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« Naufragés ». N°458.

Écrit par sur 30 décembre 2010

Naufrage et naufragés. Il sera conservé de cet hiver-ci l’image de ces aéroports et de ces gares en perdition. Et elle sera accentuée plus encore par l’apparition du terme « naufragés ». Pas un jour sans une gare sans naufragés du train, pas un jour sans un aéroport sans naufragés de Roissy, pas un jour sans une autoroute ou quatre voies sans naufragés coincés.

D’abord examinons l’aspect contexte. Tout ces non-lieux comme le définit l’anthropologue Marc Augé ne sont plus seulement des endroits interchangeables, standardisés et sans réelle identité, mais deviennent semblables à ce que sont les océans sur lesquels dérivent de frêles embarquations aux confins du néant, des océans de doutes sur les côtes desquels échouent les « naufragés ». Voies rapides, échangeurs, lignes à grande vitesse, gares, aéroports, supermarchés, chaînes hôtelières comme camps de transit pour les réfugiés faisaient déjà partie du répertoire, s’ajoute ainsi cet hiver l’appellation « naufragés ».

Des « naufragés » pour des non-lieux associés à la surmodernité sur le fil du rasoir et à une mondialisation qui gomme les spécificités locales, au profit de la conformité et d’une neutralité aseptisée. Cette appellation nouvelle, ce label, se distingue par l’anonymat et par la solitude des êtres humains qui lui correspondent. Ces voyageurs qui traversent les paysages et les consomment sans se rencontrer. Clients, passagers, usagers, auditeurs, internautes, individus chaque jour plus nombreux mais sans identification particulière si ce n’est d’avoir été badgés et numérisés à l’entrée et à la sortie. Input/Output.

Plus inattendu encore, l’on parle maintenant des « naufragés du net » pour qualifier ces résidents des campagnes qui n’ont pas accès au réseau haut-débit. Et pourquoi pas « naufragés de l’espace »? Eh bien parce qu’il est bien possible que ces non-lieux ne cessent de s’étendre jusqu’aux points les plus reculés. Il n’y aurait donc plus à vrai dire d’espace à part, des « naufragés parisiens » aux « naufragés de la route hébergés dans des gymnases » tout se ressemblerait dans une forme de solitude généralisée échouée dans des espaces interchangeables, intemporels où l’être humain reste anonyme. Chaque lieu est un non lieu potentiel.

« Ainsi sont mises en place les conditions de circulation dans des espaces où les individus sont censés n’interagir qu’avec des textes sans autres énonciateurs que des personnes « morales » ou des institutions dont la présence se devine vaguement ou s’affirme plus explicitement (« le conseil général finance cette tranche de route », « l’Etat travaille à l’amélioration de vos conditions de vie »), derrière les injonctions, les conseils, les commentaires, les « messages » transmis par les innombrables « supports » (panneaux, écrans, affiches) qui font partie intégrante du paysage contemporain. » écrit Marc Augé, Non-Lieux (Seuil).

Maintenant examinons l’aspect naufrage. Du bruit ou de l’info ? Quand toute la presse reprend en coeur, comme un seul homme, le terme ‘naufragé » c’est faire peu de cas du naufrage , du naufrage véritable. Il n’est plus question de corps engloutis dans les flots déchaînés et emportés par la tempête comme l’ont connu tant de familles, en Bretagne particulièrement. Citons les naufrages du Bugaled Breizh et de la petite Julie, pour les plus récents, et le témoignage de ce naufragé véritable. Le naufrage y a hanté l’imaginaire des Bretons comme en témoignent tous ces tableaux que collectionnent les musées de Morlaix, Brest, Quimper, et autres. Voir encore cette autre tradition du colportage des histoires de naufrage. Quant à la trace de ces naufrages dans les ports bretons, elle est toujours visible, il suffit d’y lire les noms de rue, les plaques, et de passer par les cimetières.

Mais dans l’espace médiatique dans un naufrage l’on n’y meurt pas, on y reste bloqué seulement. Immobilisé un moment. On usurpe le drame. Voilà, ce que signifie « naufragé » c’est de pâtir d’une coupure de flux. Pas du flux et du reflux des marées, non, mais du flux de la circulation des hommes, des marchandises et des données. Les caractéristiques de la production en flux tendus étenduent à tout. Peu de différence entre un container en rade sur un quai du port de Saint-Malo, un passager en attente de son TGV à destination de Paris-Montparnasse lors d’un problème de caténaire, et de données quand le débit n’est pas au bout du réseau. Ah! Quel « manquàgagner » ! Même des coureurs à pied briochins bloqués au Col du Perthu par la neige ont été qualifiés de « naufragés » par Ouest-France. Incroyable! même de la neige dans un col pyrénéen en fin décembre!

Au bout du bout, la consommation du « naufrage » éveille le sentiment du destin et des profondeurs. Et finalement le battage médiatique n’a-t-il pas fait office cet hiver de tocsin; du tocsin des erreurs à venir ? En nos temps de mensonges financiers et d’opacités économiques, face à ce capitalisme vorace et rapace, sans freins ni limites. C’est un révélateur .

D.D

Chronique :

J’ai même entendu les « naufragés d’la vie » pour parler des SDF…

Oui et on les a vus tous ces naufragés, abasourdis, ahuris, ébahis, estomaqués, interdits, interloqués, pétrifiés, stupéfaits…tous ces adjectifs sont les synonymes officiels du mot « médusé ». C’est rigolo non ?

« Le 2 juillet 1816, sur la route du Sénégal, une des plus belles embarcations de la marine française, la frégate « La Méduse », s’échoue sur le banc d’Arguin avec 395 personnes à son bord. Pour suppléer aux canots de sauvetage, l’équipage se réfugie sur un radeau de fortune de 20 mètres de long sur 7 mètres de large. Mais les amarres avec le canot remorqueur sont coupées. Le radeau part alors à la dérive avec 150 hommes et une femme et pour toute nourriture 75 livres de biscuits. 12 jours plus tard l’embarcation sera découverte avec 15 survivants. Les autres ont été jetés à la mer ou même mangés par les autres occupants. L’événement inspirera le peintre Théodore Géricault qui l’immortalisera en 1819 sur un tableau grandiose appelé « Le radeau de la Méduse ». »

Françoise.

29/12/2010 21:02

Re-Chronique :

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » (Albert Camus)

D.D

03/01/2011 19:25