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« Kan ha diskan.» N°908

Écrit par sur 2 octobre 2019

Voici des sons tels qu’ils nous parviennent fort rarement à nos oreilles. D’une étonnante survivance, rappelons qu’ils proviennent d’un chant pratiqué selon les règles d’un art ancestral, sans fioritures, a cappella.

C’est que les sons présentés ici font tous partie de cette forme mélodique du très célèbre chant traditionnel appelé Kan ha diskan. Qui veut dire chant et contre chant. Qui se caractérise d’un léger recouvrement des deux voix à chaque alternance – que l’on appelle « tuilage ». L’un des chanteurs entonne la première phrase, l’autre lui répond et ainsi de suite. Selon un principe de chevauchement, une personne débute, et le reste suit en reprenant les dernières syllabes … Lire ici. Cette technique vocale très rigide du centre-Bretagne, partagée à la ronde, peut être considérée comme le fondement même de la culture bretonne. L’on compte plus de cinq cents mélodies appropriées au kan ha diskan. Puisque d’un canton à l’autre, l’air variait comme la façon de parler. Du coup, bon nombre d’airs instrumentaux à danser puisent leur origine dans ce répertoire chanté à peine franchi les lèvres.

Dans les paroles de la chanson populaire nous voyons la langue tendre de toutes ses forces à imiter la musique. »

Nietzsche – La naissance de la tragédie.

Force est de constater qu’avec le kan ha diskan, c’est l’inverse. Si l’origine de ce chant reste obscur car datant des temps les plus reculés, en tous les cas, pour les musiciens, ses airs sont source d’inspiration. Quant au contenu dionysiaque, il est en tout point le même. Comme l’a écrit à propos de la musique, Nietzsche qui était un philosophe musicien, « Elle se manifeste comme volonté « , c’est-à-dire qu’elle « doit faire appel à tous les mouvements de la passion, du murmure de la tendresse aux emportements de la folie« . Eh bien, en mettant en jeu l’ensemble des facultés verbales du peuple en question – car ces airs sont techniquement à l’opposé de ce que l’imagerie du tralalalaleno peut nous faire penser- ou tels des kan ha diskan recréés sous forme musicale électrifiée, c’est bien de ça dont il s’agit avec la fête et la danse comme moment capital.

Furieux et hypnotiques, ces mots-sons qui emplissent le moment présent, acquièrent un corps, le nôtre, nous prennent aux tripes, en même temps qu’ils imposent de battre du pied. Chantant une langue que je ne comprends pas, et malgré cela, qu’on soit bretonnant ou pas du tout, le rythme, la cadence et l’énergie provoquent nos sens de résistance ou éclairent nos espérances.

Lieu de convergences musicales – avec des voix comme le rap, slam, etc-, saluons alors ici-même avec clameur tous celles et ceux qui savent garder vivante là-bas, en Kreiz Breizh et ailleurs, cette heureuse et inimitable mise en résonance des voix et des corps ! Après que des infatigables cueilleurs de la mémoire musicale et parolière jusqu’à ses entrailles vagabondes, se soient attelés à une tâche très concrète de conservation et de réparation, afin que ça puisse ressurgir sans souci chez les nouvelles générations.

Comme le montraient si bien récemment, avec passion et talent, ces deux jeunes chanteuses à Poullaouën, près de Carhaix, en interprétant le coeur battant, une suite gavotte. Le chant de la vie précisément dont les paroles racontent une expérience passée. Là, où d’aucuns y verront l’image du monde primitif, il est facile auprès de celles-ci à constater de visu que le kan ha diskan, se manifestant « comme volonté « , est nullement situé hors du temps. Et qu’il n’est pas vraiment destiné à celles et ceux qui ont le souffle court (certaines chansons atteignant les 100 strophes !).

D.D

 

 
 

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