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L’art est public. N°684

Écrit par sur 20 mai 2015

OLYMPUS DIGITAL CAMERALors de la présentation de L’Imaginaire de la Commune, Kristin Ross nous rappelait la destruction de la colonne Vendôme « au plus fort de la Commune et les affects que cette action a suscité -joie des communards et panique des élites. » Rappelons que la colonne en question était érigée à la gloire de Napoléon et de ses « conquêtes impérialistes ». Voilà donc un symbole de l’imaginaire national.

C’est pourquoi le 12 avril 1871, les communards votèrent sa destruction. Au motif qu’elle était considérée comme l’odieux symbole impérial et guerrier. Le peintre Gustave Courbet, engagé auprès des communards, avait été l’un des premiers à demander son déboulonnement. En ces termes: « Attendu que la colonne Vendôme est un monument dénué de toute valeur artistique, tendant à perpétuer par son expression les idées de guerre et de conquête qui étaient dans la dynastie impériale, mais que réprouve le sentiment d’une nation républicaine, (le citoyen Courbet) émet le voeu que le gouvernement de la Défense nationale veuille bien l’autoriser à déboulonner cette colonne. » (Bulletin officiel de la municipalité de Paris). Car pour Courbet ce n’était qu’une « masse de canons fondus qui perpétue la tradition de la conquête, de pillage, et d’assassinat. »

destruction-of-the-colonne-vendc3b4me-may-16-1871En utilisant un cabestan relié à deux poulies la colonne tombera en morceaux. Le moment est enregistré sur une plaque de verre photographique. Les communards sont visibles debout à côté des cylindres massifs. En quelques semaines, les communards sont arrêtés et jugés, fusillés ou expulsés. Rendu coupable de destruction de propriété de l’Etat, la reconstruction de la colonne fut facturée à Courbet -qui fuira le pays pour ne jamais revenir. Quant aux meurtriers de la Commune ils resteront impunis (quelques 20 000 communards ont été tués). Et l’image de la colonne couchée et démantelée sur un tas de fumier repose en archive.

Cet acte n’est pas anecdotique, loin s’en faut. Ainsi Kristin Ross écrit ceci: « Ce que Reclus lui-même dit de la démolition mérite d’être rapporté: « Il n’est pas, en ce siècle, de signe des temps qui ait une signification plus imposante que le renversement de la colonne impériale sur sa couche de fumier. »

Le poète, artiste, graphiste, anglais William Morris, plus connu et reconnu pour avoir dessiner les motifs du papier de tapisserie, qui fut l’un des principaux soutiens britanniques de la mémoire de la Commune de Paris, imagine dans un roman « Nouvelles de Nulle part » -écrit après la Commune, en 1890- ce qu’il aurait pu être fait de cet espace devenu vide une fois l’amas de ferraille retiré: un verger ! Si bien que Kristin Ross y voit-là « un avant-goût du tournant écologique ».

artestpublic2Mais dans son roman, Morris situe aussi la scène à Londres, à Trafalgar Square. Une fois la statue de l’amiral Nelson supprimée, autre monument nationaliste, il y imagine être dressé en lieu et place un verger d’abricotiers en contre-point à « cette folie absurde autrefois appelée Londres ». Pour Kristin Ross, la transformation de ces endroits symboliques correspondait à ce que les communards appelaient le « luxe communal ». Et ces actes symboliques de démolition étaient « une manière d’imaginer et de provoquer une transformation sociale ».

Car par ailleurs, William Morris en qualité aussi d’écrivain, d’intellectuel socialiste et d’entrepreneur dans la décoration et l’ameublement, mais aussi enlumineur, imprimeur, traducteur (du latin, de l’islandais), conférencier et journaliste, appelle ses pairs confortablement installés à renoncer à leur privilège de classe et à aider à « revenir » à l’art. C’est-à-dire, pour le dire avec plus de précision, à la production artisanale, et à sa place dans la vie et le travail des gens. L’art étant « le vrai plaisir de la vie » Morris s’oppose alors déjà au processus d’aliénation dégradante provoquée par l’obsession capitaliste pour les bénéfices.

Le traducteur et biographe de Morris le décrit ainsi: « Barbu, curieux de tout, enthousiaste ; poète et artiste, naturiste, bon vivant, appréciant le tabac fin, les vins de choix, les mets bien préparés, le pain de ménage et les flûtes légères qui lui furent jadis servies en Italie ; sportif, nageur, canoteur, pêcheur (et seul un pêcheur peut décrire, de la façon qu’il l’a fait, les trois grosses perches servies sur la table de Runnymede) ; et au fond citadin, pour qui les travaux des champs ajoutent à l’agrément du paysage et qui est bien prêt de définir la fenaison : un batifolage dans les prés ». Pour ce personnage si actif la tâche de libérer les travailleurs de l’esclavage salarié capitaliste était parallèle à l’acte de libérer l’art de sa prison de la classe supérieure.

urlKristin Ross en nous rappelant les idées de William Morris, remet donc à jour ce manifeste de l’Imaginaire communard : « Comme les communards, Morris s’intéressait moins à l’art lui-même qu’à la possibilité de créer et d’étendre les conditions de l’art. »

Ainsi dit-il dans sa conférence intitulée Contre l’art d’élite : Au préalable, je vous demanderai d’étendre l’acception du mot “art” au-delà des productions artistiques explicites, de façon à embrasser non seulement la peinture, la sculpture et l’architecture, mais aussi les formes et les couleurs de tous les biens domestiques, voire la disposition des champs pour le labour et la pâture, l’entretien des villes et de nos chemins, voies et routes : bref, d’étendre le sens du mot “art”, jusqu’à englober la configuration de tous les aspects extérieurs de notre vie. (p. 80)

S’ajoute « Chez Morris, l’apologie extrême du bricolage, sa propension à apprendre tous les aspects des savoir-faire et des techniques » écrit Kristin Ross. Qui poursuit « Rebâtir la société sur le modèle de la commune signifiait redécouvrir que « le vrai secret du bonheur est dans l’intérêt qu’on prend à tous les détails de la vie quotidienne et dans leur élévation par l’art, au lieu d’en confier la réalisation à des tâcherons déconsidérés. » Chez lui donc « la revendication de faire fleurir l’art et la beauté dans la vie quotidienne ». Autre élément qu’il promeut : avoir une « vie variée ». Ce qu’il a eu.

En plus d’une diversité d’activités et des compétences multiples, ainsi qu’un véritable amour des fleurs dont il a parsemé ses tapisseries et ses décorations, on notera ainsi chez ce militant de diverses organisations politiques une formidable avance sur son temps avec sa vision non seulement politique mais aussi esthétique. Il pointait-là la guerre perpétuelle sur laquelle repose toujours le capitalisme mondial. Ainsi dans cet autre ouvrage La Civilisation et le travail il vise à refonder les sociétés sur leurs besoins respectifs, sans le gaspi ni l’exploitation inhérents aux productions effrénées. Ainsi écrivait-il en conclusion : « Une fois libérés de l’angoisse quotidienne de la faim, quand ils auront découvert ce qu’ils veulent vraiment et que rien sinon leurs propres besoins n’exercera plus sur eux de contrainte, les gens refuseront de fabriquer les niaiseries qu’on qualifie aujourd’hui d’articles de luxe ou le poison et les ordures qu’on nomme articles bon marché. » Ce livre est préfacé par Anselm Jappe (par ailleurs, à ré-écouter ici).

D.D


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