En ce moment

Titre

Artiste

 Titre diffusé : 

 Titre diffusé : 

Background

David Graeber, « Comme si nous étions déjà libres ». N°730

Écrit par sur 6 avril 2016

12670901_997693120317809_4842295032007073492_nDans plusieurs villes de France, des «indignés» ont investi l’espace public dans la foulée de la contestation contre la loi travail (voir Nuit Debout). Habiter la place, parce qu’il y a tant à dire, à échanger, à construire pour partager, tant à ne pas laisser faire, à ne plus laisser faire (comme à Rennes, photo ci-contre) ceux qui démolissent les droits sociaux, ceux de l’homme, qui piétinent nos relations, nos dignités.

A l’exemple qui sait de ce que furent l’imaginaire de la Commune, les occupations de place à Madrid, Barcelone, Athènes, ou celles de New york et d’autres villes des Etats-Unis.

Mais que désignaient ces dernières, qu’ont-elles signifié ? Réponse avec David Graeber.

«Occupy était et est toujours un groupe de jeunes tournés vers l’avenir – de jeunes tournés vers l’avenir, mais à qui on a coupé les ailes. Ils ont joué selon les règles, en regardant les financiers déréglementer complètement le jeu, détruire l’économie mondiale par une spéculation débridée, se faire sauver par une intervention rapide et massive des gouvernements, puis en ressortir encore plus puissants et respectés qu’avant, alors que les jeunes se sont fait reléguer à une vie d’humiliation permanente».

Ce paragraphe est tiré de : « Comme si nous étions déjà libres » de David Graeber. Et c’est en lisant ce livre qu’on peut comprendre la portée véritable d’Occupy.

commesi

Ainsi que sa permanente actualité tant que des mystifications économiques comme des « facilités accordées aux tricheurs » empoisonneront l’esprit démocratique. En ce moment même dans la bataille des primaires dans le camp démocrate, Bernie Sanders accuse dans la droite ligne d’Occupy Wall Street, les 1 % les plus riches du pays d’avoir acheté la démocratie américaine et le Congrès, par corruption et goût du lucre, d’avoir laissé faire ce hold-up.

David Graeber est anthropologue, économiste et militant anarchiste -et en précise les contours « L’anarchisme revêt des couleurs, des formes et des tendances infinies. Pour ma part , je me considère comme un anarchiste « avec un a minuscule ». » (pg 178). Il voit dans les mouvements des Indignés ou d’Occupy la possibilité même d’une « révolution ». Pas celle du « Grand Soir » mais un processus qui transforme « nos conceptions de ce qui constitue le politique » (pg 248).

Précision. Pour David Graeber, une révolution survient quand il est possible de parler à table en famille de sujets précédemment inabordables parce que jugés marginaux ou extravagants.

C’est-à-dire quand apparaît la possibilité que l’imagination revienne au pouvoir, la possibilité de construire une autre société. Pour le dire autrement, Graeber postule que devant la concentration de la richesse et du pouvoir dans tous les pays occidentaux, seule une conception radicale de la démocratie – basée sur des principes d’égalité, de participation citoyenne massive et de recherche du consensus – peut nous permettre de jeter les bases de la société juste et équitable.

Blake-Andrew1Pour rafraichir la pensée de la démocratie et de la liberté -au sens qu’il en donne « Il ne s’agit pas de construire une société à partir de zéro, mais de la construire à partir de la société existante, en y élargissant les zones de liberté, jusqu’à ce que la liberté serve de principe d’organisation absolu »-, il s’appuie sur son expérience du mouvement Occupy Wall Street du 17 septembre au 15 novembre 2011, dont il est l’un des protagonistes majeurs. Voire sa figure de proue.

Mouvement qui, dans le sillage de la crise des subprimes (expliquée ici par Jean-Paul Dollé), a mobilisé des milliers de personnes en occupant après New-york les places publiques de 800 autres villes du pays. De Wall Street à Phoenix en passant par Cincinnati. Alors il confronte la définition de la démocratie donnée par les conservateurs, soit le lobbying, la collecte de fonds et au final la campagne électorale à celle portée par OWS (Occupy Wall Street), soit celle où la « démocratie repose sur l’idée que tous les humains sont fondamentalement égaux et devraient pouvoir prendre leurs propres affaires en main d’une façon égalitaire et par les moyens qu’ils jugent les plus appropriés. » (pg 171).

Hum! Après nous avoir livré un riche témoignage, au jour le jour, en tant qu’acteur militant activement engagé dans le mouvement, et conscient que d’en écrire l’histoire est important, cette phrase s’entend comme en écho à la pensée pour l’autonomie d’un Cornelius Castoriadis (1&2). Echo déjà perçu dans son autre ouvrage. D’autant qu’après Castoriadis, il analyse à la fois des notions de démocratie et d’anarchie. Et cherche dans la pratique à voir la « démocratie » non pas comme se résumant au vote de la majorité, mais par un processus graduel, la recherche d’une sorte de consensus. Graeber fait appel alors à ses connaissances d’ethnologue pour rappeler comment les sociétés non-européennes, qui pratiquent le consensus, font des moments de prise de décisions également des temps de convivialité.

Graeber_3_mL’anthropologue constate que « les élites financières et politiques ont tout misé sur le jeu idéologique. Ils ont investi beaucoup plus de temps et d’énergie à créer un monde où il est presque impossible de critiquer le capitalisme qu’à créer une forme de capitalisme réellement viable. » (pg 110).

Eh bien, à l’heure où les voix des instances patronales semblent peser davantage que celles des électeurs (relire ici), je cède à l’envie de retranscrire cet autre paragraphe :

« En fait, la plupart des innovations économiques des 30 dernières années ont davantage de sens sur le plan politique qu’économique. En remplaçant les emplois à vie par des contrats de travail précaires, c’est sûr qu’on n’améliore pas le rendement au travail, mais c’est une façon très efficace de détruire les syndicats et de dépolitiser la main-d’œuvre. Même constat du côté des heures de travail qui ne cessent d’augmenter. Quand on travaille 60 heures par semaine, il ne reste plus de temps à consacrer aux activités politiques. Il semblerait qu’entre l’option qui donne l’impression que le capitalisme est le seul système économique possible et celle qui rendrait le système économique plus viable, le néolibéralisme penche toujours en faveur de la première. Il en résulte une guerre permanente contre l’imagination, le désir, la libération individuelle, et tout ce que la dernière grande révolution mondiale allait libérer, et qui doit aujourd’hui se limiter au domaine de la consommation ou encore de la réalité virtuelle sur le web. Dans tous les autres domaines, les aspirations sont strictement interdites. Je parle ici d’anéantissement des rêves, de contrainte au désespoir, qui doivent étouffer toute capacité d’entrevoir l’avenir différemment. Pourtant, après que tant d’efforts ont été déployés du côté de la politique, nous nous retrouvons dans l’étrange situation où le système capitaliste s’écroule sous nos yeux, juste au moment où nous avions tous fini par conclure qu’aucun autre système n’était possible. » (pg 254).

D’où cette observation bien lucide, bien claire, bien construite : « Ce n’est pas le manque d’imagination qui pose problème, ce sont les systèmes de dette et de violence créés pour étouffer le potentiel de l’imagination humaine, ou pour qu’elle ne serve qu’à créer des produits financiers dérivés, des systèmes d’armement ou des nouvelles plateformes sur Internet. » (pg 265).

Pour lui, la démocratie est d’« accorder à tous un accès égal aux ressources nécessaires pour poursuivre une infinité de valeurs » (pg 270). Condition dans laquelle pourrait se déployer « notre capacité à nous rassembler, comme des êtres raisonnables, et à trouver des solutions à nos problèmes communs ».

Conclusion. Avec ce stimulant essai « Comme si nous étions déjà libres« , David Graeber nous invite ni plus ni moins à choisir de vivre « comme si nous étions déjà libres ».

D.D

Ce qui s’est écrit ou dit ici-même autour d’ Occupy Wall Street, des « Indignados« , et de David Graeber.


Les opinions du lecteur

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.