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Hartmut Rosa,« Rendre le monde indisponible ». N°925

Écrit par sur 29 janvier 2020

Pour résonner, il faut admettre que les choses nous échappent »

Hartmut Rosa – « Rendre le monde indisponible. »

« Rendre le monde indisponible », d’emblée le titre du livre intrigue. Son auteur, Hartmut Rosa, est un philosophe et sociologue allemand, penseur de la modernité et de l’accélération. Dont cette chronique s’est faite l’écho à l’occasion de ses deux précédents ouvrages, Résonance et Accélération.

Rendre le monde disponible c’est le désir de la modernité (capitaliste), écrit-il dans ce dernier livre. Si bien que « tout ce qui apparaît doit être connu, dominé, conquis, rendu utilisable ».

D’où un  » toujours plus « . A travers « la croissance (économique), l’accélération (technique) et de l’innovation (culturelle) ». « Ce n’est pas la soif d’obtenir encore plus, mais la peur d’avoir de moins en moins qui entretient le jeu de l’accroissement, expose-t-il. Ça n’est jamais assez, non pas parce que nous sommes insatiables, mais parce que nous gravissons continuellement un escalier mécanique descendant : à chaque fois que nous marquons une pause ou que nous nous arrêtons, nous perdons du terrain par rapport à un environnement hautement dynamique avec lequel nous nous trouvons systématiquement en concurrence. « 

La  » peur de manquer » comme moteur du développement, la peur de ne plus  » avoir accès au monde « . Puisque nous sommes tenus par  » l’idée selon laquelle la clé d’une vie bonne, d’une vie meilleure réside dans l’extension de notre accès au monde. Notre vie sera meilleure si nous parvenons à accéder à (plus de) monde, tel est le mantra non exprimé mais inlassablement réitéré et réifié dans l’action. Agis à tout instant de telle sorte que tu agrandisses l’ensemble formé par ce à quoi tu accèdes: cet impératif catégorique (…) est devenu dans la modernité tardive le principe de décision dominant dans tous les domaines de l’existence et quelque soit la période de la vie, depuis la petite enfance jusqu’au grand âge « .

Par un simple clic, un paiement sans contact, un vol de quelques heures qui nous amène à l’autre bout de la planète, le monde est à notre portée. Nul surplomb dans la pensée de Rosa, c’est sur lui-même autant que sur les autres qu’il déchiffre nos contradictions sociales et culturelles.  » Il s’agit d’une explosion inouïe de notre accès au monde. Nous avons désormais aussi constamment sous la main, pour peu qu’ils soient numérisés, tout le savoir mondial, toutes les chansons, tous les films, toutes les données; nous les portons littéralement sur nous. »

Bing! Arriva le revers. « Se rendre comme maître et possesseur de la nature », écrivait Descartes, eh bien voilà que cette audacieuse et périlleuse disponibilité se révèle à double tranchant. Et ce n’est pas seulement l’histoire de se dégourdir les neurones. Car  » les processus de mise à disposition ont un revers aussi puissant que paradoxal : à bien des égards, le « monde de la vie » dans la modernité tardive devient de plus en plus indisponible, opaque et incertain. Avec pour conséquence le retour de l’indisponibilité dans la vie concrète, mais sous une forme modifiée et angoissante, comme une sorte de monstre qui se serait créé lui-même.  » L’auteur en dresse la liste avec des exemples concrets, ceux de la catastrophe écologique ou de la crise démocratique, mais aussi de l’augmentation des maladies du travail comme le burn-out, ou la société de contrôle et l’asservissement au tout technologique. Ce monde est devenu illisible et muet. Aveugle et sourd à la question de la vie bonne, et qui croit que l’accroissement illimité et l’accumulation privée des ressources suffisent à définir le bien-être. Avec au final :  » L’indisponibilité issue des processus de mise à disposition produit une aliénation radicale. « 

Le tableau est bien sombre, c’est perturbant, et cela ne va faire que s’aggraver : cette peur qui prend de l’ampleur est celle de ne plus être dans le coup car tout se déplace très vite. Face à quoi dans Rendre le monde indisponible comme à la fin de son gros pavé Résonance, Rosa, ni passif ni conservateur, esquisse la « sortie de crise ».

Comment ? Dans « une manière non agressive d’être au monde », « un mode de relation où peut se déployer un lien (et un échange) entre moi et quelque chose qui m’est “extérieur” : mon corps, la nature, les autres ». Pour lui, être en résonance, c’est être relié avec le monde, les autres et soi-même. C’est cultiver une relation avec la nature. A l’image d’un lien qui se met à vibrer entre nous et le monde. A ce qui nous relit au monde. Afin d’échapper à  » son auto-aliénation dans laquelle volonté, agir et perception de soi divergent dramatiquement parce que notre propre volonté et notre agir, pour autant qu’ils se laissent alors déterminer par le désir, nous apparaissent comme étrangers « .

Dans Résonance, Hartmut Rosa démarrait ainsi : « Tout, dans la vie, dépend de la qualité de notre relation au monde, c’est-à-dire de la manière dont les sujets que nous sommes font expérience du monde et prennent position par rapport à lui, bref de la qualité de notre appropriation du monde. »

D.D

Ce qui a été dit et écrit même autour de l’attention. Ainsi que du monde accéléré.


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