeunes dans le métier, n’ont pas pu profiter de leur retraite. Voilà ce dont on cause pendant ces marches.

Dans sa chronique publiée le 28 janvier 2023 dans Le Monde, la sociologue Dominique Méda, professeure de sociologie, directrice de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales (Université Paris Dauphine-PSL), écrit ceci:

« La puissance des réactions suscitées par la réforme des retraites ne s’explique pas seulement par la brutalité des mesures annoncées. Cette séquence jette soudainement une lumière crue sur une situation restée jusqu’alors relativement taboue : l’ampleur de la crise du travail en France. En effet, alors que de nombreux responsables politiques appellent à vénérer la « valeur travail », les Français sont à la peine. Le travail est devenu pour un grand nombre d’entre eux insupportable et même, au sens propre du terme, insoutenable.

Cette situation est pourtant depuis longtemps bien documentée, à la fois par les remarquables séries des enquêtes « Conditions de travail » menées en France par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, et, en Europe, par Eurofound, ainsi que par les travaux des chercheurs en sciences humaines et sociales. S’y intéresser de près aurait sans doute permis au gouvernement de comprendre qu’allonger le temps passé au travail avant d’améliorer les conditions d’exercice du travail ne pouvait être vécu que comme une véritable provocation.

Selon la vague 2016 de l’enquête sur les conditions de travail exploitée par l’économiste Thomas Coutrot, le travail contribue au bien-être psychologique pour un tiers des personnes interrogées, mais au mal-être pour plus de la moitié d’entre elles. Quant à la toute dernière vague de l’enquête d’Eurofound, passée en 2021 auprès de plus de 70 000 Européens de 36 pays, elle révèle d’autant plus la situation très préoccupante des conditions de travail en France qu’elle s’appuie sur des comparaisons européennes – celles-là même que les gouvernements aiment en général convoquer pour justifier une réduction des droits ou des protections existants.

Violence et discriminations. Selon cette enquête, les problèmes de santé touchent une proportion importante de la main-d’œuvre européenne. Des douleurs aux membres supérieurs sont ainsi signalées par 57 % des travailleurs, suivies de maux de dos (54 %), de maux de tête (51 %) et d’anxiété (30 %). L’épuisement physique est signalé par 23 % des personnes interrogées, les maladies chroniques par 20 % et l’épuisement physique et émotionnel combiné par 13 %. Près d’un quart des travailleurs en Europe sont exposés au risque de dépression.

Mais la France occupe dans ce paysage une position particulière : elle apparaît très mal placée et même en queue de peloton dans de nombreuses catégories, notamment les contraintes dans le travail. Pour plus de 43 % des Français, leur emploi implique de déplacer des charges lourdes (contre moins de 30 % aux Pays-Bas et 35 % en Europe). Pour plus de 57 % il implique des positions douloureuses ou fatigantes, contre 43 % en Allemagne et 50 % en Europe. Ces résultats récurrents rendent d’autant plus incompréhensible la décision prise par le gouvernement d’Emmanuel Macron en 2017 de supprimer quatre des dix critères de pénibilité – dont le port de charges lourdes et les postures pénibles – au motif que le seuil d’exposition serait inquantifiable. »

Lire aussi ça.

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour des retraites.


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